« Le Bel Indifférent »
façon Julien Gué
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rajeunie du « gigolo » des années 40, le « Bel
Indifférent » fait son entrée au Morrison’s Café à Papeete. Tango,
fitness, glamour, le jeune premier de
l’affiche « prend son pied à tourmenter ces dames, à les rendre folles, à les malmener » !
Le mal d’amour pleins feux !
C’est
là que l’audace du metteur en scène gère la crise et la piste. Fallait quand
même oser, dans la même représentation, jeter en pâture deux versions du même
monologue sans en changer un iota !
Julien
Gué inaugure : en toute liberté de metteur en scène ! Toute
modification étant visuelle il est conseillé au public d’y venir goûter les
atmosphères ! Du spectacle, il y en a !
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Le déclic de la scène ! |
Jean
Cocteau est cet étonnant auteur qui porte au théâtre des personnages en quête
d’interlocuteur. Pièce de
théâtre courte, celle-ci s’autorise les paroxysmes. Alors, pas l’ombre d’un
ennui à l’horizon.
L’association
Horo’a, donne, partage, échange ce moment fulgurant. Trois acteurs pour
deux rôles ? Deux couples et un acteur qui se dédouble : avec Léonore
Caneri – Rai Tevaearai et Hélène Boyancé – Rai Tevaearai (encore !).
Plus flatteur, tu meurs !
En plein dans son élément « bars et boîtes de nuit
», empruntant deux facettes, le personnage inaccessible, « hautain », draine
dans son sillage « deux hystériques de la vie ». L’acteur Rai
Tevaearai « se fait violence pour assumer une autre personnalité » car :
« chacune de mes partenaires dégage tellement d’émotion, de rage et d’amour
en même temps que j’ai du mal des fois à rester de marbre ».
Un rôle muet, pivot de la pièce, c’est déjà un
challenge pour un « hyperactif » que de « rester
passif » ! Mais quand il doit passer d’un rôle à l’autre, du
« danseur de tango argentin au boxeur, « c’est assez bizarre »,
il s’efforce de ne pas « se perdre » en jouant sur les « mimiques
et les non-dits »
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Rai Tevaearai : L’acteur et son double ! |
Il pourrait devenir « schizo» mais Julien lui
offre l’occasion de jouer différemment dans chacune des versions : « la
condescendance du premier » évolue vers « l’insouciance du second ».
Leur tenue, leur posture, leurs attitudes permettent de les distinguer.
Flatteur, le rôle-titre ? A n’en pas douter : Rai ne se lasse pas de
ce plaisir ludique.
Dans les secrets de Julien Gué
Ce n’est pas Exercices
de Style à la Queneau, mais ce drame de la vie tire de son traitement exacerbé
des antagonismes un humour décapant ! Florence Guettaa, le traduit bien
dans la conception de l’affiche. Souffleuse de ces dernières semaines, elle insiste
sur la « valorisation des acteurs par le metteur en scène » : des
morceaux de bravoure. Ce n’est pas seulement le mutisme de l’Emile qui donne le
rythme, mais comment Julien l’a conçu. « Mutité ne signifie pas absence
et c'est le paradoxe de ce rôle », souligne
Hélène. Emile devient imprévisible.
Julien Gué axe le spectacle sur des performances
d’acteur. Les trois interprètes se surprennent d’abord eux-mêmes car leur rôle
les mène à l’opposé de ce qu’ils sont dans la vie. De l’originalité ? Oui.
Julien Gué se retranche derrière « un pari d’acteur ». « On aurait pu
choisir un autre parti de mise en scène. On peut toujours faire autrement. Mais
son choix me convainc et me convient », ajoute Hélène.
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Julien Gué : un défi permanent ! |
« Les cassures de rythme dans le monologue sont
essentielles et une grande partie du travail repose dessus. Après, garder des
trouvailles au millimètre près relève de l'exploit. Je suis épatée ! »,
commente Flo. « Les deux ambiances rétro-tango / contemporain », avec
ce clin d’œil au Cerdan d’Edith Piaf, « montrent combien ce texte reste
d'actualité »
Léonore et le déni de soi
Léonore en vient à soupeser le degré d’inhumain dans
des relations si humaines ! Sous totale emprise, entre névrose et hystérie,
« l’abnégation de cette femme qui la mène au bord de la folie est
terrifiante. » Voilà, tout est dit : Léo admire la lucidité de
Cocteau, se fascine et rejette à la fois ce rôle de « femmes qui croient
qu’elles n’ont pas le choix, qui s’accrochent à la destruction comme une raison
de vivre… à cette folie autodestructrice au nom de l’amour ».
