Vagabondages en solitaire
Il était une
fois, une vallée : La Fautaua. De verdure et de transparences sous les
éclats du soleil, d’ombres et de ramées… de pétales fringants en couleurs et en
parfums, de bruissements d’ailes sous la canopée tropicale, ainsi se révèle ce
brin de rivière indomptable et sauvage.
Il
n’est qu’une manière de l’aborder, en remontant son cours, car les cimes volcaniques
la rendent inaccessible. Une seule façon de la découvrir : avec l’autorisation
de la Société Polynésienne des Eaux et de l'Assainissement (SPEA), concessionnaire
de la vallée-haute, quand elle ouvre son portail au public, fin mars. C’est après
la saison chaude balayée de pluies, quand sont déblayées, balisées et consolidées
ses pentes ravinées.
Une barre d’estuaire mouvementée
Où trace-t-elle ? Au nord-ouest de
Tahiti. Elle sépare Papeete, rive gauche, de Pirae, rive droite. Tantôt large,
tantôt étroite, son cours rapide se fraie entre roches et arborescences.
Elle serpente sur une bonne douzaine de kilomètres.
Sa profondeur varie entre des bassins de plusieurs mètres, des rapides, des
tronçons paresseux, des gués et… sa fameuse cascade initiale de 120 m, la 28ème
des plus hautes du monde !
Tout près du ciel de ses sources. |
Vous ne pouvez la suivre qu’à pieds.
D’abord librement, dans sa partie littorale habitée en empruntant le chemin riverain. Son petit
estuaire tumultueux fait face à la passe Taunoa qui lie le lagon au Pacifique
entre les récifs coralliens. Ensuite, en amont du quartier industriel de
Titioro, là où, captée par la station, elle assure le ravitaillement en eau de
la capitale. Vous pouvez la poursuivre jusqu’à sa source, entre les monts Aora’i
(2066m), Marau (1493m) et Te Tarao Mai’ao (1323m).
C’est une randonnée qui demande un peu
de souffle. La dénivellation n’est pas des plus bénignes ! Mais, à
l’instar de la rivière qui se laisse voir, qui se livre, vous vous sentez tel
que vous êtes : insignifiant, lilliputien. Votre présent semblable à son
parcours : des millions de gouttelettes qui s’assemblent et s’enfuient.
A son contact, votre perception se
décuple. Vous apprenez à vous confondre avec elle : maillon de la mémoire,
de la nature, des vivants. Votre méditation solitaire se comble de présences. C’est
elle qui imprègne vos sensations, vos sentiments ; elle, qui induit vos émerveillements
et vos songes.
Préservée mais pas vierge
La
Fautaua jouit du privilège d’une sauvegarde écologique du fait de son rôle de
pourvoyeuse en eau potable. Ce n’est pas le cas pour la trentaine de rivières
qui irriguent la portion la plus importante de l’île, Tahiti Nui. L’agrément
des bains en eau douce attire les insulaires qui ne se montrent pas
toujours soucieux de l’environnement. De plus, elles servent de carrières d’extraction de graviers, comme
d’utilisations hydroélectriques ou industrielles, voire de
dépotoir à ordures.
La
vallée ne se compte pourtant pas au nombre des vierges. L’histoire s’est
chargée de la violenter. 1846 : une rébellion tahitienne, appuyée par les
Anglais, s’oppose à la France. C’est sur le site de la Fachoda, entre les
crêtes, que l’amiral Bruat et ses 65 hommes, « prennent
à revers les insurgés ». Le fort, ainsi nommé 52 ans plus tard, fut
destiné au repli en cas de conflit. Il n’en reste qu’un pan de muraille…
Un fort, La Fachoda, maintenant en ruine |
C’est
de ce point de vue, nommé Belvédère, à quelques 390 mètres au-dessus et face à
la cascade de la Fachoda, que nous allons commencer notre promenade, en côtoyant
logiquement le cours de la rivière, de son point culminant à sa fusion avec la
mer…
« Une rivière c’est la vie »
« Une
rivière, c’est la vie » : c’est ce que conçoit, éprouve et teste
Danny Pittman, héritière de l’esprit des vallées du fenua, à l’unisson avec
celle où elle vit, la Papeiha - Vai'iha. Surtout quand elle
est limpide, quand, dans ses transparences aux reflets de jade et d’émeraude,
se mire le dais céruléen du ciel et percent les rayons frangés à travers la
frondaison.
