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Le nouveau roman de de Monak à lire absolument

mardi 23 août 2016

Caroube tunisienne ou Kharrouba tounsiya


Un fruit qui vaut
son pesant de carat

La saison fruitière, de Méditerranée aux Tropiques insulaires, bat son plein avec, entre autres, la pastèque ou la caroube. Une communion de fragrances qui, pour une fois, fait respirer le monde au même rythme : celui de la nature.

Quoi de plus voluptueux que ces senteurs s’exhalant au détour d’une falaise aride ou s’accordant avec la brume nocturne des terres baignées par l’onde. Car le petit fruit à gousse (ceratonia siliqua) en forme de corne (قرن, qaroub en arabe), lui donne son nom caroube, (kharroub en tunisien خرّوب) et conquiert vaillamment l’Australie et les Philippines. Autrement appelée carat (قيراط, qirat en arabe), chacune de ses graines en a le poids, soit environ 200 mg, l’unité de masse des joailliers.

Caroubier multicentenaire
 Pouvant fêter allègrement ses 500 ans, le caroubier concourt activement à cette histoire des civilisations millénaires liées au nomadisme et à la transhumance. Telle la carobla provençale. Cultivé ou à l’état sauvage, sa récolte est abondante. Aliment de subsistance rudimentaire riche et tonique, la caroube entre dans la composition de confiseries, de sirops, de mélasses, de remèdes et de mets  diététiques et infantiles pour sa farine sans gluten. Utilisée pour sa gomme dans les sauces comme dans l’industrie textile, le papier, les colorants et les cosmétiques, elle répond au label produit naturel. Elle ne cesse d’étendre ses applications, suivant les pays, comme substitut de cacao ou de café grillé. Sans que personne n’en évoque la source depuis les années 40, elle entre dans la composition d’une boisson gazeuse tunisienne, concurrencée par le coca : la boga.

La boga c’est ça !
Pour rester dans l’optique de notre rubrique « Saveurs », je mettrais l’accent ici, sur notre relation à l’alimentaire. N’est-elle pas avant tout liée à un vécu, à ce ressenti affectif qui plonge ses racines dans la petite enfance et qui forge notre rapport au goût ? Sur le mode sensations je vais donc vous livrer, à ma manière, une certaine approche de ce cadeau de la terre. En 2015, au concours international Plumes des Monts d’Or, dans la catégorie Adultes des Outre-Mer, a été primée la nouvelle « Un carat de gourmandise ». « Elle chante avec lyrisme dans un style très oriental le caroubier, arbre salvateur de son enfance dans le désert tunisien » commente le jury…

Berçons-nous donc, aujourd’hui, de fantaisie et effleurons sensuellement nos impressions gustatives avec l’extrait suivant.

Un carat de gourmandise
« Je ne sais comment m’adresser à toi.
« Tu es comme l’aïeul m’initiant au nectar des coupoles pulpeuses que sont les dellea (pastèque). L’eau et le miel s’égouttent de ces mamelles de la nature, à l’image du pays, celant en ses âpres écorces des trésors de sources jaillissantes. Est-ce pour cette raison que j’en ai déjà plein la bouche quand je prononce « dellea » ? Dellea… délectable ? »

En visio-conférence depuis Papeete
Je découvrais la délectation. Impression puissante attisant un à un mes sens. Combinaison pétillante… indéfinissable, mêlée d’images réelles et de fantaisie. Félicité éclose de la terre, des minces rigoles épisodiques, du bouquet délivré comme un murmure au contact de l’herbacée, de la chair vibrante de vie le temps d’une saison, de son sang qui barbouille les frimousses.
Depuis, au goût s’associe un visage… Je déguste au clin d’œil de l’ami ce qui m’est proposé de contrées inconnues, même brut, même à l’antipode de mes dégoûts ordinaires… Je confonds délice et désir, régal et jouissance, appétit et attrait.
Ce plaisir de becqueter du bout des lèvres les baies ravies aux buissons d’épineux, un ravissement. Ces coupe-faim qu’impose la nécessité, luxe de ceux qui se contentent de peu, je connais.

Chez nous, la gourmandise se transmet avec la parcimonie d’une vertu. Cette aménité de privilégier l’enfance, le commensal, le mendiant. Cette fierté de festoyer de petits riens quand on manque de tout.

Nos ascendants…
…secs comme coups de trique, entretiennent dans leur rituel dinatoire ce souci de la retenue. Trois doigts, pour rouler et saisir la boulette de couscous puisée au plat commun ; aucune précipitation pour la porter à la bouche. Tout dans la délicatesse.

Tout sur la corne d’abondance
Depuis… ces temps anciens où l’instant se  déclinait comme une éternité sont malheureusement révolus. Tout se joue en accéléré : les cahutes ambulantes aux vapeurs culinaires se sont mises en mode « restau-rapide », engloutissant avec gloutonnerie toute relique de raffinement.
Malmené par les piaillements et les bousculades, tenaillé par son appétit de dévoration, le mangeur, tel un animal au râtelier, prend la file de sa mangeoire. Se peut-il qu’à l’époque incertaine que nous traversons, nous ayons régressé vers autant de grossièreté ! 
Est-ce pour ce motif que je raffole de fruits sauvages, ce festin gorgé d’heures brûlantes et de frugalité ? Une datte et un verre de bsissa*  pour rompre le jeûne… un petit oignon dans un pain tabouna*  imbibé d’huile d’olive pour aborder le jour.

