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Le nouveau roman de de Monak à lire absolument

mercredi 26 novembre 2014

Abdelwahab Meddeb



Portrait d’un poète

Abdelwahab Meddeb, « le Voltaire musulman et adib oriental, c’est-à-dire lettré à la fois poète, penseur et savant dont s'enorgueillit la tradition arabe », fait partie de ces rares artistes-intellectuels qui défraient la chronique du syncrétisme en toute indépendance d’esprit.
Rare reste-t-il, parmi nombre de personnalités promues sur le devant de la scène, à se comporter avec douceur et circonspection, à s’effacer derrière les idées qu’il propose pour et avec les autres.

Oh ! Pourquoi je parle de lui au présent alors que nous sommes à la veille de l’hommage que va lui rendre l’Institut du Monde Arabe à Paris ? Peut-être parce que son chant, je veux dire ses œuvres, portées par une sensibilité indéniable font de lui une figure charismatique qui marque de ses Contre-prêches le siècle tourmenté.

Une signature interculturelle
Peut-être aussi parce que son prochain livre, Instinct Soufy, sortira fin novembre, confirme son frère Souhaib.
Peut-être parce qu’il continue à nomadiser sur les ailes de la poésie et que son avant-dernier recueil (Portrait du poète en Soufi, 2014) poursuit son voyage d’Orient en Occident, de Corée aux Caraïbes… et retourne vers Aya, l’héroïne de son second roman. 
Peut-être parce qu’il est l’image de cette quête d’un monde à ré-imaginer… d’un horizon qui ne cesse de se réinventer, d’un savoir qui respire les échappées, d’une identité mouvante sans cesse renouvelée.

... au creuset des cultures
Abdelwahab Meddeb (25 janvier 1946 – 06 novembre 2014) n’en a pas fini de chanter la fécondité de la différence, la saveur des altérités, la beauté des destins aux origines croisées. Ainsi se distingue comme lui, pour la cause majeure de rassembler les communautés, Françoise Atlan, ses mélopées mudéjares* et morisques chères à Abdelwahab…

Du poète au philosophe
Plus de vingt ans qu’Abdelwahab Meddeb jette un regard de laïc sur les « Cultures d’Islam », établit des rapports et des ponts entre les civilisations qui se méconnaissent tout en se côtoyant et prend position pour leur compréhension mutuelle et leur rapprochement.



Une attitude bien dérangeante pour les conservateurs de tous bords et les détenteurs de la pensée unique. Il assume sa liberté d’analyse, se prend même à critiquer les systèmes avec Sortir de la Malédiction (2008), les extrêmes avec La maladie de l'islam  (2002) et ose bousculer les a priori.

Un dialogue avec controverses
Engagé dans le combat pour un « islam éclairé », il connaîtra bien des détracteurs. Mais il n’est pas en peine de citer ses sources, de rétablir les visions erronées de l’histoire et d’approfondir des recherches, ses recherches, déjà fort bien étayées.

Il lui prend même l’audace de collaborer avec des auteurs divers, dont des juifs, ce qui déchaînera ses pourfendeurs. L’encyclopédie Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours, codirigée avec Benjamin Stora, pourtant estampillée « en toute impartialité » par l’éditeur (2013), constituera un autre pavé dans la mare.

Analyste, devin ou génie ?
Mais ce n’est pas sur cet unique terrain qu’Abdelwahab Meddeb prend des risques. Ainsi s’aventure-t-il dans la chronique de l’histoire contemporaine : Le Printemps de Tunis (2011), Dégage ! Une révolution  (2012), d’autres écrits ou prises de parole encore… Et comme la Tunisie est dans le collimateur de l’actualité, ne se souviendra-ton que de ses appréciations, communiqués et recommandations sur le sujet.

Tunisie : un Printemps marchandé…
Dès les débuts de la révolution tunisienne, il dénonce la menace des partis religieux, la fragilité de ce début de démocratie, « la manière dont le référent islamique va être inscrit dans les lois fondamentales, en cours d’élaboration. ». L’Occident, la France en particulier, ne prendra pas au sérieux les termes de ce danger existentiel mis en lumière par Abdelwahab.

Révolutionnaire, il l’est. "Et le poète d’avoir une seconde fois raison, et de le clamer haut et fort, désormais : en 2007, au cours du procès intenté à «Charlie-Hebdo», en 2009, à propos du voile, en 2011 et 2012 lors du «règne» d’Ennahdha, après les assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, et pour «clore» en totale cohérence, en octobre 2014 (à la veille des adieux), à travers l’appel «JE VOTE» du 5 octobre dernier. Sincérité, lucidité, intégrité, de bout en bout : «l’islamisme est fascisme»… et fonde «une société close, régressive, archaïque, empêtrée dans la confusion de la politique et de la religion...", commente son frère Souhaib, en le citant.

