Du film au top niveau
Les perturbations secouant l’atmosphère avec «Nat», la dépression annoncée sur les îles de la Société, et le temple du FIFO à Te Fare Tauhiti Nui, brusquement fermé au public par sécurité en ce début de semaine, l’accès en ligne n’étant pas coupé, le festival a pu continuer son aventure. À suivre sur le site du FIFO : avec une abondance de tables rondes, d’animations et autres informations nutritives.
Faut-il souligner que l’équipe organisatrice, ainsi que la météo prédisaient une année exceptionnelle. Heureuse surprise. L‘oracle s’accomplit : les «films en compétition» s’avèrent d’une facture et d’un niveau largement digne d’éloges...
Nous ignorons - bien évidemment -, comment va débattre le jury et quels sont les critères qui emporteront l’attribution des prix, notre analyse n’est que personnelle. Mais la surprise est belle. Le choix des sujets, l’originalité et le parti pris du traitement, leur complexité, les points de vue mêlés, leur tendance à nous baigner dans une ambiance à différents niveaux, nous induisent à percevoir autrement la réalité océanienne.
Comme un parfum de nuit des temps
L’image, sa finesse, sa valorisation ne nous épargnent pas de la gravité du propos tout en inférant vers une redécouverte de l’espace océanien, une réflexion nuancée, majorant les perspectives futures plutôt que les erreurs du passé : comme pour se réapproprier une page d’histoire autrement que par un hommage funèbre.
Dans la série «chefs d’œuvre», j’opterais d’abord pour ce monument documentaire qui porte habilement ce nom «THE GIANTS», suivi de «TRIBAL SISTERS», puis de «CIRCLE OF SILENCE», de «KAUGERE : A PLACE WHERE NOBODY ENTERS», «ELOI MACHORO, itinéraire d’un combattant», avant de poursuivre plus avant.
Le tissage Nature & Humain
Qui sont-ils «THE GEANTS» : des végétaux, un humain ? les millénaires eucalyptus Regnans, pins Huon, myrties de la forêt primitive de Tasmanie ou de son sénateur ? Les réalisatrices, Laurence Billiet & Rachael Antony laissent planer sciemment le doute pour qu’on éprouve le besoin de remonter aux sources. Après FREEMAN, nous pouvions nous attendre à un résultat esthétique et hautement poétique : elles possèdent ensemble le sens de la beauté du mouvement physique, corporel. Effectivement, font-elle appel à Alex Le Guillou pour interpréter en traitement visuel, la palpitation , la respiration, les réflexes de préservation des gigantesques arbres.
Du point de vue scientifique, s’entourent-elles de spécialistes en biologie et comportements arboricoles, et multiplient-elles les techniques pour en tirer le maximum de captations. Et parallèlement à la nature, protagoniste à part entière du film, introduisent-elles le militant-politicien écolo Bob Brown, de sa descente par les rapides de la Franklin, à son arrestation rapide pour manifestation, ses victoires politiques pour la préservation de la forêt, à sa retraite active.
Réalisatrices & héros .
Grâce à l’apport de leurs nombreux contributeurs, elles fouillent avec justesse dans les chapitres qui peuvent raccorder l’humain & le végétal, de façon concrète & quotidienne. Ce qui enrichit la perception, la ravive, & leur fournit matière pour se consacrer à l’esthétique du film. Chaque moment est un délice visuel et d’ambiance. Sur une durée de 113mn., pas un instant de longueur ou d’ennui, tant les apports ravivent l’intérêt...
Avec ses 23% de préservation, la Tasmanie survit à la déforestation manigancée un peu partout, ainsi que Bob Brown, réchappé de toutes les insultes, menaces & discriminations homophobes, particulièrement acerbes en Australie.
Et pour soutenir le tout, une bande-son entre feu primordial et «The Seed» de la compositrice norvégienne Aurora, interprétée par les 200 choristes du Melbourne India Voices. Un documentaire capable d’actualiser chaque élément informatif, de philosopher sur la relation spirituelle de l’humain avec son entourage apparemment muet, sachant dynamiser et personnaliser chaque découverte, et nuancer l’effet réceptif auprès du spectateur potentiel : de la graine de chef-d’œuvre !
