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vendredi 1 novembre 2013

Tunis, la guerre des monuments


L’horloge de la discorde

Le temps de la discorde entre Bourguiba et Ben Ali étant révolu à la fin précipitée du règne du second chef d’Etat tunisien, reste à débattre de cet objet monumental, censé donner l’heure, qui trône encore sur la place du 14 janvier 2011 à Tunis.

Toujours sujette à contestation depuis son érection, l’horloge (Mongalla en tunisien), qui a perdu son titre initial de « 7 novembre », demeure bien l’horloge de la discorde.

La Mongalla en sa forme « tabouret du 7 novembre »
L’histoire des dictateurs, mégalomanes de surcroît, nous ménage bien des aberrations. La curieuse chronique de la « Mongalla du 7 novembre » ne saura que vous en persuader. Car, pour être incroyable, elle connait des rebondissements, même après la fuite de son commanditaire !

Les Tunisois l’ont toujours dénigrée et je les entends rire sous cape, dès qu’ils prononcent le mot fatidique : « mongalla » (prononcez : monguella). D’abord, parce qu’elle est l’épine plantée dans 23 ans d’absolutisme, ensuite, parce que l’heure exacte représente un exploit dans la culture méditerranéenne.

De l’heure de gloire…
Le feuilleton se déroule en deux étapes distantes d’une trentaine d’années. La première débute avec les péripéties d’une sculpture équestre. En ce 1er juin 1955, le port de la Goulette est en ébullition: tout ce qui flotte carillonne, corne, accueille son héros. Bourguiba est de retour ! Environ dix mille citoyens, toutes confessions comprises, acclament leur indépendantiste.

La chevauchée du « Leader »
Libre enfin, il débarque de l’île déserte de la Galite (une centaine de kilomètres du Cap Bon) où l’avait assigné le protectorat français : une dernière captivité de trois ans. Chargé par le Bey de former le gouvernement de la future Tunisie indépendante, son retour le mène au palais beylical de Carthage, puis par la rive nord du Lac de Tunis, vers la capitale. "Le cortège gagne Tunis en contournant la médina jusqu’à la place aux Moutons, poursuit le reporter du Monde. Bourguiba doit parcourir quatre kilomètres sur le cheval où l’ont hissé ses supporters".

 « Grâce aux leçons d'équitation prises au château de La Perte, le « Combattant suprême » monte un cheval blanc pour son entrée triomphale dans Tunis, sitôt débarqué du Ville d'Alger, le 1er juin 1955. Le cavalier et sa monture, immortalisés dans le bronze, se dresseront… » place d’Afrique à Tunis. L’anecdote devient légende.

L’itinéraire de retour sur Tunis
La statue équestre de Bourguiba, réalisée par le sculpteur Hechmi Marzouk, vient vite remplacer celle de Jules Ferry. En bronze, « elle tourne le dos à la mer (à la France) et  elle montre du doigt la medina. Ainsi, à la figure du serviteur de la République (Ferry), qui a donné la Tunisie à la France, se substitue celle de celui qui a rendu la Tunisie à elle-même. »

A l’autre bout de l’Avenue Bourguiba qui traverse le tout Tunis de l’époque et établit la jonction entre la rive du lac et la vieille ville, la statue fait face à celle d’Ibn Khaldoun : historien, philosophe, diplomate et politique du XIVème siècle, Tunisois lui-même.

La statue triomphale
Les Tunisiens ne manqueront pas d’épiloguer avec humour sur le duo de bronze et les échanges imaginaires qu’ils entretiennent. Un dialogue qui en dit long sur la reconnaissance et le legs d’un passé prestigieux dont Bourguiba se revendique le digne héritier et exhume les vestiges. L’aura d’Hannibal plane sur la Tunisie recouvrée. Le tribun se met à l’œuvre : trente-et-un ans pour déconditionner un peuple de son complexe de colonisé.

… au glas du coup d’Etat
La leçon est bien acquise par le bras droit du « Leader » de la république, Ben Ali. Cumulant les fonctions de ministre de l’intérieur, puis de premier ministre, issu de et renforcé par l’armée, bardé d’une police politique des plus répressives, il prend le pouvoir le 7 novembre 1987. Un coup d’Etat qualifié de « médical », sous prétexte d’altération des fonctions mentales de l’octogénaire.

Le manège du 7 novembre par _Z_
Moins d’un an après, le 11 octobre 1988, le président autoproclamé, pressé d’effacer toute trace de celui qui a mené à terme l’Indépendance de la Tunisie, en fait déboulonner la statue pour y fixer une horloge bien étrange.

