Le Faucon fait son cinéma
Sur fond de
rupture avec l’actuel semblant de « Gouvernance » -véritable
entreprise d’acculturation-, depuis
1964, la Tunisie traite par l’image filmique amateur « des interrogations nationales (…) et du droit des
peuples à décider de leurs destinées ».
La
28ème session du Festival
International du Film Amateur de Kelibia (FIFAK) démarre fort avec un public
scandant, à l’ouverture, le départ du maire de la ville et la libération des
artistes et techniciens de l’image inculpés abusivement : le cinéaste
Nasreddine Shili et le vidéaste Mourad Meherzi. Le fameux
« dégage ! » qui a fait tomber la dictature tunisienne, il y a
deux ans, retentit sous le ciel de la première nocturne cinématographique.
Avec une fréquentation estimée entre 1 500
et 2 000 sièges par journée, pas besoin d’autres arguments pour prouver
que la culture tunisienne poursuit sa résistance et son combat, sans se
départir de cet esprit frondeur qui a toujours animé les images du cinéma
amateur tunisien. Le FIFAK 2013 a remporté le challenge qu’il s’était fixé.
Un Festival, un esprit
Le fonctionnement,
performant, n’a été perturbé par aucun parasitage. Nous le devons à une équipe
de bénévoles, malheureusement de plus en plus réduite, mais efficace.
L’organisation en a été bien conçue par la Fédération Tunisienne du Cinéma
Amateur (FTCA) qui l’a rendue fluide.
FIFAK, une chaîne intergénérationnelle
A
quoi donc peut-on attribuer l’esprit irréductible des cinéastes amateurs sélectionnés
pour ce Festival ?
- Du fait de la distance avec la capitale ? En effet, la
centaine de kilomètres qui le sépare de Tunis, parmi vergers et vignobles, ne
s’effectue pas en moins de deux heures en car…
- Du
fait d’un cinéma qui n’est pas commercialisé et lui laisse toute son
indépendance ?
- A
l’ingéniosité que les créateurs ont dû mettre à contribution pour déjouer le
manque de moyens, pour exister ? Mystère !
- A
l’acuité du regard qu’on accorde à l’emblème de la ville : le
faucon ? Et qu’exercent les créateurs comme le public ? Peut-être…
- A
la solidarité d’une population, bercée depuis près d’un demi-siècle aux lueurs
des écrans de plein-air, en plein centre-ville ?
- A
la présence des réalisateurs professionnels du cinéma tunisien qui y ont fait
leur classe ; ainsi qu’à l’omniprésence des acteurs professionnels qui
n’hésitent pas à donner de leur image gracieusement ?
Toujours
est-il que la population locale adhère, que la transhumance humaine s’opère en un
véritable rush, que la tradition est bien ancrée. Kelibia, ce sont les gîtes
chez l’habitant, l’Ecole de Pêche investie comme un retour vers la jeunesse, la
Maison des Jeunes gorgée jusqu’au seuil, la moindre terrasse bondée à coups de
débats, le café du fort qui ne désemplit pas, le Borj et son écran sous les
étoiles… Le petit déjeuner de poissons grillés, les nuitées sur le sable des
plages…
Un Festival militant
Avec un budget dérisoire, surtout face
aux grosses machineries culturelles de l’été, une sponsorisation de l’IFT
(Institut Français de Tunisie) équivalant à une journée du FIFAK, la subvention
de la Municipalité de Kelibia, la sono, la lumière et le budget annuel fournis
par le Ministère Tunisien de la Culture, la Fédération Tunisienne de Cinéma
Amateur a assuré l’événement en toute indépendance.
Malgré
la pluie… qui n’a pas joué les handicaps sérieux et sur fond d’orage d’opinion,
qui ne fait pas allégeance au pouvoir et l’a prouvé dès la séance inaugurale,
le FIFAK fait son cinéma. Une sélection drastique pour assurer la qualité, une
sélection choc pour perpétrer son engagement. Ne nous y trompons pas :
l’accord s’est révélé majeur entre le choix des organisateurs et l’assistance
présente. La Tunisie profonde c’est ça aussi : les sujets qui dérangent et
font polémique.