Un penseur des latitudes…
Ce n’est pas nouveau pour Abdelwahab que la liberté se profile comme une valeur qui n’a pas de prix. La plus belle histoire de la liberté (2008), co-écrite avec A. Glucksmann et N. Bacharan, s’appuie sur des documents millénaires. Universitaire, féru dans les domaines de l’histoire, des cultures, des littératures d’Orient et d’Occident, enseignant, producteur-radio, auteur, fondateur de la revue Dédale, il ne manque pas d’arguments.

L’expérience de l’écriture
Quels que soient ses savoirs multiples et ses compétences en sciences humaines et linguistiques, Abdelwahab Meddeb « n’aurait jamais imaginé que le monde vivrait une telle régression », pas plus qu’il n’avait prévu de se voir confronté et d’œuvrer contre la déliquescence d’une société pourtant à la pointe du progrès dans le monde arabo-musulman.  

Déni ou cosmopolitique ?
Il avait commencé sa vie publique en tant qu’écrivain, avec toute la fougue créatrice où le poussait son talent. D’une écriture assez particulière, celle qui mêle les genres, il allie fiction et mysticisme, intrusions du réel et fantastique… Les critiques tunisiens n’ont pas été tendres avec lui, le taxant d’hermétisme.

De même le Prix François Mauriac de l’Académie française qui récompense un roman, a choisi un essai de Meddeb : La Maladie de l'Islam (2002) ; son recueil poétique Matière des oiseaux reçoit le Prix Max-Jacob (2002) ; le prix international de la francophonie Benjamin-Fondane lui échoit pour Contre-prêches (2007) ; et enfin le prix Doha pour l’ensemble de son œuvre qu’il partage avec Edouard Glissant (2010).

La poésie de Meddeb, jusqu’à son dernier recueil publié, joue avec les espaces multiples de l’imaginaire qui se mixent, s’enlacent, s’imbriquent… Elle se relance vers d’autres  plages de la sensibilité. Elle est à fleur de peau, elle paraît jaillir des dédales de la conscience.
11.
le monde est un tissu d’épiphanies
toute chose visible porte en elle
les traces de l’Invisible…

Un poète ardent…
De même ses romans ont la verve poétique des Filles du Feu de Nerval. Ils sont traversés par l’éphémère, suivent à la fois le parcours du narrateur et les rebondissements du récit. Leur univers est celui de l’étrange. Talismano (1979) nous embarque entre réel et fantasmé.

Phantasia (1986) répond à ce passeur des multiplicités : elle « se veut un creuset, un lieu de brassage et de métissage esthétique et linguistique rejoignant  le métissage racial, elle incarne une écriture voulant traduire les réalités d’une identité contemporaine multiple et polymorphe ».

Un écrivain riche de son originalité
Hermétique, l’œuvre littéraire de Meddeb ? Pas vraiment. Mais complexe car l’écrivain nous donne l’impression d’écrire devant nous au fur et à mesure que nous le lisons. Ce n’est pas banal, c’est vivant.

Il s’en explique dans Phantasia : « Penser c’est faire mémoire, reprendre-accepter-distordre. » Et de rajouter : « Notre condition est de voltiger d'une langue à l'autre au risque du vertige ». Il nous fait donc tourner la tête et les sens.

Et je laisse à Natacha Polony le soin de l’ultime hommage.

Fadhel Jaziri, une amitié indéfectible
« Il est des voix qui, lorsqu'elles s'éteignent, emportent bien plus que la chaleur d'un être, son histoire et ses liens innombrables. Il est des voix qui emportent avec elles la lumière qu'elles avaient fait naître, celle de l'espérance. Abdelwahab Meddeb n'est pas seulement la voix qui, sur les ondes de France Culture, dans son  émission « Cultures d'Islam », faisait entendre depuis des années avec la méticulosité précieuse de l'érudit et la fougue émue du passionné la richesse de la civilisation arabo-musulmane. Il était celui qui, à travers ses textes, ses tribunes, ses interventions, ébranlait inlassablement les certitudes de ceux qui veulent confondre, pour le revendiquer ou le dénoncer, l'islam et l'islamisme. »

Un article de  Monak

*Mudéjar : Se dit d'un art d'influence islamique, parfois combiné avec le gothique, qui s'est maintenu ou développé à partir du XIIIe s. dans les provinces reconquises par les chrétiens (Castille, Andalousie et Aragon).

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