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jeudi 9 mai 2013

2012 : le 1er Mai de l’espoir



Le Creusot festif

 

Dans cinq jours de cette année-là va sonner la fin de la Sarkozie* et des dérives d’un régime bling-bling voué à l’empire de l’argent. Mais nul ne le sait encore.

Comment l’aspect revendicatif se coule-t-il dans une manifestation essentiellement culturelle ? C’est ainsi que cet événement s’inscrit dans le mouvement ouvrier.

Le Creusot, ville segmentée en deux par ce qui subsiste du vaste fief industriel Schneider, se redistribue entre Areva, Arcelor Mittal, Snecma et quelques autres. Un immense et long couloir (de quelques 30 lieues, une vraie légende !) en a fait sa prospérité. Mais aussi son mutisme, sous la tutelle d’un paternalisme politique avant les premières crises de la sidérurgie.

Les sentinelles des cheminées sur le parc de la Verrerie

De part et d’autre des murs d’enceinte, encore alimentés par la rumeur des machines, les Creusotins s’égaient ce 1er Mai 2012. Il n’est jamais de silence sur les congés, même au Parc de la Verrerie maintenant légué à la ville : le vrombissement lancinant dans les graves accompagne le chant des oiseaux. On s’y habitue, on ne s’y fait pas.

Est-ce la raison pour laquelle, depuis 40 ans, le 1er mai se déporte à la périphérie ?

 

Le festif à la clé… des champs
Pourrait s’argumenter encore autrement cette balade aux champs.

Elargir les horizons au-delà du marteau-pilon géant (datant de 1876) emblème de la ville, délogé des fabriques et exposé au rond-point. Mais peut-on s’affranchir vraiment de la devise bi séculaire et injonctive de la cité : « Fac ferrum, fer spem » (« Travaille le fer, porte espoir ») ?

Fuir le patrimoine Creusot-Loire de l’économique, de l’immobilier, du quotidien, depuis que la municipalité s’est détachée de l’emprise politique des mythiques capitaines d’industrie et rassembler, au grand air, dans la commune limitrophe du Breuil, la population disséminée sur les villes dortoirs et agricoles de la région.

1er Mai festif au parc du Morambeau

La fête des travailleurs s’ébat au parc du Morambeau : cadre forestier, environnement naturel et affluence assurée.

La communauté des travailleurs, bien ancrée pendant plus de deux siècles, ne manquerait pas l’occasion de célébrer cette journée chômée. Surtout en cette période décisive suspendue  aux votes prochains.

Fête des consciences
Festivités ne signifie pas abrutissement : depuis que cette fête existe, il s’agit bien de manifestations de prise de conscience. L’année 2012 s’inscrit totalement dans cette continuité.

D’abord, faut-il signaler que la population du Creusot a diminué de moitié depuis les temps prestigieux de sa gloire ? Le Creusot ne compte plus que 26 280 habitants. Les responsables ? La récession, les problèmes de reconversion ou de réhabilitation des friches industrielles, Areva sur la sellette, la politique sanitaire autour du rachat de l’Hôtel Dieu…

Information, débat et revendication

Au programme de la journée, organisée par l’union locale de la CGT, l’évocation au podium des questions particulières aux entreprises de la région. Bizarre que soit encore apostrophé l’auditoire (depuis le code du travail de 1884) sur les irrégularités ou l’absence de procédure légale quant aux licenciements des représentants, délégués syndicaux ou employés mandatés…

Ce qui tendrait à prouver que la fête n’est pas pour tout le monde.

Des stands de dialogue
Au palmarès de la fête, des stands variés et conçus avec un projet –dirait-on– de respect de l’individu. On ne s’adresse pas à des « demeurés ». Se mêlent divertissements, retours aux jeux ancestraux et culture.

Pas de consommation à outrance dans la distribution de ces stands.

Nous l’avons éprouvé : à n’importe quel stand, le dialogue est ouvert. Même si vous insistez sur la contradiction.

 

Animation et dialogue
Chaque entreprise est représentée par un stand. Et la teneur du dialogue ne figure pas au fronton du stand : il reste au choix du public, qui peut s’exprimer même sans jouer. Ainsi une mini-discussion sur « les dangers du nucléaire », abordée du côté d’EDF, a attiré d’autres participants et s’est étendue sur cette après-midi débonnaire.

