Un
massacre éthique
La Tunisie avait
adopté la
Convention des Droits de l’Enfant le
26 février 1990. Pendant une certaine période, se profilait un mieux-être.
Jusqu’à des jeunes paysannes mineures qui avaient obtenu justice suite à de
mauvais traitements parentaux. Tout portait à supposer que la condition des
enfants continuerait à s’améliorer. Mais…
«
Dans la Tunisie post-révolutionnaire, des aberrations impensables, portant
atteinte à l'enfance, de façon préméditée ou par ignorance, ont donné lieu à
des produits médiatiques proposés au grand public » constatent les membres de
cette « journée internationale des droits de l’enfant », réunis en
colloque à Tunis sur le thème : « Médias et droits de l’enfant ».
Carte des droits de l’enfant dans le monde |
Il
semblerait donc que les acquis en vigueur en Tunisie, depuis vingt-deux ans, en
matière de droit de l’enfant, aient subi les pires avanies depuis que le gouvernement
provisoire d’Ennadha (Assemblée Nationale Constituante : ANC) a pris le pouvoir
de façon plutôt contestable en 2012, en supprimant les élections qui devaient
nommer le nouveau gouvernement. Il suffit de suivre l’actualité, bien que
parfois censurée ou détournée, pour s’en persuader.
L’enfant : sujet ou objet de
droit » ?
A l’occasion de la « Journée internationale des droits de
l’Enfant », jour
d’adoption de la Convention internationale des droits de l’Enfant par les Nations
Unies le 20 novembre 1989, rappelons ce qu’elle stipule : elle affirme « qu'un
enfant n'est pas seulement un être fragile qu'il faut protéger mais que c'est
un être qui a le droit d'être éduqué, soigné, protégé, quel que soit l'endroit
du monde où il est né. Et aussi qu'il a le droit de s'amuser, d'apprendre et de
s'exprimer. Ce texte a été ratifié par 191 pays sur 193. Seuls la Somalie et
les États Unis ont refusé de s'engager. »
Que sait-on de son enfant ? |
Les
Associations tunisiennes hurlent leur réprobation, vis-à-vis de l’Assemblée
Nationale Constituante, en particulier l’Association Tunisienne de
Défense des Droits de l’Enfant (ATDDE).
Elle a fait partie de la Commission chargée des droits et des libertés,
mais son analyse est restée lettre morte. Parmi les nouveaux articles de la
Constitution que présenterait l’actuelle ANC, l’un d’entre eux est en totale
contradiction avec la notion même de l’enfant, personne à part entière :
« Les
droits de l’enfant mettent en avant le conflit entre, d’une part, la notion de
l’enfant sujet de droits (enfant considéré comme un citoyen à part entière) et,
d’autre part, l’enfant objet de droits (enfant à qui l’on accorde uniquement
les droits jugés bons de lui être accordés). »
Petit rappel historique des droits de
l’enfant en Tunisie :
Parmi
les pays à couleur islamique ou géopolitiquement nommés « arabes »,
la Tunisie était à l’avant-garde. Dès 1956, le Président Bourguiba mettait en
place une politique de protection de l’enfance et de la santé de la mère et de
l’enfant, ainsi que de prévention : le budget de l’éducation était le plus
important !!! De même, le planning familial y œuvrait, une vingtaine
d’années avant la France !
Il est des enfants qui s’engagent comme Emna, pour sauver des vies |
Malgré
la ratification de la « Convention internationale des droits de l’enfant » par
la Tunisie en 1991, les professionnels de l’éducation, des loisirs, de la santé
avaient remarqué un « désengagement de l’Etat » sous la
dictature Ben Ali,
affirme le collectif des Associations. Les moyens éducatifs devenus plus que
précaires, les enfants se trouvent en butte à un système éducatif arbitraire
qui les désoriente.
Parallèlement
la répression est grandissante et touche davantage les garçons : châtiments
corporels infligés par certains enseignants et parfois soldés par un séjour aux
urgences, mutisme des parents effrayés par le pouvoir de l’autorité, traque
policière au domicile des parents. L’excès de brutalité, autant que l’exclusion
scolaire et le manque de repères n’ont fait qu’accroître la délinquance, à l’image
des maîtres qui s’imposaient en toute impunité.
La
« chasse à l’enfant » ne connaît pas de véritables limites. Tabassage
dans les postes de police, enfants menottés aux radiateurs, interdiction aux
médecins de porter secours aux addictes à la colle, à l’eau écarlate et à
l’éther, détention en centre pudiquement nommé « hôpital des enfants
malades » où s’exerçaient tous les genres de sévices que vous pouvez
supposer. Mais pas de soins quant aux séquelles (altération du système nerveux,
de la moelle osseuse, etc…) occasionnées par ces drogues à portée de main.
Ils se donnent en spectacle pour exister |
A
la croissance des tentatives de suicide chez les jeunes, somatisation de
l’angoisse en troubles fonctionnels, leur
basculement dans des pratiques de substitution (repli mystique, addictions à
l’alcool et aux drogues), s’adjoignent la dépendance et l’exploitation
sexuelle. Sans avenir juridiquement assuré, l’issue est souvent une négation de
soi.
