Téléfiction bien polynésienne
Sur le thème de ce qui peut s'embusquer en matière de peurs irraisonnées, d'espoirs, et de croyances collectives qui pavent la Polynésie d'aujourd'hui, quatre réalisateurs de Tahiti, réunis par la production Ahi Company, relèvent le défi. Phénomènes inexpliqués et superstitions ordinaires de l'île jubilent grave à l'écran. Un étrange bien familier !
Faits divers,
rumeurs ou canulars répandus par des affabulations populaires ou les réseaux
sociaux, forgés et implantés dans notre quotidien, participent de ces “Légendes
Urbaines” polynésiennes.
Insolite, refoulé, irréel, bestial, atrocités, transgressions font ressurgir du
champ enfoui de l’occulte, l’épopée sans réponse de notre époque impitoyable. Un événement !
Quand la vallée exsude ses secrets (Etene) |
Production,
équipes techniques et artistiques sont strictement locales : s’en dégagent
une atmosphère naturellement authentique et la mise en valeur immédiate du
paysage, du bâti ou du mode de vie insulaires du Pacifique Sud.
Deux
grandes familles d’imaginaire s’y distinguent. D’un côté la bonhomie égratignée
par le bizarre, le quotidien qui tout d’un coup bascule dans le monde parallèle
de la prémonition : avec Fa’a’apu de Fabrice Charleux et Tapa’o de Maruia Richmond, l’atmosphère
se veut résolument solaire.
De l’autre, le monde nocturne, sous-jacent et sournois des secrets sibyllins ou
inavouables qui nous menacent : avec le monstre dévorant d'Ētene de Toarii Pouira, et la secte maléfique dans Ahutea de Samuel Cuneo-Samy Nine. Ces distinctions ne se
prétendent pas catégoriques. Juste pour tenter de comprendre la diversité et
les points communs entre ces créations cinématographiques originales.
Des talents, encore des talents...
Les quatre
courts-métrages, qui oscillent entre environ 12 et 15 minutes se succèdent pour
s’aligner, en durée globale, sur le format référence de la télévision (soit, 52
minutes). Des condensés donc, qui ont permis aux différents réalisateurs de
cibler leur sujet avec des images saisissantes et des 1ers rôles percutants.
Eh oui ! La
Polynésie possède de petites bombes d’acteurs... On le savait, mais on n’avait
pas vraiment pu l’apprécier : tant les films de la métropole qui viennent
se tourner ici, se trouvent obligés de nous farcir de faux Polynésiens dans les
grands rôles et des coutumes détournées. Découvrons Bernard Burns, Aimée
Guille, Hinanui Veyssiere, Nanui Namour
et Vaea Vanina Lopez qui tiennent la route, dans un registre où
l’intériorisation est de rigueur. Ainsi que certaines figures de l’équipe
technique, intervenant face à l’objectif : Selelina Pakaina, Marie-Jade
Gatto, Maruia…
Savourons encore
le diapason dramatique d’un certain Edouard Malakai, à la palette sertie
d’ombre, d’angoisse et
d’amertume ; et le déchirement, l’audace et la fougue de Tini
Chaulet dans Ētene : tous deux
convaincants dans leur personnage à double facette. Quant à Ariioehau Taumihau
fabuleux, déchaîné et ingénieux dans son rôle de composition pour cette
« Dame Blanche » dans Ahutea, il nous comble. Avec d’autres brèves apparitions qui crèvent l’écran dans
les quatre courts-métrages, la fiction polynésienne est bien lotie de valeurs
sûres de tous âges...
Des points de vue divers...
L’atmosphère de
chacun des films est vraiment différente… Le point de vue des réalisateurs
s’avère très personnel et original. Ce qui constitue un atout majeur pour la
conception globale et intensifie l’intérêt du spectateur.
Fa’a’apu joue l’économie
des dialogues, tranchée par le couperet des impromptus mercantiles :
silence des acteurs principaux mais intensité de leur expressivité.
Magistraux ! Juste une onde de choc entre deux mondes... ponctuée par la
fuite du temps, du robinet et la rengaine début 20ème… Tout se joue
sur l’apparence de la redite : mais, attention ! danger ! trop
tard, l’irréparable est consommé...
Ētene
fait monter la pression à chaque seconde avec l’incompressible fléau social
qu’est le viol de deux mineures et cette inconscience collective du monstre qui
est en nous. Pas de pardon, la
bête immonde est éradiquée. La justice des ténèbres prend le pas sur
l’officielle qui se veut plus tolérante ; elle se nomme réparation.
Tapa’o concilie voyance
et croyance... dans le contexte religieux spécifique à la Polynésie. Don
médiumnique pour le moins déstabilisant puisqu’il touche à l’au-delà, encore
faut-il vivre avec... en le sacralisant. Sur un rythme lent, voire ralenti,
s’entremêlent signes prémonitoires et
bribes de réalité, paranormal et divination.
Ahutea concentre sur un scénario signé Selelina Pakaina, une action resserrée où
l’imbrication du réel, le canular à la une des cellulaires, la psychose des
rites sacrificateurs, met en exergue les victimes du paupérisme ambiant. S’y
dévoilent sans tabous le pouvoir masqué de l’argent, l’évidence socioculturelle
de la trans-identité ; et avec l’irruption du fantastique la crédulité
facile.
Des légendes d'aujourd'hui
Pour la
Polynésie, ces rumeurs incontrôlées sont actuelles, ce qui confère au film, sa
dimension profonde. Elles s’ancrent dans les problématiques sociétales qui en
caractérisent le quotidien. Les anciens, les matahiapo, aux petits revenus
proches du seuil de pauvreté ; la crise du logement à Papeete, les loyers
excessifs ; et une qualité de vie révolue pour Fa’a’apu.
On y décrypte
aussi, entre autres dérives ou dysfonctionnements sociaux, la manière dont
chacun cultive sa paranoïa face aux plus démunis. Le mutisme ou l’aveuglement
face aux violences : sur mineurs ou inconnus… le recours rassurant aux
superstitions pour se dédouaner du mépris, de l’humiliation sexiste, des
atrocités, des pratiques perverses, des crimes, des complots, bien réels ou
imaginaires. Elles brouillent le jugement, accentuent l’effet inverse du
rapprochement universel par le net et de l’ubiquité des médias, et se soldent
par ce clivage qui amplifie l’intrusion des mondes virtuels ou fantasmatiques…
Un sujet
inépuisable pour le quatuor Fa’a’apu, Ētene, Tapao, Ahutea, à n’en pas douter. Car il s'en donne à cœur joie avec les effets crus et créations "horrifiques" maquillage de Jad'Art. Ce film présente l’avantage
de ne pas nous servir du folklorique à bon marché. De nous initier à la vision
esthétique de réalisateurs polynésiens de talent… ainsi qu’à "l’empire des croyances" et
de leur réappropriation artistique.
Un article
de Monak
Tous droits réservés à Julien Gué. Demandez
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des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.
Et pour vous refaire la
"Série Légendes Urbaines" non-stop, cliquez sur ce lien : https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/legendes-urbaines-replays-760785.html
https://www.facebook.com/ahicompanytahiti/videos/740712856402341/?t=16
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