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Le nouveau roman de de Monak à lire absolument

jeudi 12 mai 2016

Bagne calédonien



Le désastre des colonies pénitentiaires

Vouloir établir son empire en peuplant les archipels lointains glanés au hasard des cabotages dans le plus vaste des océans… fut une entreprise déplorable où excella la France au 19è siècle. Importer, déporter des ressortissants de l’Hexagone, pétris en majorité de leur « supériorité ethnique », c’était faire fi des autochtones kanaks, vite réduits, déplacés puis parqués dans des réserves, et de leur culture millénaire. 

Cette page de l’inconséquence des conquérants tournée, –dans tous les sens du terme-, en Nouvelle-Calédonie,  la parole reste aux historiens et aux ethnographes. Il nous tarde de vous faire part du discours scientifique qui rétablit une vérité insoutenable. Bernard de la Véga a choisi la voie du roman pour vous transmettre le fruit de ses recherches et de ses analyses. Il fait ressortir les erreurs et les dégâts causés par les prosélytes de la domination, de la rédemption et de l’ethnocentrisme « civilisateur ». Angélus en Terres Lointaines, paru en 2011, vous fait vivre le sort cruel d’un peuple, soumis à expérimentations, au nom du progrès et du profit.

Bernard de la Véga, historien et auteur
Les conséquences sont affligeantes. Au lieu de réaliser une symbiose humaine sur le territoire conquis, les autorités ont creusé des failles irrémédiables. Il fallait s’y attendre ! Elles ont ruiné toute éventualité de rencontre et de partage entre deux peuples qui, faute de se découvrir, ont été maintenus dans l'ignorance mutuelle, se frôlant dans des mondes parallèles. Elles ont instauré une ère de déshumanisation et d’incommunicabilité.

à travers le destin de personnages, toutes origines confondues, tous statuts de l’époque abordés… se dessine cet effritement préjudiciable à la cohésion sociale et nationale.

Une réalité crue : de la méconnaissance à l’hostilité
Insidieusement, le pays se délite en castes hermétiques où les plus faibles endurent les pires disgrâces. Sur l’échelle sociale que personne ne peut gravir s’étagent l’hôte kanak au plus bas des degrés, les exilés pénaux, les modestes pionniers ruraux, les spéculateurs (planteurs, éleveurs, prospecteurs miniers), coiffés par les notables, les forces de l’ordre, La Pénitentiaire et le haut de la hiérarchie administrative.

Plus de quatre millénaires que l’archipel océanien atteste son peuplement d’origine mélanésienne quand le gouvernement français annexe la Nouvelle-Calédonie en 1853. En même temps organise-t-il une campagne de colonisation avec les métropolitains volontaires, les fixant sur des « concessions agricoles ». Trop peu nombreux, il leur adjoint, dix ans plus tard, les ressortissants de La Pénitentiaire ; puis en 1872, les Communards (plus de 13 000) et les insurgés kabyles d’Algérie (environ 2 000).

100 000 bagnards face à 27 000 survivants Kanaks (sur 80 000)
Quatre communautés se côtoient de très loin, bientôt rejointes par les Tonkinois sur les mines de nickel (ou garniérite). L’administration se charge de ce clivage : réprimant les autochtones Kanaks, les spoliant de leurs espaces vivriers et s’ils se rebellent, mobilisant contre eux les détenus « réquisitionnés » qui feront des milliers de victimes, sans compter les morts de faim.  La scission, somme toute légale, est d’ordre ethnique et social : d’un côté l’ordre établi, les Blancs, colons privilégiés, libres, cossus ou « Chapeaux de feutre » ; de l’autre, tous les autres, les bagnards ou « Chapeaux de paille », soumis au racket de la Pénitentiaire quand leur peine finie, ils sont tenus de lui vendre leur récolte pour une bouchée de pain. De toute façon, ils restent bannis comme les dix milles récidivistes ou relégués (dont 457 femmes) qui viendront grossir les rangs des bagnes océaniens pendant dix ans.

Qu’ils soient libres (Tonkinois), anciens bagnards, les mineurs « filonniers » ou « à ciel ouvert », tombent sous le coup de contrats dits « de chair humaine ». Taxés par la Compagnie minière, maltraités (coups, malnutrition, mis à l’amende, sous-payés) ils ne perçoivent que la moitié de leur salaire… Quant aux Kanaks, leur main d’œuvre reste gratuite, les ex-bagnards y sont tout bonnement vendus (Angélus en terres lointaines, p. 284) ! Les rares « colons pénaux » qui font souche avec les Kanaks sont méprisés, leur descendance avec…

Les Forçats du Pacifique (FIFO 2013)
Comment ne pas déplorer cet échec, autrement qu’en termes d’amertume ? La « brousse » calédonienne se transforme vite en jungle de passe-droits, où tout ce qui n’est pas en odeur de sainteté blanche est soumis aux pires abominations. La société kanake est « écrasée par la machine coloniale ». Expulsée de ses propres terres, marginalisée, dépourvue des droits civiques des Blancs,  elle se voit même interdire ses croyances et ses droits coutumiers, selon le code de 1854 ! Face à un tel comportement esclavagiste, je ne peux que m’interroger.  