Le détachement, l’insensibilité inébranlable de son
partenaire masculin « provoquent une colère rageuse, font exploser toutes
tes émotions, te font sortir de toi-même, te rendent borderline. » On s’y
éclate, mais le thème, tel qu’il est abordé est sujet à réflexions.
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Léonore Caneri et l’addiction à l’Amour
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La conception du metteur en scène sur ce personnage
l'a étonnée et aidée à la fois. « Surprise parce que ses valeurs à lui ne
sont pas les miennes », parce qu’il est difficile de se couler dans le
moule conçu par un autre (et qu’on s’en défend), « et aidée parce qu’on
patauge dans la semoule avec un texte pareil : cette femme me fait pitié,
j’ai envie de la secouer comme un prunier, elle n’existe pas, elle est perpétuellement
dans le déni, elle n’existe que par lui et ça… »
Hélène et « l’innommé »
Hélène semble vivre autrement l’expérience de la
scène. « Si je me suis lancée dans cette aventure, c'est qu'elle
m’implique avec mes amis : Julien, Léonore, Rai. Avec d'autres j'aurais
sans doute renoncé. Ces coïncidences de personnes, de lieux, et de temps, ne
sont pas si fréquentes qu'on le croit. »
« J'ai une grande confiance dans les qualités
de Julien en tant qu'homme de théâtre, pas seulement du fait de son expérience,
mais parce qu'il a de cette activité humaine, il dirait art, une vision qui me
correspond. Il s'attache à l'essentiel, il ne fait pas de concessions. Nous
jouons, mais ne faisons jamais semblant. Nous proposons, il dispose. Il attend
la justesse, que l'innommé jaillisse. Il a une grande intelligence du texte et
de l'acteur. »
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Hélène Boyancé et une « présence » qui déhotte |
Le rôle de l’équipe est prépondérant : « Si
Rai ne m'écoute pas je le sais, comme il sait que je suis dans le rôle ou non. Et
je dois également sentir son indifférence : paradoxe du comédien comme dit
l'autre (Diderot)… éprouver sans éprouver tout en éprouvant ». Son
personnage « décide d'essayer de le sortir de son mutisme méprisant et de
le faire réagir. Elle décide de "vider son sac". Mais elle n'arrive
pas à le faire bouger d'un pouce et continue à l'aimer, vaincue à la fin du
monologue. Pendant tout le trajet logorrhéique qu'elle suit, elle passe par
toute une série de sentiments, de regards qui font la richesse et la difficulté
du texte. Amour, haine, colère, ironie, moquerie, énervement, détresse, supplique,
car l'attente toujours insatisfaite qu'elle a de lui » l’aliène (la rend autre
et dépendante à la fois).
Je t’aime, moi non plus !
La même soirée, deux versions du même texte vous
induisent vers le huis clos des couples. Mais au-delà de la vérité psychique,
c’est d’images coups de poing dont il s’agit. Un spectacle en feu d’artifice et
le bouquet !
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Machisme et dérision ! |
Le bouquet final, ce retournement qu’évoque
Léo : « Ses contradictions sont pénibles, son chantage affectif
insupportable et donne envie d’apprécier cet Emile qui la bafoue ouvertement.
Et cette dernière phrase résume à elle seule l’esprit du spectacle : « Emile je t’en conjure c’est trop atroce,
Emile reste ! Emile regarde moi, j’accepte. Tu peux mentir mentir mentir et me
faire attendre, j’attendrais Emile, j’attendrais autant que tu voudras… ».
Le « autant que TU voudras », est abominable ! Il eût été moins
dur à dire si Jean Cocteau avait écrit : « autant qu’il le faudra »…
Bon spectacle à tous !
Un article de Monak
PS : Les photos qui accompagnent cet
article ont été réalisées pendant les répétitions, donc sans décor ni costume.
Tous
droits réservés à Monak. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute
utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet ou dans la
presse traditionnelle.
Je tiens particulièrement à remercier les acteurs, la souffleuse-photographe et le metteur en scène, d'avoir répondu avec autant de complétude et de sérieux à ma série de questions.
RépondreSupprimerAu point où j'aurais pu écrire des articles indépendants avec chacune des interviews. Ils ont tous accepté de prendre du recul en pleine période d'intense construction et de mise à l'épreuve de leur personnage et de me livrer, leurs bonheurs, leurs difficultés, leurs incertitudes, leurs complicités.
Hélas ! il m'a fallu tronquer !
Ils m'ont mise dans le bain à donffffffffff. C'est, à n'en point douter, la raison pour laquelle Flo a trouvé que cette présentation "résume parfaitement ce que l'on ressent en voyant la pièce".
A toute l'équipe, à la fois lucide et embarquée dans un grand maelström de sensations et de sentiments, j'exprime ma gratitude et leur déclare combien je suis touchée.
Monak