Le Creusot festif
Dans
cinq jours de cette année-là va sonner la fin de la Sarkozie* et des dérives
d’un régime bling-bling voué à l’empire de l’argent. Mais nul ne le sait
encore.
Comment l’aspect revendicatif se coule-t-il
dans une manifestation essentiellement culturelle ? C’est ainsi que cet
événement s’inscrit dans le mouvement ouvrier.
Le Creusot, ville segmentée en deux par ce qui
subsiste du vaste fief industriel Schneider, se redistribue entre Areva,
Arcelor Mittal, Snecma et quelques autres. Un immense et long couloir (de
quelques 30 lieues, une vraie légende !) en a fait sa prospérité. Mais aussi
son mutisme, sous la tutelle d’un paternalisme politique avant les premières
crises de la sidérurgie.
Les sentinelles des cheminées sur le parc de la Verrerie |
De part et d’autre des murs d’enceinte, encore
alimentés par la rumeur des machines, les Creusotins s’égaient ce 1er
Mai 2012. Il n’est jamais de silence sur les congés, même au Parc de la
Verrerie maintenant légué à la ville : le vrombissement lancinant dans les
graves accompagne le chant des oiseaux. On s’y habitue, on ne s’y fait pas.
Est-ce la raison pour laquelle, depuis 40 ans,
le 1er mai se déporte à la périphérie ?
Le festif à la clé… des champs
Pourrait
s’argumenter encore autrement cette balade aux champs.
Elargir
les horizons au-delà du marteau-pilon
géant (datant de 1876) emblème de la ville, délogé des fabriques et exposé au
rond-point. Mais peut-on s’affranchir vraiment de la devise bi séculaire et
injonctive de la cité : « Fac ferrum, fer spem » (« Travaille le
fer, porte espoir ») ?
Fuir
le patrimoine Creusot-Loire de l’économique, de l’immobilier, du quotidien,
depuis que la municipalité s’est détachée de l’emprise politique des mythiques capitaines
d’industrie et rassembler, au grand air, dans la commune limitrophe du
Breuil, la population disséminée sur les villes dortoirs et agricoles de la
région.
La
fête des travailleurs s’ébat au parc du Morambeau : cadre forestier,
environnement naturel et affluence
assurée.
La
communauté des travailleurs, bien ancrée pendant plus de deux siècles, ne
manquerait pas l’occasion de célébrer cette journée chômée. Surtout en cette
période décisive suspendue aux votes prochains.
Fête des consciences
Festivités
ne signifie pas abrutissement : depuis que cette fête existe, il s’agit
bien de manifestations de prise de conscience. L’année 2012 s’inscrit
totalement dans cette continuité.
D’abord,
faut-il signaler que la population du Creusot a diminué de moitié depuis les
temps prestigieux de sa gloire ? Le Creusot ne compte plus que 26 280
habitants. Les responsables ? La récession, les problèmes de reconversion
ou de réhabilitation des friches industrielles, Areva sur la sellette, la
politique sanitaire autour du rachat de l’Hôtel Dieu…
Information, débat et revendication |
Au
programme de la journée, organisée par l’union locale de la CGT, l’évocation au
podium des questions particulières aux entreprises de la région. Bizarre que
soit encore apostrophé l’auditoire (depuis le code du travail de 1884) sur les
irrégularités ou l’absence de procédure légale quant aux licenciements des
représentants, délégués syndicaux ou employés mandatés…
Ce
qui tendrait à prouver que la fête n’est pas pour tout le monde.
Des stands de dialogue
Au
palmarès de la fête, des stands variés et conçus avec un projet –dirait-on– de
respect de l’individu. On ne s’adresse pas à des « demeurés ». Se
mêlent divertissements, retours aux jeux ancestraux et culture.
Pas
de consommation à outrance dans la distribution de ces stands.
Nous
l’avons éprouvé : à n’importe quel stand, le dialogue est ouvert. Même si
vous insistez sur la contradiction.
Animation et dialogue |
Chaque
entreprise est représentée par un stand. Et la teneur du dialogue ne figure pas
au fronton du stand : il reste au choix du public, qui peut s’exprimer
même sans jouer. Ainsi une mini-discussion sur « les dangers du
nucléaire », abordée du côté d’EDF, a attiré d’autres participants et
s’est étendue sur cette après-midi débonnaire.
