Des avions et des îles
Ce sont les
Marquisiens qui virent, en 1925, le premier aéroplane déchirer le ciel
polynésien. Cependant, il faudra attendre le 2 avril 1960 pour qu’enfin le
premier avion civil se pose sur la piste de l’aéroport de Tahiti Faa’a.
Indissociable
du programme
nucléaire français dans le Pacifique Sud et des tristement célèbres atolls
de Moruroa et Fangataufa (Archipel des Tuamotu), l’ouverture de l’aéroport international
de Tahiti-Faa’a a marqué la fin d’un monde : celui de la Polynésie
traditionnelle.
Vous
savez, celle que tentent de nous vendre encore et toujours les agences de
tourisme…
Quand volaient les dieux et les tupuna*
La mémoire traditionnelle
polynésienne regorge d’êtres merveilleux se déplaçant au travers des coupoles
célestes, de personnages circulant dans les airs avec des procédés se situant
entre magie et techniques éoliennes.
Le
parc aérien de l’Olympe tahitien est, de fait, fort bien garni. Ainsi, les
dieux (comme les hommes à l’occasion) volaient avec leurs pirogues, les arcs-en-ciel,
les vents, les nuages, les poissons volants… et parfois même sans aucun
accessoire !
Autre détail intéressant : dans
toutes les îles, les enfants polynésiens développaient des jouets aériens.
Ainsi le titiraina avait un peu la forme d’un hydravion en miniature.
C’était une sorte de monoplan, d’environ 50 ou 60 cm de long entièrement
réalisé avec des végétaux, qu’il s’agissait de lancer le plus loin possible en
mer. Posé à la surface de l’eau, poussé par la houle et le vent, l’engin décollait
seul et s’allait reposer sur les flots parfois jusqu’à 20 ou 25 m. du rivage.
Ces merveilleux objets ont, hélas, totalement disparu de nos îles.
Un autre jouet ancestral fait lui,
aujourd’hui encore, le bonheur des hommes comme des enfants des îles : pauma, le cerf-volant. « Il était pratiqué par les hommes et
les petits garçons. Les cerfs-volants, fabriqués en tapa, étaient de formes
différentes. Ils représentaient tantôt un homme ou une tortue, tantôt une
frégate… Les Polynésiens faisaient voler leurs cerfs-volants à une très grande
hauteur. Quelques-uns étaient de fort grande taille et nécessitaient deux ou
trois hommes pour les tenir. »
Enfants et
cerfs-volants polynésiens vus par Ta’ata
Bien avant l’apparition du premier
avion, le ciel de la
Polynésie se trouvait donc déjà garni, dans l’imagination des Ma’ohi, de
toutes sortes d’engins favorisant les navigations aériennes et les insulaires
prêts à s’intéresser aux oiseaux de l’espace (manu) comme aux pirogues
volantes (pahi-reva)...
Les premiers battements d’ailes
De
1925, date de la première déchirure dans le ciel marquisien, à 1962, quand la
Polynésie fut enfin raccordée au réseau des routes aériennes mondiales, il s’en
est passé des choses dans les alizés…
De
ses débuts à nos jours, l’histoire de l’aviation en Polynésie française peut se
découper en quatre chapitres très différents.
La
première époque, celle des pionniers, est écrite par les appareils ayant, pour
aérogares, des navires militaires de diverses nations, ainsi que quelques
hydravions arrivés par bateaux en pièces détachées. Cette période est marquée
par de très nombreux incidents et accidents.
La
deuxième étape est celle de la création et de l’exploitation de la base de
l’aéronavale de Fare Ute à Papeete. Destinée à accueillir et assurer
l’entretien des hydravions de la Marine nationale, elle reste en service de
1936 à 1942.
Le
troisième épisode de cette saga aérienne, et le plus étonnant, est celui de la
base aérienne de Bora Bora, créée de
toutes pièces par l’armée américaine. Les travaux y débutent en 1942 et elle
sera officiellement en service en Avril 1943. Cette installation sera fermée
par la Navy le 2 juin 1946. Dès lors, elle devient le premier aérodrome civil
de Polynésie.
