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samedi 5 octobre 2013

Hammam Chott

La Tunisie sous les bombes

1er octobre 1985 au matin, le ciel de Tunis retentit du fracas étourdissant d’avions de chasse supersoniques. Rayonnant à basse attitude, ils foncent vers la grande banlieue sud, à quelques 25kms. Ils font feu : Hammam Chott est bombardée par Israël.

A la radio, des interrogations sans réponse. L’information semble muselée mais les téléphones vont bon train. En quelques minutes, la petite ville côtière du gouvernorat de Ben Arous, que certains ont ensuite appelée « Sirène de la mer », sans même disposer de temps pour se mettre à l’abri, sans avertissement, relève ses décombres, ramasse ses morts et ses blessés. En témoignent ces quelques images.

Un raid éclair
L’espace aérien violé, les cendres et le sang répandu, le silence retombe entre les nuages : au sol, la noria des secours et de la solidarité. Yasser Arafat, le dirigeant de l’Organisation de Libération de la Palestine vient d’être directement visé. Il en réchappe encore une fois. Après le dépôt de plainte de la Tunisie, la résolution 573 du Conseil de Sécurité de l’ONU, condamne l’expédition et demande « compensation pour dommages subis »

Un raid israélien dans le ciel tunisien
Violation de l’espace aérien, attaque meurtrière, l’expédition est immédiatement réprouvée par les Européens. Les Etats-Unis qui semblent y avoir apporté leur concours logistique pour le ravitaillement en kérosène, ne pourra faire fonctionner son veto sous la pression internationale et se réfugie derrière une « abstention ». La résolution est ratifiée.

Car le raid aérien est déjà repéré par son nom de code : « Opération jambe de bois ». Avec ses 10 bombardiers F-15 Eagle, il arrose la ville d’Hammam Chott d’une série de bombes à fragmentations. Parmi les victimes, on décompte plus de 70 morts (certains avancent même le chiffre de 156), le double ou le triple de blessés, suivant les estimations : Palestiniens et Tunisiens confondus.


Entre douleur et mémoire : Vidéo 

L’OLP a bénéficié officiellement d’un asile politique en Tunisie (de 1982 à 1994), suite à un attentat au Liban dont Yasser Arafat a réchappé. La reconnaissance de la Palestine n’étant pas unanime mais plus souvent conflictuelle, depuis 1947, à la création d’Israël, l’OLP peut se voir ainsi taxée d’organisation terroriste et se trouve en butte à un certain nombre de situations de non-droit.

C’est la « Force 17 », l’unité d’élite de l’OLP qui aurait été le prétexte à cette expédition belliqueuse du fait de l’exécution de trois « touristes » israéliens naviguant vers les rivages cypriotes (le 15 septembre 1985). On peut, dès lors, s’enquérir de cette disproportion !

Une « agression armée » sans réaction ?
Bien que le terme d’agression soit rejeté par Israël le 21 novembre 1985, les faits sont là et la « Résolution adoptée ». Certaines sources que je ne nommerai pas ici par décence, réfutant l’existence de la Palestine, contesteraient même la réalité de cet événement. Ceux qui l’ont vécu -et j’en suis témoin-, ne peuvent oublier, plusieurs kilomètres à la ronde, ni les déflagrations, ni le vacarme les précédant, ni les sirènes des pompiers et des ambulances.

Plusieurs énigmes restent irrésolues. L’identité de l’assaillant, secrète pendant plusieurs heures, a été rapidement éclaircie. En Tunisie, dans les cafés, dans les familles, on supputait d’abord la Libye, puis les forces US basées ou qui croisaient en Méditerranée. La première énigme concerne l’absence de réaction de l’armée tunisienne, de terre comme de l’air.

Ces bombes à fragmentation
A l’époque, les rumeurs courraient sur le fait que l’aviation tunisienne ait été clouée au sol ! En fait, il n’en serait rien. Elle n’aurait pas bougé. La seconde touchait les radars qui n’auraient pas alerté le Ministère de la Défense. On a émis l’hypothèse que les émissions radars auraient été brouillées par les Américains. Mais il semblerait que la Libye toute proche n’ait pas subi de perturbations. Son agence de presse diffusait même pas mal de bulletins : particulièrement sur le ravitaillement en kérosène par les USA. Alors, intox ? L’armée tunisienne aurait-elle reçu l’ordre de se calfeutrer ? Si oui : qui aurait notifié cette directive ? Serait-elle interne ou viendrait-elle d’un diktat ou d’une pression ?

