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dimanche 1 décembre 2013

Tunisie des droits de l'enfant


Un massacre éthique

La Tunisie avait adopté la Convention des Droits de l’Enfant le 26 février 1990. Pendant une certaine période, se profilait un mieux-être. Jusqu’à des jeunes paysannes mineures qui avaient obtenu justice suite à de mauvais traitements parentaux. Tout portait à supposer que la condition des enfants continuerait à s’améliorer. Mais…

« Dans la Tunisie post-révolutionnaire, des aberrations impensables, portant atteinte à l'enfance, de façon préméditée ou par ignorance, ont donné lieu à des produits médiatiques proposés au grand public » constatent les membres de cette « journée internationale des droits de l’enfant », réunis en colloque à Tunis sur le thème : « Médias et droits de l’enfant ».

Carte des droits de l’enfant dans le monde
Il semblerait donc que les acquis en vigueur en Tunisie, depuis vingt-deux ans, en matière de droit de l’enfant, aient subi les pires avanies depuis que le gouvernement provisoire d’Ennadha (Assemblée Nationale Constituante : ANC) a pris le pouvoir de façon plutôt contestable en 2012, en supprimant les élections qui devaient nommer le nouveau gouvernement. Il suffit de suivre l’actualité, bien que parfois censurée ou détournée, pour s’en persuader.

L’enfant : sujet ou objet de droit » ?
A l’occasion de la « Journée internationale des droits de l’Enfant », jour d’adoption de la Convention internationale des droits de l’Enfant par les Nations Unies le 20 novembre 1989, rappelons ce qu’elle stipule : elle affirme « qu'un enfant n'est pas seulement un être fragile qu'il faut protéger mais que c'est un être qui a le droit d'être éduqué, soigné, protégé, quel que soit l'endroit du monde où il est né. Et aussi qu'il a le droit de s'amuser, d'apprendre et de s'exprimer. Ce texte a été ratifié par 191 pays sur 193. Seuls la Somalie et les États Unis ont refusé de s'engager. »

Que sait-on de son enfant ?
Les Associations tunisiennes hurlent leur réprobation, vis-à-vis de l’Assemblée Nationale Constituante, en particulier l’Association Tunisienne de Défense des Droits de l’Enfant (ATDDE).  Elle a fait partie de la Commission chargée des droits et des libertés, mais son analyse est restée lettre morte. Parmi les nouveaux articles de la Constitution que présenterait l’actuelle ANC, l’un d’entre eux est en totale contradiction avec la notion même de l’enfant, personne à part entière :

« Les droits de l’enfant mettent en avant le conflit entre, d’une part, la notion de l’enfant sujet de droits (enfant considéré comme un citoyen à part entière) et, d’autre part, l’enfant objet de droits (enfant à qui l’on accorde uniquement les droits jugés bons de lui être accordés). »

Petit rappel historique des droits de l’enfant en Tunisie :
Parmi les pays à couleur islamique ou géopolitiquement nommés « arabes », la Tunisie était à l’avant-garde. Dès 1956, le Président Bourguiba mettait en place une politique de protection de l’enfance et de la santé de la mère et de l’enfant, ainsi que de prévention : le budget de l’éducation était le plus important !!! De même, le planning familial y œuvrait, une vingtaine d’années avant la France !

Il est des enfants qui s’engagent comme Emna, pour sauver des vies
Malgré la ratification de la « Convention  internationale des droits de l’enfant » par la Tunisie en 1991, les professionnels de l’éducation, des loisirs, de la santé avaient remarqué un « désengagement de l’Etat » sous la dictature Ben Ali, affirme le collectif des Associations. Les moyens éducatifs devenus plus que précaires, les enfants se trouvent en butte à un système éducatif arbitraire qui les désoriente.

Parallèlement la répression est grandissante et touche davantage les garçons : châtiments corporels infligés par certains enseignants et parfois soldés par un séjour aux urgences, mutisme des parents effrayés par le pouvoir de l’autorité, traque policière au domicile des parents. L’excès de brutalité, autant que l’exclusion scolaire et le manque de repères n’ont fait qu’accroître la délinquance, à l’image des maîtres qui s’imposaient en toute impunité.

La « chasse à l’enfant » ne connaît pas de véritables limites. Tabassage dans les postes de police, enfants menottés aux radiateurs, interdiction aux médecins de porter secours aux addictes à la colle, à l’eau écarlate et à l’éther, détention en centre pudiquement nommé « hôpital des enfants malades » où s’exerçaient tous les genres de sévices que vous pouvez supposer. Mais pas de soins quant aux séquelles (altération du système nerveux, de la moelle osseuse, etc…) occasionnées par ces drogues à portée de main.

Ils se donnent en spectacle pour exister
A la croissance des tentatives de suicide chez les jeunes, somatisation de l’angoisse  en troubles fonctionnels, leur basculement dans des pratiques de substitution (repli mystique, addictions à l’alcool et aux drogues), s’adjoignent la dépendance et l’exploitation sexuelle. Sans avenir juridiquement assuré, l’issue est souvent une négation de soi.