Enfin,
le 5 mars 1961 s’ouvre le chapitre actuel de notre histoire aérienne avec
l’inauguration du premier tronçon (3 416 mètres) de l’aérodrome de Tahiti
Faa’a. Aérodrome civil dont la vocation est, ne l’oublions quand même pas, d’abord
essentiellement militaire et stratégique puisque sa construction est
directement liée au programme nucléaire français dans le Pacifique sud… C’est à
partir de cette structure fondamentale qu’ont pu, ensuite, naître et se
développer les réseaux aériens internationaux et interinsulaires de Polynésie
pour devenir ce qu’ils sont aujourd’hui.
Le temps des aventuriers
C’est qu’il en est passé d’étranges
oiseaux dans le ciel polynésien entre le 9
septembre 1925, jour du tout premier survol des Marquises, et juillet 1936,
date du premier vol au départ de la base de Fare Ute.
En effet, parallèlement aux
opérations menées par des appareils militaires embarqués sur des navires
essentiellement américains et français, un nombre inconnu d’avions sont arrivés
par bateau en pièces détachées, ont été assemblés sur place et ont écrit les
premières pages de notre histoire aérienne. Alimentant abondamment au passage
la chronique accidents des journaux polynésiens…
A tel point que l’on n’en sait assez
peu à propos de l’aviation civile en Polynésie au cours de ces onze années.
Hormis, bien sûr, la relation détaillée, photos à l’appui, que la presse locale
faisait de tous les incidents ou accidents impliquant des avions…
Il n’empêche que les Polynésiens ont
immédiatement compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de ce moyen de
transport particulièrement adapté aux distances qui séparent nos îles les unes
des autres.
Le temps des hydravions
Curieusement, il faut attendre les
derniers mois de 1929 pour voir le premier hydravion militaire français amerrir
à Tahiti. Il avait décollé du pont du croiseur Tourville naviguant au large de
Fakarava.
De ce jour, le trafic de ces
appareils hybrides ne cesse de se développer, jusqu’à la création de la base
aéronavale de Fare Ute en 1936.
Hélas, cette installation militaire
ne restera en service que six courtes années. Elle est en effet définitivement
fermée en 1942.
Pourtant, de 1929 à 1961, le trafic
aérien interinsulaire polynésien repose presque exclusivement sur ce type
d’appareils. Même le passage du militaire au civil des installations
aéroportuaires de Bora Bora ne freine pas l’exploitation de ces oiseaux dotés
de nageoires.
Petit à petit, avec l’ouverture
progressive de pistes sur des îles de plus en plus nombreuses de nos cinq
archipels, l’hydravion laisse sa place dans le ciel à des appareils
conventionnels. Les dernières liaisons commerciales ont lieu en 1964.
Toutefois, le gros Bermuda continue à servir le CEA (Commissariat à l’Energie
Atomique) jusqu’au 30 septembre 1970. Ce jour là, pour la toute dernière fois,
il rallie Manihi à Papeete. L’histoire des hydravions en Polynésie s’arrête
donc là, avec lui.
On est tout de même en droit de se
demander si, l’évolution technologique aidant, il ne s’agit pas là du moyen de
transport idéal pour notre pays aux 118 îles. En effet : un hydravion ne
demande pas de piste et, en cas d’urgence, peut se poser n’importe où…
Les GI à Bora Bora
Le 7 décembre 1941, la base navale
américaine de Pearl Harbour est bombardée par l’aviation japonaise. En un mois,
le pentagone décide la construction de deux bases aériennes : Aitutaki aux
îles Cook et Bora Bora en Polynésie. Un incroyable chapitre aux conséquences
incalculables de l’histoire polynésienne vient de s’ouvrir.
Deux mois après le drame de Hawaii,
4 500 hommes et des milliers de tonnes d’outils et de matériels débarquent à
Bora Bora… L’installation est opérationnelle en avril 1943, soit après cinq
mois de travaux à peine !
La base est définitivement fermée
après le départ du dernier GI le 2 juin 1946. Cet héritage va changer le cours
de l’histoire polynésienne…
En effet, si la piste principale
n’est réhabilitée qu’en 1958, elle est utilisée en l’état (c’est-à-dire très moyen…)
par des appareils civils dès 1947.
Aujourd’hui, l’aéroport de Bora Bora
n’accueille plus de vols internationaux. Il est toutefois l’un des plus actifs
de toute la Polynésie, mis à part celui de Tahiti-Faa’a bien sûr.