Ainsi
avons-nous pu retracer, avec les témoins vivants, l’historique des familles de
la région, les mutations migratoires depuis les Alsaciens, les lointains
Polonais et Portugais, jusqu’à l’Est de
la Méditerranée ; entrevoir le parcours des générations attachées à la
même entreprise et contraintes de se recycler autrement ; retracer les
protestations et l’aboutissement des acquis.
La
fête accueille des associations de solidarité ou d’éducation populaire. La fête
cogiterait-elle ? Des invitations à s’interroger, avec « Femmes Solidaires », par
exemple sur « le respect entre filles et garçons dans les établissements
scolaires »… par des enquêtes sur le terrain, des « observatoires ».
Fête des cogitations
L’évidence
est là et le dénigrement profondément ancré dans les mentalités nationales.
Associer irrémédiablement et cantonner Gauche et travailleurs, PC et manuels.
La
saga des foyers creusotins, nous démontre ce mixage entre générations
d’intellectuels de gauche et réalité ouvrière. Le statut ancien d’élite
(intellectuelle et économique) des générations d’instituteurs(trices), devenus
édiles de communes avant la seconde guerre mondiale, montre combien réflexion
et savoir se conjuguent.
Des livres… |
Comme
par hasard, ce brassage est porteur de socialisation. Et nous ne le voyons que
trop dans cette perte des valeurs de reconnaissance mutuelle et de connaissance
qui a caractérisé le dernier scrutin.
Au
stand de l’énergie, on gagne des livres… documentaires, historiques,
scientifiques. L’histoire des déportés du Creusot y figure en bonne place. Là encore
les chroniques ne sont pas lisses : elles sont émaillées de drames, de
véritables insultes à la civilisation.
L’art plus que nécessaire
En
effet, qui pourrait affirmer que le talent ne se révèle qu’à la jeunesse ?
Que la place des créateurs n’est réservée qu’aux pistonnés ? Parmi les
stands, celui des artisans et ceux des artistes locaux.
…et des arts |
Ainsi,
M. Bouillet, bien modeste, s’applique à terminer un paysage face au public qui
déambule. Depuis trois ans à la retraite, précise-t-il, et que l’effort se fait
sentir, là, pour parvenir à montrer un tableau. Son parcours est à l’exemple de
nombre des habitants de Saône-et-Loire. Il commence par des études en
techniques des métaux. Ce qui ne l’inspire pas beaucoup mais le conduit
naturellement aux usines SFAX (Schneider, prédécesseur de Creusot-Loire).
Mutation de l’usine, le voilà contraint de se recycler. Fort
heureusement ! Car l’atelier lui fait l’effet d’un enfermement sans issue.
Et en admire-t-il force de ses confrères et conscrits.
Il
réussit à entrer dans une entreprise de transports et y restera jusqu’à la fin
de sa carrière : d’abord heureux de fonctionner dans la branche
touristique, puis coincé dans le réseau urbain. La peinture ? Il n’en
avait aucune idée. Il n’aurait jamais supposé s’y adonner. Il suit un atelier
de modelage, puis se lance tout doucement : encore tout honteux de ses
premières productions.
De
la patience, une progression pas à pas. Et le voilà face au chevalet de ce jour
de fête, et rêvant d’Afrique sur toile. Les tribus primitives l’attirent.
Pourquoi ?
Une
manière de voyager ? De rêver sa vie ? Ne me dîtes pas que cet
engouement pour l’art est exceptionnel. Pour lui, semble-t-il, heureux de
partager son expérience, l’interprète-t-il comme un retour au naturel, aux
sources de la vie. Un bonheur tout simple de vivre et de le réaliser concrètement.
Au détour de la
musique
Un
besoin de couper avec la musique des machines et des ateliers. Qui pourrait
supporter d’en être encore escorté, jusqu’à l’obsession ?
Combien
cette fête des travailleurs, trimant jusqu’à l’extinction de la chaîne ou de la
vie, est une bouffée d’air pur, sur la grisaille quotidienne ! Et le
Creusot sait de quels brouillards il est imprégné ! Entre les contreforts
du Massif Central et la pollution ! Une fête à la bonne franquette, calme,
conviviale : un véritable espace de rencontre.
A
la différence d’une fête foraine, tonitruante, au vacarme insupportable,
forçant les gens à se taire et à subir : là, les décibels sont muselés…
les ambiances de chaque stand ne se chevauchent pas. Avec un orchestre, battant
et entraînant comme le Joe Moon Beams, encore un plaisir des sens au
rendez-vous des travailleurs.
Un article de Monak
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