En ce premier anniversaire, « l’ère du changement » fait retentir un bien autre son de cloche ! Trône, sur la place rebaptisée « du 7 novembre », un édifice bien laid. Les Tunisois le surnomment : le « réveil-matin », le  « tabouret-du-7-novembre », « la pince à linge »… et le taxent de bien d’autres sobriquets.

A l’heure du 7 novembre !!!
C’est alors que se développe sur tout le territoire, un gigantesque culte de la personnalité : souvent de mauvais goût. Jusqu’aux boucheries qui s’affublent de cet emblème du « 7 novembre ». Les Tunisiens s’en amusent, dénonçant, par le terme de « boucherie » l’image même de cette dictature.

Mais le comble, pour un dictateur qui dépose son prédécesseur pour sénilité, c’est qu’il entretient avec le chiffre 7, une « fêlure » monomaniaque. En effet, la Mongalla est dotée d’un cadran dont « le 7 est gravé en lieu et place du 6 » ! Le succulent article d’Elodie Auffray, agrémenté de vidéos, retrace cet épisode qui va durer 23 ans.

Avenue Bourguiba, la perspective du lac
Ben Ali inaugure le 3ème millénaire en troquant la première horloge par une nouvelle (2001), en forme d’obélisque ! Entre Big Ben et l’Empire State Building, la mythomanie sonne à toute volée : habillée d’une carcasse métallique, se mirant dans un bassin, elle s’anime de jets d’eau illuminés.

La réhabilitation manquée…
En même temps, les effigies multiples de Bourguiba disparaissent nuitamment de toutes les villes, sans que nul ne puisse savoir ce qu’elles deviennent. Seul, le fracas des engins accompagne le cauchemar des habitants. Impossible de faire une photo, la police veille ! Le pire surviendra, après son assignation à résidence à Monastir, avec sa mort (6 avril 2000) puis ses funérailles escamotées. La farce est à son comble, comme le relate Amor Chadli.

Avenue Bourguiba, dos à la medina
Après la destitution de Ben Ali, les révolutionnaires ambitionnent d’associer à la place de la nouvelle libération renommée « Place du 14 janvier 2011 », l’image équestre du libérateur de la Tunisie. Le projet avorte. Certains annoncent le retour de la statue équestre, d’autres son exil à l’entrée du Port de la Goulette, d’autres encore sa chevauchée vers Monastir…

Toujours est-il qu’il semble que les statues ressurgissent et qu’en 2013, l’une d’entre elles figurerait au musée Bourguiba, (Beït Bourguiba). Le devoir de mémoire est sauf et les oreilles m’en tintent !

Les bourdons de l’horloge
Fatalité ! Les péripéties de la Mongalla semblent se perpétuer sur un mode des plus délirants. En effet, le 25 mars 2012, les salafistes jouent les prédicateurs en haut du minaret improvisé de l’obélisque. Complètement anachronique, cette démonstration de force qui n’impressionne personne est largement conspuée par les médias et les badauds ébahis. Tout au plus une manœuvre « à remonter le temps ».

L’horloge « à remonter le temps »

A croire que le temps se fut arrêté à l’heure de l’illettrisme, de la razzia, de l’intolérance, de l’inégalité sexiste et autres circonvolutions d’une théocratie qui n’assied son pouvoir que sur le mutisme imposé à toute autre forme d’opinion. Le troisième « régime », dit de transition (2011-2013), que désigne l’actuelle Constituante (nommée pour un an), semble tout à fait nier la notion actuelle de calendrier ! Il devient élastique et condamné à perpétuité ! Serait-il « en perdition » ?



Le temps se doit-il ces assauts ? Les révolutionnaires tunisiens (2010-2011) y ont répondu autrement, avec ces quelques vers d’Abou Kacem El Chebbi, tirés de « La volonté de vivre » pour devenir leur hymne :

« Lorsque le peuple un jour veut la vie

Force est au destin de répondre

Aux ténèbres de se dissiper

Aux chaînes de se briser... »

        Quel scénario pour cette tour qui n’a d’infernal que le dérapage qui mène de la dictature à l’obscurantisme ? Celui d’un thriller virtuel ? D’autant que l’obélisque n’a jamais eu d’autre valeur que celle de la honte et ne signifie rien pour les Tunisiens.


Un scénario virtuel 
Alors ? A quand le prochain épisode ? Une tournelle entrelacée de jasmin, fleurant la liberté et le « Printemps de la Tunisie » ?


Un article de  Monak

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