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vendredi 9 mars 2018

15ème FIFO avec Sandro Ly



"Chim Soo Kung", l’énigme

Le FIFO, embarquant en ce moment pour sa tournée dans les îles polynésiennes, essaime avec sa provision d’images océaniennes. Le docu-fiction "Chim Soo Kung - De Canton à Tahiti" poursuit son périple auprès des scolaires…   

La communauté aux lointaines origines chinoises déclare humoristiquement, par la voix de Roland Sam, à l’occasion du nouvel an chinois à Pape’ete : « qu’elle avait appris, au contact des Polynésiens, à ne plus travailler 16 heures par jour », comme à son arrivée dans la plantation d’Atimaono, il y a plus de 150 ans… Intégration réussie ? Car tel est le sujet…

Coup d’œil sur Atimaono
On pourrait le penser, car les collégiens et lycéens présents aux premiers jours du FIFO, semblent avoir passé aux oubliettes de la mémoire collective l’épisode du seul guillotiné de Polynésie française : le fameux Chim Soo Kung… Une période de l’histoire qui n’aurait pas retenu leur attention sur leurs manuels scolaires et qu’ils disent découvrir grâce à cette projection ?

De même semblent-ils avoir totalement effacé tout ressenti aux images de la décapitation du condamné. Mais… nous sommes en public et c’est peut-être par le silence qu’ils exorcisent l’horreur d’un tel châtiment.

Un sujet qui froisse ?
Présente à cette projection scolaire suivie d’un débat avec le réalisateur Sandro Ly au Petit Théâtre, je m’étonne qu’aucune intervention d’élève n’ait porté sur le fond ! Pourtant un article publié par la Société des Océanistes en 1966 abordait la commission d’enquête de 1867 sur « un taux aussi élevé de la mortalité chez des hommes encore jeunes », à cause « d’un rythme de travail » journalier excessif. Ce qui n’est pas trop loin du « blackbirding », dans la mesure où le retour de la première vague d’immigrés chinois, n’a pas été assuré, comme le stipulait le contrat d’embauche…

Conditions encore trop proches d’une servitude qui venait d’être proscrite, souligne l’article : notamment « l’insuffisance des textes préparés lors de l’abolition de l’esclavage dans les colonies en 1848 et il est évidemment indispensable de régler d’une manière plus précise et plus efficace les rapports des propriétaires avec les travailleurs coloniaux et de déterminer strictement leurs devoirs réciproques… » Ce que relate explicitement le documentaire.

Le couperet de la loi !
De même, l’article traite, ainsi que le film, des péripéties cruelles de l’exécution, consignées par le « greffier du Tribunal Criminel des États du Protectorat » ; et plus tard, des « bannissements aux Marquises » ou aux Tuamotu ; enfin, il évoque cette diaspora et cet état d’esprit qui occulte « l’aversion » première envers les travailleurs immigrés sur la « Terre Eugénie » pour la transformer en « assimilation ».

L’exception et son éclipse...
Un processus tout sourire et sans ride… qui se nomme métissage culturel… et auquel se conforment les deux communautés sans faire de vague, sans cicatrice apparente, aujourd’hui encore. Pourtant tout commence pour le coolie par un traitement d’exception : le voilà l’unique guillotiné de Polynésie !

Dans la réalité, Chim Soo Kung, mort sans progéniture, son héritage mémoriel ne fait pas l’unanimité, même si son mausolée est connu au cimetière chinois d’Arue et qu’une stèle figure au temple chinois Kanti à Mamao. Martyr pour les uns, anonyme pour ceux, et c’est la grande majorité, qui ne descendent pas de cette première vague d’immigrés.

Les cruautés de l’histoire
Effectivement, ne subsistent que très peu d’éléments iconographiques.  L’Association Si Ni Tong se charge de rassembler le maximum d’archives. D’une part, elle retrace le contexte des années 1869, d’autre part les retentissements de cet événement dans la communauté chinoise. 

La reconstitution historique
Face à un contexte colonial laconique aux traces savamment escamotées, aux rares archives : « une seule photo de lui pour 52 mn d’images ! » et face à ce phénomène d’absorption propre à la culture insulaire, « où il n’est pas aisé de faire parler les gens sur le sujet et où les avis divergent », constate Sandro Ly, « j’ai pris le parti de la reconstitution historique ».

Évidemment une prise de risque, car « pour le casting ou pour trouver des Chinois vraiment typés, il a fallu puiser chez les amateurs ; et puis reconstituer les bâtisses de la plantation et cette fameuse guillotine, introuvable... Avec un budget revu à la baisse ce ne sont que les conditions techniques de tournage qui en ont pâti. »

Tournage dans la vallée de la Fataua
Pour un thème aussi délicat que l’exécution publique sont occultés les ratés de la machine à tuer : pas de réalisme mais la volonté de s’en tenir à une fresque historique dont les pans s’estompent dans les brumes du passé pour les coolies. Tout en se fondant sur la personnalité des décideurs de l’époque, l’intransigeance du 8ème gouverneur, émile de la Roncière et l’implacable planteur écossais naturalisé William Stewart, la partie fictionnelle les concernant relève de la caricature : une soupape de sécurité qui avec les témoignages actuels évite de trop noircir le tableau. 

Quel regard ?
Sandro Ly, dans un précédent documentaire, Les défunts de la perle du Pacifique, présenté au Festival du film autochtone de Montréal en 2013, nous montrait déjà les préoccupations quotidiennes qui allient les morts et les vivants. Avec Chim Soo Kung, c’est encore la mémoire, la filiation, le devenir de lointains ancêtres, les mythes qui s’y rattachent dont il rend compte…

Ce n’est pas sans émotion que la saga du condamné nous touche. Elle nous renvoie à une époque où les circonstances broient les autochtones autant que les travailleurs migrants de la colonisation du Pacifique. Le film ouvre le chapitre des dommages individuels et collectifs. Sont-ils collatéraux ou fondamentaux ? Aux spectateurs et à l’avenir de l’expliciter.

Sandro Ly, réalisateur
Chim Soo Kung, sorti abruptement de l’anonymat, est-il un dévoyé ou un innocent, un martyr ou un héros… La question est posée par ce documentaire-fiction de Sandro Ly : connaîtrons-nous un jour toute la vérité ? Saurons-nous enfin combien les communautés qui se côtoyaient ont été traumatisées par ces pages brutales de l’histoire ?


Un article de Monak

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