Tahiti-Faa’a : la porte du paradis
Si la décision de construire un
aéroport international en Polynésie est née en 1950, elle est entérinée le 17
juin 1955 seulement par l’Assemblée Territoriale après des débats houleux et
polémiques. C’est donc en août 1956 seulement que le site de Faa’a, à Tahiti,
est retenu.
Il faut dire qu’à l’époque, les
sites d’essais nucléaires en Algérie sont gravement menacés par la situation
explosive que l’on sait. De Gaulle, qui tient absolument à « sa »
force de frappe, valide le choix de la Polynésie pour y déménager les essais
nucléaires français, et donc le projet de l’aéroport de Tahiti-Faa’a, projet
reconnu d’utilité publique par décret du 12 décembre 1958.
A l’image de la piste de Hong-Kong
construite sur l’océan, la piste de Faa’a s’appuie intégralement sur le récif
frangeant immergé par quarante mètres de fond… Les travaux démarrent en mai
1959 et un premier tronçon de piste de 1 965 m. est ouvert au trafic en octobre
de cette même année.
C’est un DC7C de la Compagnie TAI
qui se pose le premier sur cette piste à peine achevée, suivi à quelques
minutes par un Lancaster militaire en provenance de Nouméa.
Il faut attendre 1961 pour voir la
piste rallongée à 3 416 m et permettre au premier avion à réaction de se poser.
Il s’agit d’un DC8 de la TAI et nous sommes le 5 mars 1961.
L’aérogare, elle, ne sera inaugurée
qu’en 1964. En l’attendant, passagers et services administratifs se contentent
d’abris sommaires édifiés sur le motu Tahiri.
Des ailes, des compagnies et des îles
La toute première Compagnie à avoir
établi une ligne régulière avec la Polynésie était Néo-calédonienne et
s’appelait les Transports Aériens du
Pacifique Sud (TRAPAS). C’était
en 1946. Elle utilisait deux hydravions Catalina PBY5A et nécessitait 23 heures
pour rallier Nouméa à Tahiti, en passant par Nandi au Fidji, puis Samoa,
Aitutaki aux îles Cook et enfin (après une nuit de repos permettant d’arriver
de jour) : Tahiti. La Compagnie sera liquidée le 22 janvier 1951.
A titre de comparaison, aujourd’hui,
il faut 22 heures pour rallier Paris à Tahiti à bord des Airbus de Air Tahiti
Nui, en comptant l’escale technique de Los Angeles !
Il serait fastidieux de nommer ici
la totalité des Compagnies qui ont fait escale à Tahiti Faa’a. Nous nous en
tiendrons donc aux opérateurs historiques que sont TEAL, Qantas, Air Tahiti, UTA,
RAI, TAI, Air Polynésie, Lan Chile, Air New Zealand, Air France, Corsair et,
bien sûr, Air Tahiti Nui, la Compagnie polynésienne…
L’éloignement et l’isolement qui
font le charme de nos îles sont en partie responsables de la très aléatoire
survie des sociétés ayant cherché à exploiter la destination Polynésie.
Le nombre très limité de touristes, la
population locale de 270 000 habitants seulement et la situation géographique à
l’écart de quasiment toutes les routes aériennes fréquentées rendent
extrêmement compliquée la rentabilisation de lignes régulières. Toutes les
compagnies ont baissé les bras en face de ces difficultés, à l’exception de Air
Tahiti qui a abandonné totalement les liaisons internationales pour se
consacrer exclusivement aux lignes inter îles ; Air France qui bénéficie du soutien de l’état
français et a obligation, par ses statuts de garantir la continuité territoriale ;
Air Tahiti Nui (ATN), la Compagnie polynésienne qui ne survit que grâce aux
subsides de son actionnaire principal : le gouvernement de la Polynésie.
D’ailleurs, pour qu’ATN puisse exister, le pouvoir politique local (à l’époque
celui de Gaston Flosse himself…) avait dû user de tout son poids et de toutes
les manœuvres (jusqu’aux moins avouables) pour que Corsair baisse les bras et
laisse la place à la Compagnie au Tiare. A cette occasion, ce sont les tarifs
les plus bas sur la destination qui disparurent, empêchant ainsi définitivement
les moins fortunés de s’offrir le voyage. Que ce soit dans un sens ou dans
l’autre.
Pour les liaisons interinsulaires
locales, l’histoire fut tout aussi mouvementée. Toutefois, la situation fut
clarifiée et simplifiée dès lors que Air Tahiti obtint le soutien des autorités
territoriales en échange de l’obligation d’assurer la mission de service public.
