Le défi de la vie
C’est par un
proverbe mā'ohi que Teiki Pambrun résume, en quelque sorte, son attitude face à
la vie, dans ce monde qui n’offre qu’un seul moule, celui de devenir une
machine à produire jusqu’à l’excès et l’épuisement : « le cocotier
croîtra, le corail s’étendra et l’homme périra ».
Voilà
comment se présente ce personnage incontournable de la polynésianité. Avec
cette retenue caractéristique des Polynésiens. Dégageant un charisme dingue, impressionnant
comme le Neptune des mosaïques gréco-latines de l’Antiquité - soit
l’homologue de Ruāhatu, Dieu de l’océan-, il est empreint d’affabilité,
d’hospitalité et de la modestie des sages.
L’Hitiura près de l’îlot Rimatu à Tetiaroa |
C’est
à bord de l’Hitiura ou Rayon de soleil à l’aurore, son fare
flottant qu’il a failli perdre, pour le simple fait de mouiller dans le lagon
de Tetiaroa… de remarquer l’ouverture artificielle d’un atoll fermé et les
risques de bouleversement sur l’équilibre d’un « site protégé », que
j’entreprends de le connaître davantage.
Montagne
de savoir-faire coutumiers, capable de survivre et de vivre à l’ancienne, il en
fait son quotidien…
Une personnalité !
« Inutile
de chercher à se donner un rôle dans la société, maladif que de vouloir
justifier notre présence. La seule question qu’il faut se poser à un moment,
c’est : qu’est-ce que je fais là ? Je n’ai pas de mission à
accomplir, juste essayer de me trouver. Dans le monde actuel, il n’y a pas de
place pour moi. » étonnant,
n’est-ce pas, venant d’une personnalité atypique, monument de culture
universelle, au vécu flamboyant, disséminant tel une comète quelques traces
inoubliables au gré des îles du Pacifique Sud.
Remettons les pendules à l’heure ! Si
Teiki a essuyé des flashs médiatiques, il ne les a pas cherchés. La notoriété,
la réussite, telles que les sous-entendent les abonnés de la performance, « les
fanfarons de la belle bagnole » et « les rangés des voitures »
n’ont aucun attrait pour lui : « Ce n’est pas ça la
Polynésie ! » «Tout bonnement, je vis mon mythe », déclare-t-il,
acceptant le jeu de l’interview à bâtons rompus.
Teiki, dos à Fare (Huahine) |
Quel est, dans ce cas, son parcours ?
Un mode de vie comme un fil d’équilibriste tendu entre deux types
d’adage : " La vie
est une aventure à tenter et La vie est un rêve, fais-en ta réalité…" Dans le cadre dépouillé qu’il
s’est choisi, il rayonne, coulant des jours flegmatiques au plus près de
l’héritage ancestral polynésien, en symbiose avec le lagon qui l’entoure…
Le malus
Son
discours est celui d’un stoïcien que la nature fait vibrer : « Notre
société est malade : qu’est-ce que je vais soigner ? Prisonnière de
la mondialisation, elle ne se suffit plus de la simplicité ; on
déresponsabilise les gens. Pouvana’a O’opa annonçait une nouvelle ère, puis
tout a été corrompu. Mon père, fonctionnaire intègre était outré par la société
de Gaston Flosse ! Une des notes paternelles en exprime la déconvenue :
"si tu veux être heureux, quitte l’école & le travail et vis tes
chimères". Je l’ai
traduite comme une autorisation de rompre le cycle infernal… une
bénédiction. »
« J’ai
rangé le nœud pap’ de mes 7 ans… J’ai largué la voile et j’ai pris conscience de
cette phobie de la liberté que nous vivons. On ne respecte pas les autres, mais
la loi. Pas le droit de stationner dans une île, d’aller d’une île à l’autre…
(sans autorisation !). » Une sorte de complexe où chacun se trouve
suspecté avant même d’agir.
Une annexe façon va’a à double balancier |
« Quant
à l’associatif, c’est le théâtre de tous les ego. Le moyen de se faire mousser,
d’insulter, de mépriser. Si tu mènes une action contestatrice, tu n’as plus
personne derrière toi et tu te retrouves seul : voir les déboires de Jean-Marc
Pambrun avec Ia ora te natura (1991-1997), alors ! Le respect de la
Terre-Mère, c’est culturel : ça l’était, plutôt. Le problème n’est pas
environnemental, mais une question d’esthétisme… nous sommes tous des
pollueurs. Il n’existe plus d’esthétisme au quotidien, nous l’avons égaré. »
Le bonus
« Jusqu’à
18 ans - je m’en rends compte maintenant - j’étais un mort-vivant, mort en
sursis, toujours malade ; mais j’étais vivant. Ma richesse se situe là. »
Pas sportif, hors de toute émulation, il se lance dans le sport : l’eau,
la voile. « Une sorte de défi ». « à 20 ans, je suis en vie, en super forme. C’est du bonus,
c’est gratuit ! »
« Quand
j’ai monté mon entreprise de chantiers, vers 23-24 ans, malgré la fierté de mon
père, je me dis que ce n’est pas possible… qu’il existe autre chose que de tomber
dans le panneau de prouver que tu es autonome, de faire fructifier ton
gagne-pain… » et autres occupations lucratives.