Maltraitance et déshumanisation
Sur ces terres néocalédoniennes, où la prise de possession étrangère a occasionné un nombre impressionnant de préjudices tant culturels que civiques ou judiciaires… qu’advient-il des communautés Kanakes ? Frappées par le « cantonnement », les pressions et répressions, le rationnement et le suicide, elles s’étiolent. Estimées à près de 80 000 en 1774, elles passent à 50 000 en 1853 et chutent à 27 000 au début du 20è.siècle.

Les damnés du bagne
La faute ne peut en incomber aux bagnards, dont les brouilles sont intestines et l’audace sapée par la crainte du cannibale. Condamnés à se refaire une santé éthique (ou « expier », p.116-117) par les « travaux forcés », leur quotidien de détenus ou de « concessionnaires pénaux » se découvre bien misérable et sans issue. Grâce à Bernard de la Véga, c’est par le menu des travaux et des jours que se révèlent les conditions surhumaines auxquelles ils sont assujettis. N’oublions pas le rôle des « Communards transportés », qui désapprouvent les méthodes de réclusion de la Pénitentiaire, la violence du pouvoir vis-à-vis des Kanaks, et la corruption des décideurs, bienveillants avec les capitaines d’industrie et d’exploitation. L’absence de droits se fait douloureusement sentir.
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Les impossibles brassages de l’Île des Pins
On ne peut oublier ni la « double chaîne », ni les « brimades » des geôliers (p.129), ni les exécutions par peloton ou guillotine… On ne peut oublier non plus la rancœur des ex-bagnards, terriblement isolés (p. 234), « un isolement proche du vide ». Surveillés, même s’ils ne sont pas des enfants de chœur, ils n’ont pour réelle issue que « l’évasion » (p. 125)… ou se résigner à rester otages de cette terre jusqu’à leur mort. Aucun n’est dupe ! On ne peut oublier enfin, les dits bien-pensant-chapeaux de feutre qui refusent de tendre la main aux ex-bagnards pour les réhabiliter !

Sans foi ni loi
Quelle foi, que celle qui prône l’intolérance ? Quel ordre, que celui qui soutient la fortune des nantis ? Et pourtant : « l’Église catholique a longtemps et hautement revendiqué le mérite d‘avoir… donné ce pays à Dieu et à la France » (in églises & Ordre colonial en Nouvelle-Calédonie). Tout est dit. C’est le temps des Blancs, de « l’intrusion » (p. 329), des réquisitions et de la dépossession, du « bétail des grands éleveurs qui piétinent les tarodières » indigènes (p. 331), des médecins désinvoltes qui appellent les femmes kanakes « pouliches » (p. 343), de la destruction des autels autochtones (p. 336)…

La Pénitentiaire sur timbre
 « Ce n’était pas facile de bâtir de l’amitié et de la confiance dans un monde sans lois et sans forces de l’ordre… peuplé de malfrats et dans un contexte de convoitise teigneuse (…) Il ne restait plus qu’à défier l’impossible. » (p. 254), ruminent les petits prospecteurs. La gestion du pénitencier comme celle du pays n’a jamais été réellement ni sérieusement réfléchie pour développer une société viable et elle repose sur l’arbitraire. Soit les Kanaks parqués ne peuvent se permettre de sortir des « réserves » (p. 374), soit les contestataires-chapeaux de paille, sont remis en détention pour insoumission à l’île de Nou (p. 388).

Le « règlement des Blancs » s’avère draconien pour ceux qui constituent les basses classes, et dans tous les domaines de ce vaste chantier de pillage qu’est devenue la Nouvelle-Calédonie (p. 294).  Cette situation immuable engendrera quel avenir pour l’ensemble de la population ? 

Témoignage d’époque…
Seule exception à la règle, la trame que tisse B.de la Véga, tout du long de ce roman historique. Entre Jean Benoît (bagnard passé concessionnaire) et Chaloyé… la jeune Kanake du clan de la montagne, une idylle et trois enfants. Le dernier chapitre évoque cette partition entre les cultures au moment de l’enterrement dans le cimetière chrétien : « Son mari blanc avait son paradis… il n’irait pas en mer avant de revenir par estran et par rivière jusqu’aux lieux interdits pour enrichir le totem du clan » (p. 383).  

Édifiant, n’est-ce pas ?

« Les années inexorables accomplissaient leur ouvrage », conclut Bernard de la Véga à l’avant-dernier chapitre… De mauvais ou de bon augure ?


Un article de  Monak
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Voir aussi :
Debien (Cynthia). La colonisation pénale en Nouvelle-Calédonie : l'exemple des concessionnaires de Pouembout, 1883-1895, Nouméa, Centre territorial de Recherche et de Documentation pédagogique, 1992, 180 p.

 

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