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mercredi 6 novembre 2013

Tunisie, le vrai visage de la misère


Les images de la vie

La Tunisie va de l'avant, quoi qu'il arrive... Malgré son inscription dans le modernisme, elle présente au quotidien, le tableau de la dissonance. La routine qui semble s’ancrer met en lumière une certaine âpreté due à la misère. La cohésion familiale fait le reste, ainsi que la « débrouille ».

La douceur de vivre, si elle s’apparente au climat et resurgit au petit bonheur, ne fait pas toujours partie du lot quotidien. Car si la classe moyenne a tendance à se développer, elle se trouve en butte aux embûches pécuniaires. La Tunisie, c’est aussi la vitrine idyllique du luxe touristique à portée des étrangers, qu’ils viennent du Golfe arabique ou d’Occident, côtoyant une majorité de petites gens.

Enfant endormi sous charrette de  bric et de broc
Malgré la morosité ambiante qui ferme les visages quand chacun se trouve seul à vaquer à ses occupations, la jovialité immanente au caractère méditerranéen éclate comme une déflagration à chaque coin de rue. Le Tunisien aime la compagnie. Rien ne se décide sans l’accord du clan et pour les  jeunes générations sans le chorus des amis.

Le jasmin, la chicha, les cartes…
En pleine adéquation avec la tendance hédonique du Tunisien à la procrastination, qui remet au lendemain et étire le temps, le jasmin à l’oreille, le verre de thé interminable et la chicha (narguilé) rythment la vie coutumière. A la suite de Zoubéir Turki et de Gorgi s’esclaffant : « Je ne dessine pas le vendeur de jasmin, je dessine le parfum du jasmin », la peinture continue à l’immortaliser.



Hedi Jouini, le jasmin et les calligraphies de Nja Mahdaoui
Qui ne se berce encore aux accents de « Taht al Yasmina (الياسمينة تحت) » (« Sous le jasmin »), chanson phare composée par Hedi Jouini dans la 1ère moitié du XXème siècle ? Car les Tunisiens chantent : en famille, à la veillée, aux fêtes, entre amis… Et ce jasmin les identifie.

Une de ces multiples chansons d’amour populaire où l’amoureux éploré, consolé par les fleurs, chante sa peine sous le ciel nocturne dépourvu de lune et pleure le manque qu’il éprouve pour elle… Mais si le Tunisien est sentimental et se complaît aux chansons élégiaques, il trouve d’autres ressources dans l’humour.

 Il est le premier à rire des travers de la vie et de ses propres faiblesses. L’incongruité émaille son environnement. S’il sait faire feu de tout bois, c’est parfois à ses risques et périls. Ainsi s’emploie-t-il à aménager le domicile familial, sur le principe des extensions. Ce n’est pas toujours du plus bel effet. Mais c’est efficace. Tout est à récupérer, les objets, les véhicules, l’espace vital.

Comme un château de cartes
Cependant, l’infrastructure publique ne fait pas défaut au territoire. Il est aménagé de grands barrages, de ponts audacieux, de gratte-ciel et de bâtiments des plus fonctionnels à l’architecture prestigieuse. Mais ce n’est pas ici notre propos.

Sans nul doute, le pays ne fonctionne pas sur la même longueur d'onde. Certains n'hésitent pas à accentuer les clivages, à renforcer l'inadaptation. Il n’est pas si rare de voir une charrette traverser l’autoroute. Question de hiatus entre la frange modernisée et le monde hermétique de la paysannerie démunie ! Le particulier, lui, doit subvenir, sans de réels moyens, aux nécessités de toutes sortes. Et il s’en accommode.  Demain est un autre jour.

Un jeu de dés…
Comme les Tunisiens ne cessent de le répéter : « Dieu y pourvoira ! ». La chance, ils en ont sacrément besoin ! Mais il faut la solliciter et ils s’y emploient sans baisser les bras. Le jeu de carte, les osselets, les dominos, sont des moyens pour traiter d’affaires. La baraka (la chance), ce n’est pas seulement que pour le loisir. L’avenir se joue sur le tapis.

Les affaires se jouent au café
Le troc fait partie des affaires courantes : le marché aux puces, comme les multiples réparations et rénovations d’appareils ménagers sont monnaie courante. On ne jette rien on transforme. Pas de gaspillage. Tout est réutilisé moult fois. On a même vu des carcasses d’habitacles de voitures, tirées par des ânes : en guise de tracteur défiant les averses.

Peu d’usines de fabrication, ainsi faut-il pallier aux importations. L’amortissement est indéfini et la durée de vie des engins motorisés semble aller au-delà de toute limite. Si le Tunisien est roi du bricolage, il fait preuve d’ingéniosité.  De surcroît, il fait partie de ces as du marchandage. Toute denrée, toute bête sur pieds, tout ce qui se consomme s’achète, rarement au prix indiqué.

Bric-à-brac : tout est bon !
Les négociations interminables font partie de cet emploi du temps journalier. Il faut dire que la parole est dotée de sacralité. On ne joue pas avec les mots lors de tractations. Chaque terme se soupèse avant même d’être prononcé. Tout est finesse de pourparlers. Mais que le visiteur se rassure !

Le Tunisien est avant tout serviable et il offre son aide en cas de petite panne en toute gratuité ! Mesdemoiselles, Mesdames, vous pouvez crever sur la route : jamais, vous n’aurez à toucher le pneu. Il vous suffit de savoir où se loge votre cric.