L’abus de non-recevoir du Gouvernement
de transition
En
2012, l’Assemblée Nationale Constituante tunisienne omet les propositions
présentées à la « Commission des droits et libertés ». L’enfant reste
donc un sous-citoyen « silencieux ». Avec les Associations, les
juristes, les spécialistes de l’éducation et de la santé et selon le Dr. Moez
Cherif (voir
l’article précédent de Sarah Anouar) : « La réticence envers les
droits de l’enfant se base sur les préjugés et les idées préconçues à propos
d’une perte éventuelle d’autorité des adultes sur les enfants, sujets de
droits. ».
Elles portent l’eau depuis l’enfance |
Autrement
dit par la TAP (Agence d’information : Tunis
Afrique Presse)
et l’intervention du vice-président du Comité des droits de l’enfant le lundi 3
décembre 2012 : « La mouture
de l'article 31 de l'avant-projet de constitution, relative aux droits de
l'enfant, s'oppose aux principes de la convention internationale ».
Tollé et actions des citoyens
Ceux
qui parmi les Tunisiens se scandalisent de la régression socio-politique, ne
font justement pas partie des « ignorants ». Héritiers d’une
mentalité humaniste, dont les préalables avaient été posés par la SDN (Société des
Nations), perçue déjà depuis presque un
siècle, ils continuent le combat, à leur échelle.
Ainsi
s’exprime une universitaire, Manoubia Ben
Ghedahem :
« Aujourd'hui: Journée internationale des enfants... c'est la journée de
la petite violée à 3 ans, des jardins d'enfants coraniques, des petites
voilées, des enfants des rues (plus de 5000), des enfants mal nourris, des
écoles qui tombent en ruines, des bébés abandonnés, de tous ceux que tata Sihem*
ne regarde même pas. »
« …à
ces députés qui se font payer des millions chaque mois sur le dos de notre
peuple... mesdames et messieurs, permettez-moi de vous rappeler que ce petit
est aussi un tunisien et que c'est pour lui et d'autres, tout aussi démunis,
que des jeunes se sont révoltés, ont fait face aux armes de Zaba* et l'ont payé
de leur sang et de leur vie... et si vous l'oubliez, nous serons dans
l'obligation de vous en faire souvenir... ne nous obligez pas à
cela !!! »
A
la place du gouvernement, d’autres citoyens mettent en place ou participent à
des associations pour mobiliser l’opinion publique autour de
projets éducatifs ou pour améliorer la condition des enfants. Ainsi témoigne
Lotfi Hamadi :
« Les images que vous allez voir, ce n'est pas la vie mais la survie de
trop nombreux enfants de notre pays qui devraient, ou plutôt qui doivent être
protégés de la violence sociale, de l'indifférence régionale qu'ils subissent
toute l'année mais encore plus quand le froid s'ajoute au manque de moyens et à
l'absence de confort minimum. »
Le dénuement (Video)
« Je
rédige ce week-end le document de présentation de l'action, avant de lancer en
début de semaine prochaine un appel afin que les associations et citoyens qui
agissent dans les régions nous informent des internats qui nécessitent le plus
rapidement de soutien. »
La rage pour les petits
Le
constat est lourd. « Avec un ami nous sommes retournés dans notre petite
école primaire, à Ben Arous ; super bien reçus, nous avons été étonnés de
retrouver les mêmes bancs, les mêmes meubles, les vieilles fenêtres cassées ;
le tout dans un sale état !! Et ces petits enfants, tout souriants dans leurs
beaux tabliers. On ne peut tout faire, apparemment le gouvernement a d'autres
priorités !! », s’esclaffe JC
Micelli.
Dans
cet article, je ne publierais aucune photo d’enfants embrigadés dans des écoles
ou des crèches confessionnelles et où les petites filles voilées, vêtues de
long, ne jouissent plus de ce droit à l’enfance : ne peuvent plus jouer,
ni vivre leur enfance. Ce serait faire de la publicité aux abuseurs… sans
compter les abusés qui applaudiraient à la « beauté de ces êtres
célestes » !
Et si on les écoutait ? (Association La Voix de l’Enfant à Nabeul) |
Le
dernier mot à Lotfi Hamadi : « S'il y a en 2013 des gamins de 18 ans
qui se font exploser c'est parce que notre société méprise cette jeunesse et se
fout de la violence sociale dans laquelle se noient de nombreux enfants. Agissons
pour que moins nombreux soient ceux qui se réfugient dans l’extrémisme. Wallah
we can ! »
Sans
commentaire…
Un article de Monak
Notes :
Tata Sihem* : La
ministre des affaires de la femme et de la famille, Sihem Badi.
Zaba* : sobriquet
pour désigner le dictateur Zine El Abidine Ben Ali.
Mes
remerciements à Garance, pour les photos
qu'elle me laisse lui emprunter régulièrement
Tous droits réservés à Monak. Demandez l’autorisation
de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur
Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.
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