La couleur de l’insolence
Efbé, c’est une
signature. Et qui dit artiste plasticienne risque de se voir confronter à un
univers des plus fantasmagoriques. Mais la réalité est là : avec ses
gouges, ses parfums de résine, de gomme et d’huile de lin. La dure réalité où
les figurines prennent le dessus et imposent à leur auteure addicte le silence
de la toile.
Telle
s’opéra, une certaine saison 2006 dans l’atelier de L’eau Blanche, lieu-dit
d’un ruisselet qui vient se perdre dans la Moselle, la formidable révolution
picturale qui submergea les cartons d’Efbé. Après force mutineries de ses
personnages de prédilection, les « Insolentes » font leur entrée à la
pointe du crayon et sur la pointe des pieds. L’événement ne provoqua aucun
scoop dans les media de la région… bien évidemment.
Insolente créature… |
La
Lorraine profonde vit encore, à travers ses déboires, les friches de ses
filatures, de sa bière et de ses mines d’antan, au rythme des fables et des
contes qui illustrent depuis des siècles les images d’épinal. Même si le Chat Botté est en concurrence, avec la
Fantasia de W.Disney et les rennes du traîneau, les mascottes des graphistes
contemporains ont du mal à se faire connaître.
Elles,
« Les Insolentes », sont apparues, impromptu… cohortes d’elfes venue tarabistouiller les nains de jardin, agrippés
mordicus, même sous la neige, aux collines de la ligne bleue des Vosges.
La planète insolente. |
Elles
sont entrées en piste, comme les saltimbanques, déroulant leurs rubans. Elles
se sont perchées sur les lignes de la portée, comme les oiseaux en partance font
entendre leurs mélopées s’égrenant sur les fils électriques. La devinette est
ouverte. À vous de les repérer sur le site internet de
l’artiste.
Aux couleurs de l’impudence
Qu’ont-elles
donc ces « Insolentes » à vouloir nous rencontrer ? Pourquoi
leurs frimousses ont-elles envahi la toile et commencé à déchirer le panorama ?
Avant toute chose, il faut revenir aux tableaux précédents. Je vous livre le tout
pêle-mêle : les bribes de la suite sont déjà inscrites dans les
différentes manières que l’artiste mène de front.
Comme des notes de musique… |
Efbé,
contemplatrice nourrie de cette nature aux sources généreuses, explore les
moments fusionnels entre environnement et ses locataires : ses paysages
sont habités de nuages palpitants et crémeux, de végétation charnue, de reliefs
anthropomorphes, de microcosmes oniriques.
Zénitude ? Parfois… |
Coloriste
avant tout, parfois pointilliste, ses compositions se parent de teintes
guillerettes, cultivent l’harmonie, et parfois se rehaussent d’éclats de bulles
insolites. Déjà, sa période Carnaval
laisse perler quelque audace aux confins du surréalisme.
Admettez-le,
rien n’est si simple : elle laisse affleurer des failles par où
s’immisce son envie de refaire le monde de l’aspirer vers un ailleurs. D’ailleurs,
elle ne s’en prive pas : voyez comme elle le révèle dans l’extrait
suivant, illustrant cette page.
Des « Métamorphoses » concernant le monde… |
Parallèlement,
ses Abstractions combinent des lignes
aux courbures en trompe l’œil où elle semble styliser jusqu’aux moindres
impressions de panoramas et se jouent de nos perceptions. Et toujours cet effet
de chair, de respiration.
Puis
il y eut ce fameux concours, nous dit-elle : « ayant pour thème La prévention du cancer du sein. J'avais
fait une femme, bien ronde inscrite dans un carré, avec la poitrine qui
occupait presque tout le format. Puis de fil en aiguille une deuxième, une troisième,
etc... ont suivi. Elles étaient toutes réalisées aux crayons de couleurs avec
un trait qui leur donnait une certaine douceur. » De même, sa
participation au recueil Effemméride,
avec une affiche et un texte, sur le thème Couleur
Femme pour le Printemps des Poètes 2010, n’est pas anodine.