L’abus de non-recevoir du Gouvernement de transition
En 2012, l’Assemblée Nationale Constituante tunisienne omet les propositions présentées à la « Commission des droits et libertés ». L’enfant reste donc un sous-citoyen « silencieux ». Avec les Associations, les juristes, les spécialistes de l’éducation et de la santé et selon le Dr. Moez Cherif (voir l’article précédent de Sarah Anouar) : « La réticence envers les droits de l’enfant se base sur les préjugés et les idées préconçues à propos d’une perte éventuelle d’autorité des adultes sur les enfants, sujets de droits. ».

Elles portent l’eau depuis l’enfance
Autrement dit par la TAP (Agence d’information : Tunis Afrique Presse) et l’intervention du vice-président du Comité des droits de l’enfant le lundi 3 décembre 2012 :  « La mouture de l'article 31 de l'avant-projet de constitution, relative aux droits de l'enfant, s'oppose aux principes de la convention internationale ».


Tollé et actions des citoyens
Ceux qui parmi les Tunisiens se scandalisent de la régression socio-politique, ne font justement pas partie des « ignorants ». Héritiers d’une mentalité humaniste, dont les préalables avaient été posés par la SDN (Société des Nations),  perçue déjà depuis presque un siècle, ils continuent le combat, à leur échelle.


Son avenir ?
Ainsi s’exprime une universitaire, Manoubia Ben Ghedahem : « Aujourd'hui: Journée internationale des enfants... c'est la journée de la petite violée à 3 ans, des jardins d'enfants coraniques, des petites voilées, des enfants des rues (plus de 5000), des enfants mal nourris, des écoles qui tombent en ruines, des bébés abandonnés, de tous ceux que tata Sihem* ne regarde même pas. »

« …à ces députés qui se font payer des millions chaque mois sur le dos de notre peuple... mesdames et messieurs, permettez-moi de vous rappeler que ce petit est aussi un tunisien et que c'est pour lui et d'autres, tout aussi démunis, que des jeunes se sont révoltés, ont fait face aux armes de Zaba* et l'ont payé de leur sang et de leur vie... et si vous l'oubliez, nous serons dans l'obligation de vous en faire souvenir... ne nous obligez pas à cela !!! »

A la place du gouvernement, d’autres citoyens mettent en place ou participent à des associations pour mobiliser l’opinion publique autour de projets éducatifs ou pour améliorer la condition des enfants. Ainsi témoigne Lotfi Hamadi : « Les images que vous allez voir, ce n'est pas la vie mais la survie de trop nombreux enfants de notre pays qui devraient, ou plutôt qui doivent être protégés de la violence sociale, de l'indifférence régionale qu'ils subissent toute l'année mais encore plus quand le froid s'ajoute au manque de moyens et à l'absence de confort minimum. »


Le dénuement (Video)
« Je rédige ce week-end le document de présentation de l'action, avant de lancer en début de semaine prochaine un appel afin que les associations et citoyens qui agissent dans les régions nous informent des internats qui nécessitent le plus rapidement de soutien. »

La rage pour les petits
Le constat est lourd. « Avec un ami nous sommes retournés dans notre petite école primaire, à Ben Arous ; super bien reçus, nous avons été étonnés de retrouver les mêmes bancs, les mêmes meubles, les vieilles fenêtres cassées ; le tout dans un sale état !! Et ces petits enfants, tout souriants dans leurs beaux tabliers. On ne peut tout faire, apparemment le gouvernement a d'autres priorités !! »,  s’esclaffe JC Micelli.

Dans cet article, je ne publierais aucune photo d’enfants embrigadés dans des écoles ou des crèches confessionnelles et où les petites filles voilées, vêtues de long, ne jouissent plus de ce droit à l’enfance : ne peuvent plus jouer, ni vivre leur enfance. Ce serait faire de la publicité aux abuseurs… sans compter les abusés qui applaudiraient à la « beauté de ces êtres célestes » !

Et si on les écoutait ? (Association La Voix de l’Enfant à Nabeul)
Le dernier mot à Lotfi Hamadi : « S'il y a en 2013 des gamins de 18 ans qui se font exploser c'est parce que notre société méprise cette jeunesse et se fout de la violence sociale dans laquelle se noient de nombreux enfants. Agissons pour que moins nombreux soient ceux qui se réfugient dans l’extrémisme. Wallah we can ! »

Sans commentaire…


Un article de  Monak

Notes :
Tata Sihem* : La ministre des affaires de la femme et de la famille, Sihem Badi.
Zaba* : sobriquet pour désigner le dictateur Zine El Abidine Ben Ali.


Mes remerciements à  Garance, pour les photos qu'elle me laisse lui emprunter régulièrement

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