Au faîte de la Fautaua |
Au-dessus
des futaies se dressent les sommets dentelés et abrupts. Sur le raidillon qui
mène à mi-cascade la voie est moussue, étroite, coudoie le rocher humide d’un
côté, l’à-pic de l’autre… enjambe les arbustes dessouchés, se faufile sous les
troncs, se respire l’air vif des cimes. Elle batifole parmi les essences mêlées,
innombrables.
La
pente est ardue, la descente, un tant soit peu acrobatique, se cramponne aux
cordes. Juste pour un tout petit passage. Cédez ensuite au plaisir de musarder…
de sentir la forêt vous envahir de ses pulsations.
Encordée sous la muraille du Fort |
Ici,
la fête des corps : pour qui aime la pureté de l’air, le silence pénétrant
de la nature et le murmure de la forêt. Ni agressif, ni monotone, le parcours
un peu gymnique stimule les muscles endormis habituellement, vous fait
retrouver votre élasticité et la joie saine des gambades. Aventurier de la
beauté, gorgez-vous de sérénité, d’impressions et de spectacles.
Contemplatif-actif,
votre effort est récompensé par la harpe floutée de la cascade. Puis, votre
petit nécessaire et vos chaussures sur la berge, laissez-vous glisser sur le
« toboggan » qui mène aux vasques « creusées dans les orgues
basaltiques ». Une baignade si fraîche qu’elle vous tonifie à
souhait ! Les frileux la diront glaciale ! Retrouvez votre âme
d’enfant.
Le rideau irisé de la cascade
Les
bassins encaissés donnent sur la trouée d’une nouvelle chute ; la cascade continue.
La sente est escarpée puis déclive en douceur jusqu’au pont de Tearape.
La mère nourricière
Ne
vous alarmez pas, si vous croisez le petit scinque multicolore à queue bleue… Du
vif-argent dans les veines mais inoffensif ! Ce n’est pas comme son
ancêtre, le lézard géant de la Fautaua.
Mais ceci est une légende.
Aux
temps anciens, quand les Tahitiens vivaient dans les grottes de la vallée, ils
rapportaient de l’eau de mer dans des bambous pour assaisonner leurs aliments.
Une femme ramena un œuf énorme qui vit éclore un gigantesque lézard. Très doux,
il fut adopté par la famille.
Lézard à queue bleue au pied du mape* |
Lors
d’une saison particulièrement sèche, les parents, partis en quête de fe’i* à
cause de la disette, laissent leurs deux enfants sous la protection du reptile.
A leur retour, ils eurent la douleur de découvrir que la bête les avait avalés.
Le grand mo’o (lézard), pour fuir leur colère, se jeta dans le vide.
Ecrasé au pied de la falaise du mont Aora’i, sa
queue se planta dans le sol et donna naissance à cette espèce de bambous
cassants, dont on découvre encore le massif, plus bas.
L’eau, pourvoyeuse de vie… |
Ainsi
que le rappellent les balises, la nature est prodigue : « L’eau
se mange », sous toutes ses formes végétales. Nutritives ou médicinales,
les variétés occupent tous les étages du panorama : à fleur d’escarpement,
sous le moindre buisson, à portée de main, en hautes tentures arborescentes.
Riante, la Fautaua…
De
sautillante, elle devient riante, s’étale et se complaît un moment à folâtrer
parmi les herbes, à se rassasier de lumière, avant de quitter l’emprise des
montagnes et de rejoindre la compagnie des humains.