Sélection
de soixante films, répartie entre
monde arabe et européen, avec un petit bout d’Afrique pour une variété de
formats : des mini au moyen-métrage, un concours « Pocket Film »
(IFT). Une programmation soulignée en droite ligne avec les interrogations
actuelles de la Tunisie : « Le festival conserve aussi ses bonnes
habitudes avec une soirée consacrée à "la Palestine", une au "cinéma
de résistance", et une autre aux "coups de cœur" », peut-on
lire sur le programme en ligne.
Et
pourquoi ne pas commencer cette éducation par l’image en « Ateliers de
réalisation ». Pour les enfants une aventure, celle de la conception d’un
film jusqu’à sa projection et sa réception par le public. Le sujet a été la
pollution : environnementale, il est vrai ; mais il est vrai aussi
qu’elle pourrait s’étendre, plus tard, quand ils seront grands, à toute forme
de pollution mentale.
Un Festival insoumis
Le palmarès
international
a couronné du “Faucon d’Or”, l’un de ces films contestataires qui a l’audace de
relater les dégâts comportementaux générés par un régime des plus oppressifs.
En illustrant chez ceux qui sont appelés à représenter la défense du pays (la
soldatesque) la régression mentale, l’immaturité libidinale, l’iranien Ismaël
Moncef n’a pas manqué d’écorcher le fatras éthique cher aux ayatollahs.
Plus
l’éducation est répressive et sexiste, plus elle engendre de fantasmes sexuels
masculins : une jupette rouge abandonnée et c’est le délire fétichiste à
l’œuvre dans le film « Sous le drapeau ». On aurait pu dire :
sous le manteau ! « Film bien mené, il traite d’un tas de complexes
de la société iranienne. Ce bout de tissu devient prétexte à la quête du féminin :
fêté, porté sous l’uniforme, il ose rendre compte des obsessions taboues. »,
commente Maher Ben Khalifa, chargé de communication.
« Du point de vue de la technique
cinématographique, le niveau de la compétition internationale a ménagé d’excellentes
surprises. Le film polonais « Le bruit » a remporté le « Faucon
d’Argent ». Il était aussi le plus original. D’une manière très fine et
même délicieuse, Prezemyslaw Adamski a su transformer les sons en images.
C’était à la fois amusant et surprenant. », poursuit-il.
Le film engagé : Gaza
(voir la vidéo)
« Pour la catégorie nationale, j’opterai
pour « Le fils de l’Homme » de Sabrine Naes. Succession de plans
fixes en noir et blanc, avec un petit enfant pour seul acteur, il dégage une
émotion forte. Son esthétique montre une grande maturité au niveau de l’image.
Il aurait mérité un prix international, mais n’a eu que le prix spécial du
jury. », conclut-il.
La cuvée postrévolutionnaire
A quoi pouvait-on s’attendre après les saisons tunisiennes 2011 et 2012, celles
de « la marginalité, de la précarité et des
sujets pas trop galvaudés », celles de l’explosion des possibles.
Le
cru 2013, parmi tous les films amateurs candidats et ceux qui n’ont pas accédé
à la sélection, correspond à « la période un peu perturbée que nous
vivons. On n’arrive plus à raconter une histoire. La faiblesse vient
certainement du scénario, mais pas seulement. Le Tunisien… a les ailes
coupées », ajoute M.B Khelifa.
Le
récipiendaire de la « meilleure photo », Mehdi Ben Gharbia, illustre
à plein l’état d’esprit du pays. Avec « L’urne électorale »,
représentée par un SDF scrutant une poubelle publique de l’avenue Bourguiba à
Tunis, cabas à l’effigie de Paris, c’est bien le quiproquo d’une occultation
des aspirations de changement révolutionnaire qui est ainsi dévoilée.
En
droite ligne avec le débat sur « le court-métrage tunisien sous la
dictature », mené par Walid Tayaa, c’est bien par métaphores que s’exprime
le cinéma amateur en cette période de non-droits.
L’avenir
incertain, c’est encore cette métaphore de la résistance : L’image est mirage,
le scénario clandestin…
Un article de Monak
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