L’identité au futur
Il est rare, sinon exceptionnel que la
quête identitaire soit énoncée en termes
de futur. Mais telle est la voie que s’est tracé Jimmy Marc Ly dans le
mouvement qu’il a co-fondé et animé à Tahiti et telle est sa devise : «changer
en mieux» (Wen Hua). Conscient qu’une culture de l’immigration est appelée à se
créer de nouvelles balises.
Jimmy
Marc Ly l’évoque dans Wen Hua, paru au Salon du Livre à
Tahiti, en décembre 2012. Inventaire de
son parcours : sa raison-même d’écrire, son obsession, son destin.
Le pétillant sourire de Jimmy Marc Ly |
Car
sa fonction d’écrivain, n’émerge qu’une vingtaine d’années après son engagement
culturel. Comme si, pour le pionnier, la
mise à l’épreuve de ses convictions, somme toute fort avant-gardistes, il avait
besoin de les ingérer, avant de pouvoir les coucher sur papier.
Le flou comme éden
Quel
but se donne Jimmy Ly dans ces pages, tout comme dans ses autres écrits ?
Ses «récits», ses «idées», ne semblent pas vouloir s’immobiliser, ni se figer. Dans
la réalité, comme dans ses œuvres, il met en pratique cette interactivité,
commune à son caractère, à son projet, à son ouvrage.
Métissage de coutumes |
L’auteur,
à la fois initiateur et acteur de ce parcours, semble s’interroger et nous
interroger au présent. Car son livre, comme son engagement culturel se pose en
tant qu’acte de convivialité, d’ouverture, d’échange constant.
En
trace-t-il un bilan ? Oui et non. Il s’en reproche les manques, en toute
autodérision, mais en annonce les éventuels réajustements.
Le temple chinois de Papeete avant son incendie |
Peut-être
le devons-nous à l’humour insatiable de Jimmy Ly qui ne prétend pas au rôle de sage. Face au poids des civilisations
millénaires, il a cependant tenté d’en soupeser et d’en faire interagir les
valeurs, dans le minuscule triangle polynésien. En fait, la question reste
entière, à l’issue de ce livre : à quel équilibre d’intégration peut
parvenir une communauté immigrée ? Peut-on dynamiser les cultures pour les
faire vivre en totale symbiose ? Au lecteur de conclure. Il est dans la
conscience et l’écriture de l’immigré chinois, une certaine dose de flou, issue
du mélange.
L’utopie
En
fait, héritier de ce melting-pot qui brasse culture maoh’i, française,
asiatique et plus précisément hakka, pose-t-il les préalables d’une intégration active qui
ne renie rien des racines mais cherche à les faire évoluer conjointement.
Le temple chinois aujourd’hui |
S’il
est plus aisé de se faire admettre en tant que migrant économique, à l’origine,
sans statut réel, la deuxième génération de hakkas dont il est issu, fait-elle partie
intégrante du fenua, dans le contexte d’une identité polynésienne en pleine
ébullition ?
Appartenir
à une minorité
n’est pas une sinécure. Marginal en
toutes circonstances ne se vit pas aux mieux. Qu’il s’agisse de la Métropole,
de la Chine des origines, du berceau polynésien d’accueil.
Ly ? Non Lee, la BD bien polynésienne |
Doit-on
se replier sur un communautarisme réflexe et comment réussir au mieux un
métissage qui ne soit entaché ni de sous-catégorie, ni de reniement de soi.
Voilà la question. Et Jimmy Ly la pointe
en d’autres termes à l’époque de ce courant universel des citoyens du monde qui
agite les années soixante.
Le
mouvement Wen Hua est-il précurseur ? Totalement irréaliste ?
S’efforçant de rapprocher les principes culturels et d’en chercher les
universaux ? Encore fait-il figure de chimérique et se frotte-t-il, sans
vraiment de heurts, avec la tradition ancestrale dans ce qu’elle a de pétrifié.
Le rêve fusionnel
C’est
là que se révèle sa modestie. Elle est inscrite sur son visage, face aux
monuments que sont les cultures Maoh’i et les traditions
ancestrales de sa communauté. Ne pas perturber l’ordre des valeurs,
s’inscrire comme un petit caillou sur le chemin du modernisme dans ce qu’il
peut avoir d’épanouissant, d’égalitaire.
Les Hakkas en devanture |
Serait-
elle aussi inscrite sur son front, sa
naïveté ? Mieux que Candide, tout comme les bâtisseurs de tolérance, à la
Martin Luther King, Jimmy Ly «fait un rêve», celui du creuset des identités
authentiques.
D’ailleurs
il est à remarquer que ses élans utopistes sont pourvus de la plus haute
intégrité, comme pour effacer le déficit culturel, le gâchis humanitaire de la première moitié
du 20ème siècle.
Saupoudrant
les déceptions, les malentendus, le plus grave, d’un zeste de sourire, c’est
là que se déchaîne tout l’humour de
l’auteur. Dans cette quête de la cohabitation fructueuse, il lui appartient ainsi de concrétiser, de
les rendre vivants, les vieux mythes, issus du continent asiatique, de les
partager, de les concilier au sein de la terre maoh’i.
Le
Sentimental invétéré
Car
la culture est acte d’amour et la passion
s’essuie quelques revers. Jimmy Ly est un sentimental et il tait sa douleur, en
contemplatif et en toute lucidité. Tout n’est pas accompli.
Au jardin du repos… |
Ce
n’est pas exactement un bilan. S’appuyant sur la chronique du mouvement Wen
Hua, Jimmy Ly en revit les doutes, l’enthousiasme, les aspirations. Son petit
livre, une profession de foi. Modus vivendi bien inscrit dans l’actualité, il
reste comme inachevé, en instance de se parfaire. Il n’est pas clos sur
lui-même, se perpétue.
Jimmy
Ly n’a pas vocation de donneur de leçons. Même si elles sont issues d’une
expérience, ses «chroniques» soulèvent des questions. Elles s’apparentent à
l’«essai» et témoignent de ses tentatives.
Entre sourire et soleil levant |
Ces
dénominations sont définies par d’Île en Île,
le site de la littérature insulaire francophone. Comment comprendre en effet,
alors que ses «nouvelles» Histoires de feu, de flamme et de femmes, participent
de la littérature fantastique, qu’elles soient comptées au nombre des témoignages ?
Jimmy Ly laisse la part belle à l’énigme et à l’incertitude.
Car
l’impulsion qu’il a donnée, l’avenir saura peut-être la confirmer. En retrait,
comme à son habitude, il passe le flambeau.
Toutes les images du livre de Jimmy Ly
Wen
Hua : preuve ou échec de l’intégration de la culture Hakka en Polynésie ?
Des pages et des illustrations pour vous en faire une opinion.
Un article de Monak
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