L’évacuation
de Bizerte
La fête nationale
de l’Evacuation, instaurée dès le départ des troupes françaises, le 15 octobre
1963, signait l’affranchissement total du territoire des résidus de sa période coloniale. Même si la Tunisie était
indépendante depuis 1956, même s’il s’agissait d’un protectorat…
…Habib
Bourguiba avait dû batailler diplomatiquement pendant toutes ces années contre
la surdité de la France. Et ce n’est qu’après cette « Bataille de Bizerte », entamée
depuis le 19 juillet 1961, et à l’issue
de deux années explosives que s’achève ce qui sera nommé « crise de
Bizerte ».
Les dessous de l’affaire, à écouter absolument
Curieusement, la commémoration ayant disparu du
calendrier du successeur de Bourguiba, sa réinstauration survient suite à la
révolution tunisienne de 2011 qui a démis la précédente dictature. Après
quelques vingt-trois ans d’abrogation par Ben Ali, elle réapparaît sous le
terme de remémoration de
L’Evacuation.
Une restauration cahotante
D’abord,
la restauration de l’anniversaire passe inaperçu dans le contexte de l’automne
2011 en Tunisie. A huit jours des élections présidentielles, les festivités des
15-16 octobre à Bizerte passent à l’arrière-plan de l’actualité.
La
préoccupation essentielle de la Tunisie se situant d’une part au niveau des acquis
politiques, il lui fallait réaliser impérativement l’alliance des partis et
pôles égalitaires sous le même «Front Démocratique».
Le départ des soldats français |
Dans
le même laps de temps et dans l’urgence, la Tunisie a dû faire face aux dérives
sectaires des islamistes. Le 15 octobre la critique des médias et des blogueurs
contre le salafisme occupait le Web ; le 16, la manifestation unanime -appelée « Lâche-moi »– ciblant la «dictature
intégriste»
et prônant les libertés d’opinion, d’expression et de croyance, a mobilisé tout
le territoire tunisien.
La Bizerte oubliée
Ce
n’est pas la première fois que l’événement daté du siècle dernier est passé aux
oubliettes des épisodes
douloureux, quels que soient les maîtres, officieux ou officiels, du moment.
« Bizerte était selon le terme de Bourguiba : la dernière séquelle de
l'ère coloniale » (Ridha Kéfi, « Les Tunisiens récupèrent Bizerte », Jeune
Afrique, 13 octobre 2003 [archive])
En
effet, à l’indépendance de la Tunisie (1956), restent encore deux zones
occupées
par la France : la frontière sud-ouest algérienne et la base navale de Bizerte.
Elles sont cependant revendiquées très ouvertement et légitimement par le
Président Bourguiba.
Un conflit militaire |
Dans
le contexte de la guerre d’Algérie, au lendemain du bombardement du village
tunisien de Sakiet Sidi Youssef (1958), la France est obligée par le conseil de
sécurité de l’ONU de retirer ses troupes du sud de la Tunisie. Les négociations successives échouent
entre Paris et Tunis à propos de
Bizerte.
Sans
issue, elles débouchent, trois ans plus tard, sur une véritable crise. Elle est
occasionnée par le démarrage d’un chantier français d’agrandissement de l’aérodrome (été 1961), sur le site même
de Bizerte. De diplomatique, le conflit devient belliqueux jusqu’au
cessez-le-feu du 23 juillet.
Deux années de « crise » et
l’Evacuation
Malgré
la condamnation par l’Assemblée générale des Nations Unies, la France fera
traîner jusqu’au 15 octobre 1963. Le bilan des victimes oscille suivant les
estimations (entre morts et disparus, l’écart est de 630 à 5000).
Sur le terrain |
L’Evacuation
est fêtée immédiatement par la population
tunisienne à 15 heures, au moment où le dernier soldat français
embarque.
Vingt-quatre
ans de commémoration de l’Evacuation sous le leader de l’Indépendance
tunisienne, Bourguiba : de 1963 à 1987.
En
effet, l’affrontement entre les deux pays avait été vécu comme un duel
personnel, ponctué de défis, entre les deux figures de proue exceptionnelles
que sont De Gaulle et Bourguiba.
Un anniversaire gommé
discrètement
Contrairement
à son prédécesseur et unique président depuis l’Indépendance, le dictateur Ben
Ali semble s’être commis d’un acte d’allégeance vis-à-vis de la France en
supprimant une fête nationale.
Bizerte sous pression |
Vingt-trois
ans de silence pour un anniversaire disparu (1987-2011).
Pas
d’arrêté, pas de déclaration : la fête nationale s’éteint tout doucement, grâce
aux rouages bien graissés du parti unique Tunisien. Sinon que les événements
resurgissent en 2010, dans le film d’Abdellatif Ben Ammar : Les Palmiers Blessés (co-production
algéro-tunisienne). Les Tunisiens n’ont pas oublié.
Une « remémoration »
La
révolution tunisienne de janvier, procède très vite à la « réinstauration » de la fête
nationale de l’Evacuation, par un décret-loi du 26 mars 2011.
Bizerte reconquise |
Le
15 octobre 2011 est donc « férié pour les agents de l’État, des collectivités
locales et des établissements publics à caractère administratif », ainsi
que l’a paraphé
le Président de la République par intérim.
La
population de Bizerte, les jeunes en tête, reprenant en l’adaptant
à la prononciation actuelle l’antique nom de la cité romaine (Hippo Diaritus
devenu Hippo Dirutus pour les organisateurs du
réseau facebook),
prépare et organise les festivités du 48ème anniversaire de la Fête
de l’Evacuation.
Deux
jours de « remémoration » avec, comme il est dit sur le programme :
conférences d’universitaires, ventes de livres et, le long des remparts de la
médina, expositions de photos et de documents relatant la bataille de 61,
ateliers pour enfants, concerts, hommages aux familles des martyrs de Bizerte. Au
niveau du gouvernement provisoire, rien.
Oppression et anniversaire en sourdine
Au
niveau de la population : la prise de conscience de la majorité, à la
veille des élections, la pousse à
organiser des manifestations monstres sous le signe de ralliement de la
démocratie et de l’égalité menacées par le totalitarisme religieux. Les citoyens
font donc passer Bizerte au second rang.
Une page d’histoire en vidéo
La
lutte contre « l’extrémisme, la pensée unique, etc. » a rassemblé
des citoyens de tous milieux et surtout de tous âges. Comme pour
démontrer que l’histoire s’édifie au présent et pas seulement au passé.
La
Marche
pro Libertaire
Lâche-moi (Aâtaqni), suivie par un
nombre imposant de participants dans les différentes grandes villes de Tunisie,
refuse la violence perpétrée par les intégristes à propos de la diffusion du
film de Marjane Satrapi (Persépolis). Elle aboutit encore une fois à la Place
des Droits de l’Homme. Une continuité dans l’histoire de la Tunisie, contre
toute forme d’oppression militaire, religieuse ou politique.
Sous le ciel de Bizerte |
Toujours
pour une question de politique, la remémoration de 2013 s’annonce comme un
conflit où l’enjeu est la récupération des événements autant que des électeurs
potentiels… en cette période où le provisoire (de la Constituante) n’est
toujours pas réglé.
Pour garder
espoir et nous conforter dans l'idée que les mentalités peuvent évoluer,
saluons au passage, le succès de la "marche des Beurs" qui a
mobilisé la France le 15 octobre 1983.
Un article de Monak
Tous droits réservés à Monak. Demandez l’autorisation
de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur
Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire
Cet article vous a fait réagir ? Partagez vos réactions ici :