L’étal au grand-air
La délicatesse ne semble pas affecter le commerce de l’alimentaire. D’une part, tout est question d’exception en Tunisie ; d’autre part, la confection domestique des repas fait preuve de raffinement. Encore une contradiction à laquelle il faut s’accoutumer. Si les grands marchés, les halles couvertes municipales, les grands magasins sont soumis à contrôles sanitaires en ville, dès que vous vous enfoncez dans le terroir, les normes semblent s’être perdues sur le trajet.

Le bétail au porte-à-porte
Ainsi, si les rites du « sacrifice du mouton » (Aïd El-Adha) sont scrupuleusement suivis car l’égorgeur se tient à la lettre aux prescriptions coraniques, la totalité de l’abattage s’effectue au domicile du client. Ensuite, que la bête soit dépecée dans le jardin ou dans le garage est du ressort du chef de famille : à la hache, au couteau, sur une pierre, sur un billot, sur une bâche, etc.

Boucherie à tous vents
Il n’est pas que la viande qui nous nargue à l’étal sans vitrine.  Il est vrai qu’elle est souvent vite réquisitionnée par la clientèle. Les jours d’approvisionnement et de débitage sont connus et les ménagères font la queue dès l’aurore. Précaution indispensable, la viande est lavée avant cuisson.

Au petit bonheur des odeurs
Le charme des légumes et fruits des quatre saisons, ce sont ces petites roulottes de colporteurs. Ces sandwicheries même dimension qui s’outillent de friteuses. Le Tunisien ne recule devant aucune peine et il n’est que les kaftéjis (beignets à la viande) qui soient de petite taille. Le sandwich tunisien, de dimension plus qu’honorable, déborde de légumes ou de frites.  

Mobylette à étal de fruits
Les étals d’épices, de saumures et de fruits secs chatouillent vos papilles immanquablement : des carroubes aux figues et aux dattes de lumière (Deglet Nour). Et chaque région offre ses spécialités : du poisson à la viande séchés. Les piments sont doux ou forts ! N’hésitez pas : demandez...

Les héros incontestables de l’alimentaire, ce sont aussi les camionnettes. Qu’elles soient 404 (bâchée ou pas) ou Isuzu : elles se  nomment « bachis ». Et leur arrivée déclenche l’affluence : un label de fraîcheur. Toutefois si le soleil ne tape pas trop fort sur la marée. L’usage  des pains de glace est impressionnant et les camionnettes jouent les dégoulinures. 

« Mitsubâchi » aux poissons
Vous vous sentez dépaysés ? Vous n’êtes plus habitués à la dimension humaine ? Le minuscule associé au rapport de proximité, tout un apprentissage où vos interlocuteurs ne manqueront pas de vous lancer quelques mots de français, d’italien, d’anglais. Le Tunisien vit à l’heure de la mondialisation.

Tout comme les salades de tomates coupées en dés lilliputiens, il vous faut admettre que tout se mesure à dose miniature. Les boutiques sont des mouchoirs de poche, occupant des couloirs, les restaurants de plein-air une impasse. Ils débordent car les femmes du peuple répugnent à entrer dans un lieu fermé. C’est souvent sur le seuil qu’elles hèlent le commerçant. Comme si l’espace privé était tabou.

De l’utilisation spécifique du tabouret
S’avère donc que la rue représente un espace de vie et ménage bien des occupations, comme dans un endroit familier. Mais attention : le paradoxe s’incarne avec force nuances. L’espace où tu es vu est une sorte de sauf-conduit. On ne peut douter de ta probité.

L’espace de chacune…
Sauf que tout n’est pas permis et que la pudeur domine. On s’y habille (par-dessus son costume), on s’y désaltère, on s’y fait dépoussiérer les chaussures, on y prend au vol une tasse d’eau…

Le vendeur à la sauvette et les petits-métiers y pullulent, sauf pour les enfants d’âge scolaire. Sauf que chacun sait que la petite pièce pour le jeune gamin qui vend des fleurs, l’aidera à s’assurer la tranquillité paternelle et une miette de subsistance, face au chômage. La pitié l’emportant sur le droit.

Les figures récurrentes qui vivent la rue sont souvent mobiles, comme le cireur de chaussures, le marchand de sucreries ; le kiosque à journaux par contre est fixe ; même si les cabines sont sur roulettes. 

Le thé au kiosque…
Le tabouret marque une certaine hiérarchie chez les crieurs de rue : à la différence des plombiers, des maçons, installés sur leur carton dès l’aube, avec outils et matériel et qui ne travaillent que de jour.

Ce qui dénote aussi leur appartenance à la rue, c’est ce petit verre de thé ou de café… Ils trompent la faim, donnent un coup de fouet. Certains vendeurs s’organisent en famille, en équipes pour que l’échoppe reste ouverte. A moindres frais.

Ils ferment tard ou pas. Qui dit journal, dit tabac, cigarettes vendues à l’unité, boissons, friandises, chewing-gum et livraison des quotidiens en pleine nuit. N’arpenteront plus les rues que les cireurs, parfois aussi vendeurs de cigarettes au noir.

Des cireurs de souliers non-stop
En ville,  ne restent allumées que les réverbères et les devantures des magasins clos.

Sous les porches, dort la misère. D’un œil. Comme le mini kiosque qui semble veiller.



Un article de  Monak


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