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mercredi 29 janvier 2020

“Nauru” de Mike Leyral


Un super docu percutant !


Parfois la question reste sans réponse ! Pourquoi le 28 minutes signé Mike Leyral, "Nauru, la prison australienne" ne figure-t-il qu’une seule fois*, dans la section "Écrans Océaniens" de la 17ème édition  du FIFO ? Sorti fin 2018 sur le petit écran, le "magazine" du journaliste reporter d’images (JRI) peut se targuer d’une qualité de conception, de rythme, d’images : un sujet inter-îles qu’il fallait oser.

           Le film s’inscrit à plein dans la politique du FIFO : « Un cri pour dire que la mondialisation ne peut broyer et faire disparaître les peuples et les cultures », intervient son fondateur, Walles Kotra,  en page 17 des éditos. Ce n’est tout de même pas sa qualité de journaliste en fonction d’une chaîne télévisuelle (TNTV) concurente de la chaîne de service public coorganisatrice du festival qui pourrait l’exclure de la sélection des "films en compétition" : réalisateurs télévisuels d’autres pays y concourent.  

Camp de la misère à Nauru…
           Film bigrement bien construit, la trame générale montre un équilibre dans la succession des images :  alternance entre interviews et voix off du commentaire, portraits et environnement (centre administratif et camps, ruines modernes et bidonvilles) : elle s’étoffe de la diversité des points de vue (officiels, visiteurs, Nauruans, réfugiés), et de la disparité des espaces contigus (friches portuaire et industrielle, rivages et lagon intérieur, espace urbanisé et terres arides incultivables, clairières et décharges). Quant au format, il en est de plus courts parmi les sélectionnés. De plus, en nous référant aux déclarations des membres du comité de présélection du FIFO 2014 : « Un documentaire… doit avant tout susciter la réflexion, impulser la réaction, faire naître une émotion. »  Mission accomplie !

           Quant au vif du sujet, sur fond du 49ème Forum des îles du Pacifique localisé à Nauru, le destin « sans perspective, sans soins et sans espoir des réfugiés relégués par l’Australie sur cette minuscule république insulaire de Mélanésie » se confronte au sort d’une population Nauruane miséreuse, au chômage et malade (diabète, obésité, infections pulmonaire liées aux poussières de phosphates, etc).

Des signes avant-coureurs...

« Les ONG ne cessent de dénoncer, depuis presque 20 ans, la politique d'immigration draconienne de l'Australie » revisitée depuis 2012 et connue sous le nom de "Solution du Pacifique" : déjà Island of the Hungry Ghosts de Gabrielle Brady (prix spécial du jury au 16ème FIFO) évoquait cette réclusion off-shore sur Christmas Island…  Avec Manus (Papouasie-Nouvelle Guinée) puis Nauru, l’Australie finance cette détention à l’étranger.

Réfugiés somaliens dangereux ?
 « Les défenseurs des droits font état de conditions effroyables de détention,  d'accusations d'agressions sexuelles et d'abus physiques. Les autorités nauruanes démentent.» Sur une île plus petite que Makatea (le phosphate encore !) les réfugiés représentent 10% de la population : une manne sous-payée quand elle est embauchée ou à la merci de subventions dérisoires.

Fournaise équatoriale des camps
Une situation intenable, dans huit camps précaires de toile. Sauf que les tentes ont été remplacées par des préfabriqués pour le Forum. Quant aux correspondants, s’ils peuvent, en principe, interviewer les réfugiés dans la rue durant le forum, une journaliste néo-zélandaise s’est vu arrêter et privée momentanément de son accréditation.

Des risques mais... une opportunité

« En temps normal, les journalistes qui souhaitent obtenir un visa pour Nauru doivent payer 8000 dollars australiens… sans remboursement en cas de refus ! Cette fois, le visa est gratuit, le temps du Forum. Sont également interdites toutes les photos ou vidéos des demandeurs d’asile dans les camps »

Le problème s’est donc posé pour Mike Leyral et Brandy Tevero de pouvoir mener à bien leur projet documentaire. Le sujet est tabou. Et la censure est nette. « Malgré les démarches officielles effectuées au préalable, aucune autorisation n’a pu être obtenue. » Que risquaient-ils ? Au mieux la prison.

Une gamine suicidaire à Nauru au camp 5
             « Les rencontres se sont donc opérées secrètement : les demandeurs d’asile, impatients de se faire entendre, dans les camps, entre deux carcasses de voitures, dans une clairière… » D’où ces plans floutés, à huis-clos, ces cadrages à mi-cuisses, ces images de dos ; et les désespérés qui de face défient l’anonymat.

De l'incertitude à la détermination

           Pour Mike Leyral qui a donné le change en couvrant le Forum, Nauru, la prison australienne fait date dans l’histoire des documentaires à risques. Malgré l’adrénaline, la composition est perspicace, l’image limpide, le propos subtil et tranchant. Pas de parti pris pour un sujet poignant. Nauru est dépeinte sous tous ses aspects et couvre l’ensemble de l’île. Il ne manque pas de faire ressortir les contrastes d’une société clivée en deux, la distance et l’incompréhension mutuelle… Un documentaire bien rythmé, alerte, sans longueurs.

           Un zeste d’humour pour détailler le petit peuple nauruan, conditionné par la désinformation ambiante, raciste par défaut et qui se dit heureux de revenir à l’âge des chasseurs d’oiseaux. Et pour boucler la boucle, notifier sa présence en zone interdite, le recours au face-micro initial et final.  En bon JRI, il en est l’auteur, le commentateur, le caméraman et le monteur, mais pas le "mentor" : libre à vous de vous faire votre opinion.

Quand Nauru s’asphyxie
            Une satisfaction tout de même et elle n’est pas des moindres : le coup de projecteur sur les camps de la honte, - « ainsi que d’autres » relève Mike Leyral qui ne cultive pas le narcissisme -, a poussé l’Australie à évacuer les enfants migrants de Nauru, à assurer un traitement médical aux demandeurs d’asile… l’affaire reste à suivre.

            Comme vous pouvez le constater, après avoir visionné l’intégralité des films sélectionnés pour la compétition, je flashe sur Nauru, la prison australienne,  pas seulement pour cette dose de courage des co-réalisateurs, leur engagement déontologique ; pour le niveau formel, esthétique, le traitement impeccable d’un sujet difficile et le talent remarquable de l’auteur-commentateur dont la plume est succulente ; mais aussi pour la dimension humaine qui s’en dégage.

Mike Leyral, le devoir d’informer
            Mike Leyral, déjà présent au FIFO pour Tapati : le festival du centre du monde (2015) et autres docus… et dont les magazines se passionnent de sujets culturels ou sociétaux… vous livre un panorama de styles, chacun soigneusement adapté à la matière traitée. Et puis cette originalité d’achever le propos sur une question ouverte de ses interviewés… parce qu’il a su les mettre à l’aise, qu’il comprend leurs traumatismes : cet ado par exemple qui est incapable de prononcer correctement « future », ou « refugee » !

           Vous pourrez le rencontrer au Festival, ce mercredi 05 février 2020, sur le paepae a Hiro, à 11h 30… D’ici là, bonne projection car : je ne vous ai pas tout dit et il vous reste encore beaucoup à découvrir !


Un article de  Monak

*Attention ! Une seule projection au 17ème FIFO : mardi 04 février 2020, 18 heures, Salle Muriāvai


** pour vous faire une idée des Mag de Mike Leyral, cliquez sur ce lien :  

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Tous droits réservés à Monak et Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.




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