Un lieu de vie traditionnel et… la pluie |
Ainsi,
se met-il à conjuguer relation à la nature et job… essentiel et
existentiel : traversées à la voile dans les archipels dont la destination
Tahiti-Tetiaroa dans les années 80-90 sur le voilier L’Auroch, qui coula en 91
après avoir été cédé. Une apparition à l’écran dans Hombo… De nouveaux périples à moteur toujours
à vocation de tourisme culturel et autres aventures marines. L’océan encore… des traversées du Pacifique à la voile... et l’homme face à son destin.
L’anthropocentrisme
Teiki
déplore cette attitude importée depuis l’évangélisation (1797) ; elle se
trouve à mille milles de la mentalité polynésienne originelle, en perpétuel
dialogue animiste avec la nature aquatique ou terrestre. « Nous vivons un
malentendu. La Genèse a érigé l’homme en tant que roi. Quand Noé pactise avec
Dieu, l’humain devient la terreur de la Nature… Il détruit tout, il fait le
vide autour de lui. » Teiki fait de cette formule à la sauce Mère Teresa
sa devise : "vivre
simplement, c’est permettre aux autres, tout simplement de vivre" !
« Notre
relation au monde est égocentrique ; c’est dans la religion. On ne laisse
plus de place aux phénomènes naturels ; on ne compose plus avec : du coup
on fait des enrochements ; on raisonne au mètre carré : jusqu’où va
l’égocentrisme ! Les SDF qui prennent le p’tit déj’ devant la cathédrale
se font insulter : si tu juges les pauvres, tu ne peux pas les aimer….La
religion est à réinterpréter. »
Au gré des mots…
Combattre
quoi ? s’interroge Teiki. « Ce monde doit aller jusqu’au bout de sa
logique de destruction. Soyons à la hauteur de notre humanitude faute de quoi nous ne serions qu'une erreur de la
création »
On nous a tout retiré
Dans
ce système de soliloque à sens unique, reste-t-il des solutions
communautaires ? « Mon espoir, c’est peut-être dans un sursaut de la
nature humaine qu’il réside. » Nous ne sommes pas loin d’un humanisme
à la Montaigne. C’est au niveau de la personne que tout se joue. « Ce qui
explique peut-être que je sois un solitaire ».
Le
communautarisme a montré ses limites… « On a été touchés par
l’évangélisation : on nous a tout retiré. On nous a enlevé le sacré. On était dans un animisme qui respectait toute
créature : eau, lagon, rivière, etc. Retrouvons cette sacralité qui était notre
culture. »
Une ambiance sirène… |
Insulaire
natif, l’océan toujours ! Les Polynésiens d’aujourd’hui bénéficient-ils
des gènes de leurs ancêtres navigateurs depuis la Préhistoire ? Du moins
certaines traditions perdurent... Teiki renoue depuis plusieurs années avec la
pirogue double habitable de ses ancêtres. Un toit au Jardin
d’Eden,
documentaire programmé à la 15ème édition du FIFO, dans la catégorie
écrans océaniens, à travers cette filiation offre l’opportunité de
découvrir un habitat en symbiose avec le contexte lagonaire.
À la polynésienne !
« La
vie des îles, sur un fare flottant, est possible : la technologie actuelle
nous permet cette option ou ce choix de vie. Confort assuré par un minimum
d'installation avec l'énergie solaire et l'utilisation de divers appareils
électriques. Un désalinisateur, un épurateur d'eau de pluie ou d'eau saumâtre. Victuailles
de base, et matériel de pêche succinct, un va’a motorisé.
« Tout
le reste se trouve sur place : l'eau de coco, le coco râpé qui donne lait,
huile de friture, huile pour le corps, bonbon coco et un tas de produits. Le
poisson, les crabes, et une multitude de fruits de mer viennent agrémenter le
menu quotidien. Balades, plongée, pêche sont les activités principales. Ne pas
oublier de bons bouquins, de la bonne musique pour les moments de loisirs au
calme.
De la musique en toutes choses
Teiki
rend compte plus amplement de son identité sur sa page internet Culture et Navigation. Son
manifeste ? « Le droit d’être
citoyen en Polynésie et rien d’autre. Je ne combats rien du tout. Le droit d’être
contemplatif : je suis admiratif, qu’il pleuve, qu’il vente. » Le
portrait serait incomplet, si je taisais la disponibilité, l’empathie, la
qualité d’accueil, la cordialité dont il fait preuve. Mais vous les avez déjà
distinguées, en parcourant les différents liens qui illustrent son tempérament.
Un article de Monak
À propos du bandeau : Toile de Tehina. " Scène inspirée de nos sorties
sur Tetiaroa dans les années 90 où, encore étudiant, il faisait partie de
l'équipe pendant ses vacances. Larry Cowan à la flûte traversière, Manea
Lauglin au djembé, Terii Tekopunui de dos à l’ukulele, Poken Kavera à la
guitare, Teiki Pambrun au fond à l'harmonica, Teve le frère de Terii à la
poubelle basse, et un fumeur de pétard au premier plan. Ce tableau illustrait
l'affiche de sa première exposition en 93 à la mairie de Papeete dont on a
animé la soirée."
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