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dimanche 7 août 2016

Générations “Sao“



Saga d’un cracker océanien

Au hasard des bateaux cinglant le Pacifique durant le dernier tiers du XXème siècle le Sao, biscuit salé, d’abord destiné aux longs courriers maritimes en tant que « biscuit de marins » pour sa conservation, aborda les îles du continent océanien.  

Il connut un regain de popularité pendant les hostilités mondiales de 1914-18 et participa du paquetage des « poilus », puis du menu des populations civiles comme « biscuit de guerre ». Depuis, il est entré dans la composition des petits déjeuners, goûters et en-cas du soir typiques de Polynésie française. Il est encore largement consommé.

Un mitron pionnier
Les générations Sao, ce n’est pas un mythe. Une bonne partie de la population a été élevée au Sao. Les Calédoniens plaisantent ainsi : « Deux collés au beurre trois pétés dans le bol ». Plus de 50 ans qu’il est importé régulièrement et qu’une succursale des biscuiteries Arnott’s s’est implantée dans la vallée de la Titioro à Tahiti.

Mais, à qui devons-nous ce fameux cracker d’origine australienne qui a remplacé le dîner du soir dans les milieux défavorisés ?

Un certain William Arnott…
Écossais, William Arnott, apprenti boulanger, immigra sur le littoral d’Australie méridionale à Maitland (Nouvelle-Galles du Sud). Il s’essaya sans grand succès, comme prospecteur d’or, tout en développant sa petite boulangerie-pâtisserie. Elle fut emportée par une violente inondation. Le destin du Sao aurait pu s’arrêter-là, brusquement submergé par les flots. Mais c’était sans compter sur la détermination de son inventeur. Ruiné, il s’installa à Newcastle en 1865, grâce aux prêts de ses amis.

La marque Arnott’s était née. William Arnott rebondit avec son label « Chez Arnott ». La petite boutique de « créations biscuitées », fut transformée en manufacture de pointe ! L’entreprise, utilisant alors des machines à vapeur, se délocalise pour la capitale économique, Sydney, s’assurant ainsi une prospérité incontestable. Pour la petite histoire, grâce à sa ténacité et à la qualité de ses produits, mais aussi en raison d’une intégrité indéniable, William remboursa jusqu’à ses dernières dettes. Et c’est sans conteste qu’il joua un rôle social.

Maitland sous les eaux en 1893
Aujourd’hui, outre l’aura de ses fondations philanthropiques, le genre craquelin est florissant. Il se diversifie pour les tout-petits. Il agrémente aussi les apéritifs et les entrées froides. Mais cette étape démarre une autre ère, celle où les habitudes nutritives se calquent sur le mode américain, avec sa scorie de sauces froides toute prêtes et grassement dosées. Il bénéficie de l’introduction de la tomate et de la salade grâce aux cultures hydroponiques locales, ce qui constitue un plus. Mais il est à déplorer qu’il participe du grignotage constant, de la surnutrition et de l’afflux de condiments peu naturels implantés à foison.

Le Sao à Tahiti et ses îles…
Revenons à ces générations-Sao. Prenons l’exemple de l’une des Îles-Sous-le-Vent où l’économie est chamboulée et ne profite pas des effets du CEP, sauf pour l’intensification des importations et la récession des cultures vivrières de base (café, coprah, légumes divers et farine de uru). Là où la vanille, le taro et le coprah rapportent moyennement pour une famille nombreuse d’agriculteurs, nichée à flanc de coteau à concurrence d’huile de coude et de genou, le Sao est relativement bon marché. Il a donc engendré une nouvelle attitude alimentaire. La grand-mère de Lola avait ses « recettes » faciles pour tous les âges. Lola, amie raromata'i (originaire de Taha’a), ne jure que par les carnets de cuisine jamais écrits de sa grand-mère.

Adaptée aux jeunes scolarisés et aux collégiens qui n’ont que le temps de se réveiller, d’avaler un petit déjeuner sur le pouce avant de rejoindre la route et d’attraper le truck (bus) qui les emmène à l’école, voici la première : Le matin, dans un bol de lait froid que vous pouvez sucrer selon vos moyens, brisez en petits morceaux les Sao et laissez-les absorber le liquide. Prenez le temps de voir le niveau de lait se réduire. Le contenu ressemble davantage à une anse dont les icebergs se chevauchent. Mélangez encore. Plus c’est épais, plus c’est nutritif. Dégustez à la petite cuiller.

Le Sao au lait
Au cours de la journée, à sec, le Sao est un coupe-faim quand vous posez la pioche ou le coupe-coupe. On peut le tartiner de punu pua'atoro (corned beef) directement sorti de sa boîte de conserve. Il peut accompagner une banane ou tout autre fruit. L’opposition salé-sucré attise les papilles gustatives.

Pour les écoliers, c’est un goûter reconstituant avec une compote de mangues ou toutes sortes de confitures tropicales (ananas, fruit de la passion, goyave, tamarin, citron vert, corossol...). Tout dépend des ressources de votre fa'a'apu (jardin potager). Les crèmes à tartiner sont un luxe de fête et hors-de-prix. Et si la récolte est conséquente, le miel est le bienvenu. Mais il se fait rare du fait des pesticides qui ont décimé l’espèce des butineuses.

Le Sao au café
En période de vaches maigres, le Sao trempé dans l’eau sucrée est un ersatz de tout repas digne de ce nom.

Consommé froid, il épaissit ces  sortes de soupes fraîches de fin de journée chaude. En quelque sorte, l’équivalent du mijo traditionnel berrichon. Économique, rapide et nourrissant. Les paysans d’antan, sous toutes les latitudes, possédaient bien des secrets !

Le soir, après le coucher du soleil, dans un café chaud, il donne un coup de fouet aux travailleurs qui s’offriront un petit déjeuner copieux le lendemain, comme il est de coutume.

Petite mise au point
Les véritables générations-Sao se situent au-dessus de la trentaine. À une époque où ce mode alimentaire participait d’une certaine austérité. Le Sao était doté d’une sorte d’exclusif. Pas de fioritures. Bien sûr, il mettait en veilleuse le repas plantureux traditionnel du matin. La génération qui suit tire avantage d’opportunités et de tentations nutritionnelles, teintées plus particulièrement de gastronomie asiatique, si elle vit sur l’île capitale, Tahiti. Mais elle souffre d’un déséquilibre nutritif compensatoire qui se solde par une tendance au surpoids. Véritable fléau qui touche bon nombre d’enfants !

Alors, que vous dévoiler sur ce cracker rectangulaire dont l’aspect global n’est pas uniforme ? Mat de croûte et sec de peau, il est d’un goût tirant sur la neutralité. Sa légèreté pondérale s’allie à sa vertu de pain complet. Craquant, croquant, il est plaisir des dents. Il se fait taiseux s’il est bien imbibé. Il est pratique, se glisse facilement dans un sac ou un cartable. Et dans la mémoire de la génération-Sao, il fait office de friandise affective, liée à l’enfance.

Sao, un plaisir des doigts

Une  page de l’histoire est tournée. L’épisode Sao entre dans un nouveau cycle. Comme le riz, intronisé à partir de la cohabitation asiate, il fait partie du quotidien. à l’encontre de ce qu’on pourrait attendre d’un ingrédient culinaire, il se banalise dans la plus grande des discrétions.



Un article de  Monak
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