L’effet femme
Sans uniquement parler du précédent Bob Brown que le soutien féminin a magnifié, le reconnaît SBS, «TRIBAL SISTERS», ouvre une page lunaire à ce Festival. Là où elles se mobilisent, hors toutes normes et défiant toute habitude communautaire traditionnelle : les «sœurs» de tribus ennemies, vont faire cesser quelques 30 ans de guerres tribales, fondées sur la famine, les terres, un malentendu... et engendrant dans chaque tribu des retombées incroyables. La perte d’un guerrier, par exemple, entraîne la culpabilisation de son épouse soupçonnée de complicité par sorcellerie... Bonjour les dégâts auprès des enfants ! Ce que déplorent aussi certains responsables avisés...
Effet magique que ce combat pacifique féminin en éveillant chez chacun son sens commun, vu les dégâts familiaux s’en suivant...
Sœurs de paix
Il leur a fallu, aux mâles des tribus de Papouasie Nouvelle-Guinée, quelques 6 ans de période faste, tranquille, pour que les honneurs leur soient accordés.
Autant d’années pour travailler avec les forces de l’ordre, afin de sensibiliser les populations, à abandonner les accusations de sorcellerie entachant les femmes, quand une situation tourne mal... ce fait-là reste encore loin d’être éradiqué. Se comptent encore 200 cas annuels de violence de cet ordre...
Une femme qui ne lâche pas
«CIRCLE OF SILENCE», étonne la gent masculine, car l’enquête est menée par l’une des ex de ces 5 journalistes australiens, exécutés à Balibo au Timor, par les forces du dictateur indonésien Suharto, alors allié de l’Australie. Le gouvernement australien est coutumier de ce genre de fait, à l’international comme au niveau national. Rien ne filtre, sans même de précaution et les aberrations s’exposent au grand jour...
Le volage Greg Schackleton dérangeait les potentiels envahisseurs, convoitant tous 2 le pétrole de ce minuscule pays, parce qu’il dénonçait internationalement à 2 jours de sa mort, l’invasion violente et cruelle de l’Indonésie...
Mais au-delà de la mémoire réhabilitée d’un (de ces) journaliste tombé au nom de la vérité, c’est l’amitié que les habitants du village enfin indépendant témoignent à Shirley S. qui est magnifique. En une cérémonie de partage qui clôt l’enquête, ils la délivrent de son deuil et l’accueillent en «petite sœur» sur les genoux de l’aïeule de Timor...
Une histoire de fraternité qui dépasse les intérêts politicards... et tant mieux ! Le FIFO 2024 préserve dans son escarcelle bien des histoires de ce genre qui pour n’être pas totalement des contes de fée, laissent augurer d’issues meilleures...
Un soleil pour demain ?
Avec «KAUGERE : A PLACE WHERE NOBODY ENTERS», et «ELOI MACHORO, itinéraire d’un combattant», une action civique au-dessous de tout soupçon et de la réhabilitation dans l’air, pour qui construit l’avenir avec les jeunes.
..Les enfants de demain
Si l’heure semble à la résilience pour les laissés pour compte de «KAUGERE», ce n’est pas sans mal et c’est en prenant lucidement des responsabilités. En Papouasie-NG, inutile de compter sur les instances officielles : elles sont corrompues. On ne la raconte pas au coach de la jeune équipe de rugby, qui a démissionné de la police, car la machine était trop pervertie. Violente, détraquée, «elle harcèle la population» et se couche devant les gangs...
Albert Muri, belle figure de ce quartier sans eau de Port Moresby, porte à bout-de-bras les espoirs sportifs de demain. Ce n’est pas sans échec, ni sans revers, mais certains grands joueurs sont issus de l’équipe...
Indépendantiste n’est pas un délit...
En dépit des relents franchouillards imbuvables concernant les indépendantistes, Éric Beauducel réalise un documentaire, extrêmement précis, mettant à contribution des témoignages favorables ou antagonistes, réhabilitant «ELOI MACHORO» ... à la suite de l’hommage prononcé par Pisani, juste après sa mort...
Les Happy ends figureraient donc parmi les documentaires océaniens de la 21ème session du FIFO.
Un article de Monak
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