Ainsi avons-nous pu retracer, avec les témoins vivants, l’historique des familles de la région, les mutations migratoires depuis les Alsaciens, les lointains Polonais et Portugais,  jusqu’à l’Est de la Méditerranée ; entrevoir le parcours des générations attachées à la même entreprise et contraintes de se recycler autrement ; retracer les protestations et l’aboutissement des acquis.

La fête accueille des associations de solidarité ou d’éducation populaire. La fête cogiterait-elle ? Des invitations à s’interroger, avec « Femmes Solidaires », par exemple sur « le respect entre filles et garçons dans les établissements scolaires »… par des enquêtes sur le terrain, des « observatoires ».

Fête des cogitations
L’évidence est là et le dénigrement profondément ancré dans les mentalités nationales. Associer irrémédiablement et cantonner Gauche et travailleurs, PC et manuels.

La saga des foyers creusotins, nous démontre ce mixage entre générations d’intellectuels de gauche et réalité ouvrière. Le statut ancien d’élite (intellectuelle et économique) des générations d’instituteurs(trices), devenus édiles de communes avant la seconde guerre mondiale, montre combien réflexion et savoir se conjuguent.

Des livres…
Comme par hasard, ce brassage est porteur de socialisation. Et nous ne le voyons que trop dans cette perte des valeurs de reconnaissance mutuelle et de connaissance qui a caractérisé le dernier scrutin.

Au stand de l’énergie, on gagne des livres… documentaires, historiques, scientifiques. L’histoire des déportés du Creusot y figure en bonne place. Là encore les chroniques ne sont pas lisses : elles sont émaillées de drames, de véritables insultes à la civilisation.

L’art plus que nécessaire
En effet, qui pourrait affirmer que le talent ne se révèle qu’à la jeunesse ? Que la place des créateurs n’est réservée qu’aux pistonnés ? Parmi les stands, celui des artisans et ceux des artistes locaux.

…et des arts
Ainsi, M. Bouillet, bien modeste, s’applique à terminer un paysage face au public qui déambule. Depuis trois ans à la retraite, précise-t-il, et que l’effort se fait sentir, là, pour parvenir à montrer un tableau. Son parcours est à l’exemple de nombre des habitants de Saône-et-Loire. Il commence par des études en techniques des métaux. Ce qui ne l’inspire pas beaucoup mais le conduit naturellement aux usines SFAX (Schneider, prédécesseur de Creusot-Loire). Mutation de l’usine, le voilà contraint de se recycler. Fort heureusement ! Car l’atelier lui fait l’effet d’un enfermement sans issue. Et en admire-t-il force de ses confrères et conscrits.

Il réussit à entrer dans une entreprise de transports et y restera jusqu’à la fin de sa carrière : d’abord heureux de fonctionner dans la branche touristique, puis coincé dans le réseau urbain. La peinture ? Il n’en avait aucune idée. Il n’aurait jamais supposé s’y adonner. Il suit un atelier de modelage, puis se lance tout doucement : encore tout honteux de ses premières productions.

De la patience, une progression pas à pas. Et le voilà face au chevalet de ce jour de fête, et rêvant d’Afrique sur toile. Les tribus primitives l’attirent. Pourquoi ?

Une manière de voyager ? De rêver sa vie ? Ne me dîtes pas que cet engouement pour l’art est exceptionnel. Pour lui, semble-t-il, heureux de partager son expérience, l’interprète-t-il comme un retour au naturel, aux sources de la vie. Un bonheur tout simple de vivre et de le réaliser concrètement.

Au détour de la musique
Un besoin de couper avec la musique des machines et des ateliers. Qui pourrait supporter d’en être encore escorté, jusqu’à l’obsession ?

Combien cette fête des travailleurs, trimant jusqu’à l’extinction de la chaîne ou de la vie, est une bouffée d’air pur, sur la grisaille quotidienne ! Et le Creusot sait de quels brouillards il est imprégné ! Entre les contreforts du Massif Central et la pollution ! Une fête à la bonne franquette, calme, conviviale : un véritable espace de rencontre.

A la différence d’une fête foraine, tonitruante, au vacarme insupportable, forçant les gens à se taire et à subir : là, les décibels sont muselés… les ambiances de chaque stand ne se chevauchent pas. Avec un orchestre, battant et entraînant comme le Joe Moon Beams, encore un plaisir des sens au rendez-vous des travailleurs.

Ce 1er Mai, un peu frileux sans nul doute, se réserve-t-il en prévision d’espoirs annoncés ?

 

 

Un article de Monak

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