Pimpante la vallée… |
Mais
la Fautaua est capricieuse et elle retrouve ses habitudes de foreuse. Elle
s’enfonce à nouveau entre des berges resserrées. Au début, elle se laisse franchir
par des passerelles bucoliques, puis en aval, elle disparaît sous les ponts de
la ville et entre des berges artificielles empierrées ou bétonnées, tout en
maintenant un « couloir écologique » succinct.
Et
elle termine son cours entre des fare*
et des Cités populaires qui y déversent leurs eaux polluées puis une lisière de
villas cossues avec vue sur lagon, enserrant les maisonnettes de pêcheurs.
Des petits ponts de bois aux chemins de halage bitumés |
La
vie reprend ses droits… comme elle peut. Sous les ponts, le sillage des rats
d’eau, striés par le chant de ces coqs perchés haut. Et pour rêver encore aux
temps anciens et à cette fameuse origine de la capitale, les petits paniers
séchant nous rappellent les corbeilles d’eau.
Pape’ete*
ou corbeille d’eau, nom originel de la capitale polynésienne, « en référence à
ces récipients utilisés jadis pour recueillir l'eau aux sources qui
jaillissaient dans les jardins du palais Pomare », vous convie à imaginer.
Corbeilles tressées contenant des calebasses ? Ou simples paniers au
nattage serré ?
L’eau, le panier, le coq : un mode de vie |
Ne
nous y trompons pas. Rien ne peut plus être pêché dans la Fautaua. Il n’est pas
non plus recommandé de s’y tremper à
proximité de concentration d’habitat, comme partout ailleurs.
Restent
les petits artisans pêcheurs, les hommes de la maison… qui se lancent dans le
lagon avec leur va’a* de fortune quand la houle n’est pas trop forte. Chômage
et misère obligent.
L’estuaire (à gauche) vu des pêcheurs |
Les
poissons frétillants et comestibles des vasques de l’amont sont loin derrière
nous. La Fautaua pourra-t-elle reconquérir son domaine ou se laisser dépérir comme
un animal en captivité ? Là réside le dilemme de la vallée.
… et rebelle !
Si
petite, si fragile, si menacée, la rivière décuple son régime, se déchaîne à
chaque saison des pluies. Elle charrie des tonnes de troncs et de terre.
Eboulements, envasements, ravinements n’épargnent que les riverains de son
cours littoral, grâce aux accotements.
Une vallée « chocolat » en crue
Est-ce
la colère ou l’érosion qui la rend « chocolat », comme on dit par ici ?
Elle n’a pas été détournée mais elle déborde et arrache tout sur son passage.
Elle
souffre de transmettre des germes, des infections et des épidémies.
«
Une rivière retrouvera toujours son lit », nous commente une fatu fenua (propriétaire terrienne),
enfant du pays.
Une randonnée tranquille |
La
sagesse ayant parlé, il est d’autres voix que je ne pourrais oublier en cette
rêverie de promeneuse initialement solitaire. De jeunes inconnus qui
solidairement m’ont offert leur protection sur les hauteurs à cabris.
Les
mômes des quartiers populaires qui m’ont aidée à remonter mon vélo. Les
pêcheurs qui ont partagé un petit moment de discussion.
Le gardien de la vallée |
L’esprit
des fils de la vallée souffle encore de façon bienfaisante. Nous sommes en
terre polynésienne. Hospitalité tout sourire bien ancrée dans la culture !
La
Fautaua est à leur image et vice versa. Alors, confions-la au gardien de la
vallée !
Un article de Monak
Glossaire :
*mape : sorte
de châtaignier tropical
*fe’i :
banane plantain
*fare :
maison traditionnelle en bois et végétaux ; dans les quartiers
populaires, les matériaux sont la tôle, le bois de récupération et le parpaing.
*pape’ete :
pape signifie eau ; ete signifie corbeille en reo tahiti (langue
tahitienne)
*va’a :
pirogue à balancier polynésienne.
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de l’auteure avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur
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