Aujourd’hui, les choses sont
claires : Air Tahiti est en position de monopole sur l’ensemble du trafic
local. Air Moorea (filiale de la précédente) n’a pas survécu à la catastrophe
du 9 aout 2007 qui fit vingt victimes. Reste Air Archipels qui n’assure
plus aujourd’hui, pour l’essentiel, que les liaisons inter îles aux Marquises.
Notamment la ligne spectaculaire de Nuku Hiva à Ua Pou.
La sécurité aérienne en question
Si les Polynésiens ont
bien en mémoire les deux accidents dramatiques du 23 mai 2002 (cinq
disparus dans un avion jamais retrouvé) et du 9 aout 2007 (cité plus haut)
et, au-delà des nombreuses ailes brisées lors des toutes premières années de
l’histoire aérienne du fenua, la question de la sécurité aérienne en Polynésie
française est bel et bien posée.
En effet, si aucune
catastrophe majeure impliquant un gros porteur n’a encore assombri notre ciel
tropical, nombreux sont les « incidents » qui auraient pu très mal
tourner. Pour mémoire, nous n’en citerons que deux : Le 12
septembre 1993, à l'atterrissage sur la piste de Tahiti Faa’a, le Boeing
747 d'Air France en provenance de Los Angeles quitte l'axe de piste, roule sur
le terre-plein et plonge dans le lagon. L'avion s'arrête sur la barrière de
corail juste au bord de la passe profonde. Le 23
décembre 2000, c’est un DC 10 de la Hawaiian Airlines qui connaît à peu
près la même mésaventure au même endroit sans faire de victimes.
Ce
dont les médias ne parlent quasiment jamais, ce sont les incidents techniques
qui provoquent des atterrissages forcés. Aux dires de certains employés de
l’aviation civile locale qui souhaitent (on se demande bien pourquoi) rester
anonymes, ces incidents sont beaucoup trop fréquents sur le territoire et
seraient révélateurs de carences d’entretien, tant sur les appareils que sur
les infrastructures aéroportuaires. Ainsi, le 13 janvier
2013, un ATR 72 de la Compagnie Air Tahiti venant de décoller a dû atterrir
en urgence, à l’aéroport de Tahiti-Faa'a, après un incendie sur un de ses
moteurs, un incident qui n'a heureusement fait aucune victime.
Et donc : des ailes et des îles…
Compte
tenu des nombreuses perturbations qui menacent le transport aérien dans le
monde, de la situation géographique très particulière de la Polynésie
française, de la très hypothétique rentabilité des liaisons aériennes avec
notre fenua et des particularismes politico-économiques locaux souvent comparables
à un système mafieux, bien malin celui qui pourrait dire ce que sera le
prochain chapitre de l’histoire aérienne polynésienne…
Des ailes, des îles et des rêves
Pour
ce qui est du passé, je ne puis que vous inviter à consulter le site de la Société
des océanistes qui publie de larges extraits du livre de Patrick
O’Reilly. Mais surtout à vous procurer le remarquable ouvrage de Jean-Louis
Saquet « L’aviation à Tahiti » aux éditions Polymages qui n’a pas quitté mon bureau durant toute la rédaction
de cet article et dont proviennent nombre des illustrations qui l’accompagnent.
Hélas, cet éditeur ne possède pas de site internet. Un seul moyen de le
contacter, son adresse courriel : polymages@mail.pf
.
En
Polynésie française, les liaisons aériennes sont devenues l’un des principaux
piliers de la survie économique, culturelle et sociale. Elles sont pourtant
sérieusement mises en danger par divers phénomènes : la montée des eaux qui menace directement les pistes de
l’aérodrome de Tahiti Faa’a, la flambée des prix du transport aérien lui-même
et, hélas, la corruption qui gangrène le monde politique local et rend
quasiment impossible la gestion saine de la plateforme aéroportuaire comme
celle des deux compagnies locales.
Nous
faudra-t-il, à l’instar de nos ancêtres, être de nouveau cloués au sol et rêver
en jouant avec nos cerfs-volants et nos titiraina ressuscités ?
Un article de Julien Gué
Glossaire :
tupuna : ancêtre, aïeul
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Très beaux souvenirs d'un passé révolu, où semblait facile et où l'amour vrai existait !
RépondreSupprimerMerci Julien pour ce partage !