Ce pourpre de la grappe
« Je file à ta recherche comme musardent caprins et camélidés, menés par le bout des narines et des dents vers la source aromatique de larmes sucrées. »
Je suis en mal de graines clandestines arrachées aux sentiers escarpés, aux rocailles. Ces trompe-la-soif de pourpier, fraîchement dorés sur la pierraille et croquants à souhait. Ces tiges charnues, pétillant de suc acidulé et poivré, mâchouillées en fredonnant une comptine d’antan.
« J’en ai parcouru du chemin avant de réussir à t’accoster !
« Est-ce ta rareté qui exacerbe mon désir ? Dans la pénombre de ces échoppes aux mille épices, nichées dans le lacis de ruelles aveugles, longtemps m’a enivrée la senteur de ton fruit ! De maigres poignées s’égrenaient dans des corbeilles d’alfa étriquées. Combien de fois ne restait-il de ces grappes séchées que les cosses étiolées au vernis altéré, rongées de prédateurs friands. »

Quel destin colossal pour ce grain !
Enfoui au cœur des gousses, pépin nain au poids invariable, il se catapulte unité de mesure sous le nom de carat ! Bonheur des joailliers, mais bien davantage pour les gourmets, explosion de sapidités condensées en une gemme !

Un fruit, un suc
« Enfin je te retrouve. Esseulé. Car point de renommée pour ta pierre précieuse dans le panorama gastronomique. Je viens me frotter au vêtement de laine rêche vieux pourpre de ton écorce. Je t’étreins à bras-le-corps ainsi que se fête chaque retour de l’amant.
« Avec ta haute silhouette, ton houppier comme un chapeau aux larges bords,  l’éclat vernissé de ton feuillage, tu romps la monotonie de ces étendues moutonnantes arides. En habit de fête paré de guirlandes et de lanternes écarlates à l’équinoxe d’automne, tu es notre sapin des steppes sans neige, toi qui tintinnabule « arbre aux diamants » en langue d’oc !

La gousse et son carat
« Je ne sais comment t’aborder maintenant débusqué, constellant de tes mille et une stalactites amarante le cosmos gigantesque que découpe ta frondaison. Maintenant que tu déclines des identités selon que tu vagabondes sur l’une ou l’autre rive de notre « Mer du milieu des Terres »…
« Croissant de lune au creux de mon poing, ô gutturale Kharouba, je t’élève vers la nuée comme un bugle viking trinquant avec le ciel ! »
La « petite corne » tunisienne et sa sœur maquisarde des Maures et d’Esterel s’édulcorent au zénith, tatouées par la sécheresse alentour de l’emblème des lignées disparues et de la lutte pour la vie.
Grignoter devient émouvant… habité…  poignant.

Pain à la caroube
 « Tu es le vase et la liqueur ! Cacao et vanille au cœur ! « Suavité » comme le burinent les hiéroglyphes pharaoniques. Énigme tu restes quand  le sort te désigne « fève de Pythagore» et te lie à ce végétalien avant l’heure, semblant craindre jusqu’à l’obsession que ne soit profanées sa bourse et sa sève.

Savourer flirte avec sacralité.
Les annales des voyageurs, des pèlerins et des nomades, franchissant des siècles et des frontières d’évagation, t’oignent du viatique des routards et des prêcheurs du désert. « Pain de Jean-Baptiste », alias Yahyâ ibn Zakariya, sur ce territoire de Palestine que sillonne  Hérodote, cosses séchées à la ceinture.
« Ton absence m’a été si longue ! Il me tardait  de dénicher ces coins déshérités et rudes, où tu sièges solitaire, agrippant le coteau…
Je respire, mêlé à l’odeur de ton bois, l’arôme mellifère de ton suc : tu es amande et chocolat. Sensualité et raison.

Une poudre cacao et vanille
 Est-ce le pourpre de ton calice, la fragrance de tes grappes florales qui me font lanterner davantage ? Dans ces paysages où la pierre affleure d’un sol fauve, se déclinant vers le roux, s’exhale une grande bouffée de patience. 
La gourmandise folâtre en mes pores, s’insinue sous ma langue comme long baiser de rosée. Prélude spirituel avant que d’être mets, elle est arrêt sur beauté : instantané d’un rouge craquant où vient se percher le soleil en  transparence. Régal anticipé de mon palais, béatitude sertie au flux des influences, des cultures, des présences…

Un carat, une plume…
« Serais-tu l’encre qui abreuve mes mots ? Gomme hyaline scellant les Carnets d’Albert Camus et fleurant le mystère ? »
S’il est un endroit, un moment où plaisir de bouche fait écho à esprit sous la clarté aveuglante du jour… c’est bien dans le frémissement intense des ombres du passé, si proches et si lointaines.

« Kharouba ! »
Un trait de Qalam sur la disparition et l’oubli.
Une chimère
Pour un seul carat !

Un article de  Monak

Glossaire :
* Bsissa : farine de blé ou d'orge épicée à la marjolaine, à la coriandre, à l'anis et au fenouil.
* Tabouna : galette artisanale cuite au four d’argile appelé lui aussi tabouna

Avec mes remerciements à Nejib Chouk, artiste de l’image, pour sa contribution.

 
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