Reste qu’il ne faut pas négliger un dysfonctionnement entre le gouvernement de Bourguiba et son ministre de la Sûreté Nationale, Ben Ali. La Défense semblerait donc au courant. Peut-on supputer l’occasion d’un complot deux ans avant la destitution de Bourguiba par le même Ben Ali? Ou s’agirait-il seulement d’une différence de points de vue : car il n’est de secret pour personne que Bourguiba s’est toujours impliqué pour la Palestine (Cf. entre autres, son discours à Jéricho, le 3 mars 1965)

La Résolution 573… encore irrésolue
Le 1er octobre à midi, l’avenir s’annonçait incertain et menaçant pour la Tunisie. Le raid serait-il unique ou se poursuivrait-il ? Le désarroi régnait parmi la population. C’était aussi violent que le séisme qui avait secoué la kasbah, dans les mêmes années. Ou plus tard, le mouvement des chars qui avait accompagné la prise de pouvoir par Ben Ali en 1987.

Les services secrets tunisiens n’auraient-ils rien su ? On a du mal à le croire ! Le raid israélien aurait-il eu des complices dans le gouvernement tunisien ? L’avenir le dira peut-être un jour…

Dans le vacarme d’un matin
Toujours est-il que la riposte diplomatique de Bourguiba auprès de l’ONU s’est mise en place très rapidement. Et c’est le 4 octobre 1985 que la résolution du Conseil de Sécurité n°573, suite à la plainte déposée par la Tunisie a été ratifiée  

Elle stipule « dédommagements », « compensations » d’ordre moral et financier pour la Tunisie, ainsi que des mesures de non-ingérence, de sauvegarde de « l’intégrité et de la souveraineté territoriale de la Tunisie », sans oublier le respect de la Charte des Nations Unies. La condamnation d’Israël est « vigoureusement » stipulée… Le massacre attend toujours réparation.

Une ville paisible, Hammam Chott !
Encore une énigme de l’Histoire. Mais chacun sait que les événements internationaux mettent tellement d’intérêts en concurrence que la vérité n’apparaîtra qu’après des années. La « Résolution » n’aurait pas été exécutée, et l’attaque restée impunie, sous le subterfuge d’un dossier impossible à suivre, suite au coup d’Etat de Ben Ali…  Sauf si… il s’agit de tractations en sous-main.

Hammam Chott n’est pas et n’a jamais été une base militaire palestinienne. Un refuge, un regroupement de bureaux, un asile politique pour le QG de l’Organisation de Libération de la Palestine exilé. Les relations entre Tunisiens et Palestiniens étant des plus cordiales.

Dans les entrailles de la terre
Réputée pour son Centre de formation Jeunesse et Sport de Bir el Bey (Animation) et l’école hôtelière de Borj Cedria, Hammam Chott regroupe une population jeune, dans un cadre campagnard. Parmi les victimes tunisiennes, des étudiants et des paysans occupés à leurs troupeaux... Parmi les destructions, les demeures des réfugiés Palestiniens et les maisons tunisiennes avoisinantes. Hammam Chott a donc essuyé un massacre civil en pleine zone habitée.

Ce qui classe cet événement parmi les scandales « ordinaires », que certains voudraient banaliser en « dommages collatéraux ». Mais la cible ne faisait pas de doute : aucune destruction de soi-disant infrastructures militaires palestiniennes.

Ephéméride
En optant pour quelques faits marquants du calendrier de l’humanité, qu’apparaît-il en fait ? Le 5 octobre 1914 avait lieu le premier combat aérien de la grande Guerre, près de Reims. Le 5 octobre 1918, Roland Garros, que nous évoquions dans un précédent article sur Bizerte, après avoir abattu son dernier avion ennemi, (le 2 oct.) meurt en plein ciel, lors d’un duel aérien au-dessus de Saint-Morel dans les Ardennes. Le ciel n’est pas des plus cléments !

Une mer de sang
Les inventions, les découvertes ne font pas plus de quartier. C’est en 1502 que Christophe Colomb aborde au Costa Rica, en 1804 que R. Parker Parrott invente le canon à rainure… Y aurait-il une éclaircie avec la naissance de Denis Diderot en 1713 et celle de Louis Lumière en 1864 ? Quelque espoir avec la première traversée aérienne sans escale du Pacifique de Clyde Pangborn et de Hugh Herndon, en 1931 ?  


        Mais chacun sait que tout événement peut être détourné. De l’autre côté de la frontière, en Algérie, la liberté d’expression s’est payée dans le sang, le 5 octobre 1988. 2013, en Somalie, en Libye, les raids se poursuivent
Alors, transgressons ! C’est en 1892, que les Dalton commirent leur dernier hold-up et en 1962 que sort le 1er disque des Beatles. On aurait pu s’en tenir-là ! Pour croire en des lendemains heureux…

La série des événements pacifiques ne se poursuit malheureusement pas. La politique ne conjugue plus les termes de l’humanisme : pas de commémoration officielle en Tunisie, autour du mémorial émouvant réalisé par le sculpteur Brahim Ksontini à Hammam Chott. (Faut-il préciser par le gouvernement tunisien de substitution qui sévit actuellement en 2013 ?).

La ville de Hammam Chott, continue pourtant de se souvenir  pour la 28ème année consécutive.
Demain, peut-être…
« Du sang et des larmes »… on ne commente plus

Un article de  Monak

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