Affiche Effemméride |
Le
petit côté « je ne dis rien, mais je n’en pense pas moins » de Efbé
l’entraîne à composer d’autres portraits de femmes, dans les encres. Tout à
l’opposé, elles sont bien moins sereines, moins édulcorées, plus tenaillées,
taillées à la serpette. L’envers du décor où les nus revendiquent leur crudité
et leur amertume, sans bienveillance, sans égards pour le qu’en dira-t-on, sans
bien-pensance. Sa période Gigolettes
pour des scènes d’intérieur.
Talonnée de près par ses Femmes en encres et feutres, où les
volumes se mêlent aux ombres, elles annoncent les Insolentes qu’elle évoque ainsi avec humour : « Ces
femmes aux formes pleines, complètement irréalistes sont un peu mon avatar. Elles
sont toujours en mutation.... elles ont perdu la tête et, actuellement, un
monde imaginaire ou pas sort de leur corps... ».
Perte de contrôle… |
N’allez
surtout pas croire que les « Insolentes » soient à l’abri des turbulences !
Tout comme ses séries de femmes et de paysages, elles prennent la crise de
plein fouet. La crise civilisationnelle, bien sûr ! Celle de l’outrance,
de la déraison, de l’anonymat communautariste et du manque de courage à
deux-balles…
La douleur de la truculence
Pas de fioriture, les Insolentes apparaissent d’abord en contorsionnistes. Seules ou
parfois en duo ou en siamoises. Petit air narquois, naïveté du trait, elles
n’ont pas l’air de remuer grand monde. Elles sont. Bonnet à bourrelets,
bariolées, grands enfants de la balle, elles batifolent, la bouille tirant la
langue.
Truculence ou pas. Na ! |
Puis viennent nous titiller ces mutantes
en camaïeux de bleu, minois intenses sur corps de félines. Nous n’en sommes
qu’à la seconde étape. Bientôt relayée en linogravure par des saynètes qui les
rassemblent.
Elles s’évadent dans des compositions
géométriques, où les noires côtoient les ambres, se muent en nœuds de cravate
stricto sensu, en amalgames de boule grouillante, en sirènes, en sardines
coincées dans leur boîte, papillonnent en mantes, en baudruches, se figent en
amphore-poisson.
Insecte rampant non identifié… |
Enfin, après avoir goûté aux ongles vernis,
aux visages de mannequins sans yeux, sans bouche, puis « perdant la
tête », mutilées, démembrées, elles s’altèrent dans le fond sombre qui
semble les absorber, les incarcérer. Sens dessus dessous, elles se mirent en
des frises où chavire leur île.
Les détours de la croustillance
N’évolueraient-elles
pas à l’instar de notre planète ces Insolentes ?
De mutines elles deviennent tragiques. Vous parler d’elles, c’est vous raconter
leur auteure, Efbé : elles sont ses "avatars", ses clones. C’est
avec elles qu’elle s’est trouvé son label, pourrait-on dire. « Une
réappropriation des Grotesques des
jardins italiens, des figures libres des chapiteaux romans. »
Épinglées
parfois, dans ces galeries à ciel-ouvert que propose chaque année « Rue
des Arts », les « Insolentes » pavoisent comme des bulletins de
vote ou des messages de rendez-vous secrets.
Au lavoir des petits papiers… |
À
l’école de l’image d’épinal (DNBA), membre du
collectif d’artistes 46Epin'Art, elle y organise le festival d'art contemporain en 2012,
participe à de nombreuses expositions dans l’Est. Animatrice d’Ateliers pour
adultes, elle s’est construite avec eux, avec cet échange qui s’appelle
pratique d’un art. Et ce n’est pas du blablabla.
Des
projets pour 2016 ? Pour 2017 aussi… avec la discipline de fer d’un dessin
par jour… Eh oui ! Une artiste, ça travaille ! Des cubes démontables
de 2mx2m, constitués de petits formats, peuplés d’… « Insolentes »,
tous styles, pour des installations…
Engluées par la dure réalité. |
Alors,
a-t-on besoin d’en dire davantage ? D’un tempérament bien trempé, d’une
humeur à décorner les pires calamités, Efbé est bien à l’image de ces êtres
étranges qui nous ressemblent tant !
Et
quand elles ne se font pas encarter par la dure réalité, ensevelir par le drame
quotidien qui se propage comme une épidémie, les « Insolentes » se
réfugient sur leur île qui flotte mais ne coule pas…
L’île des « Insolentes » |
Terminons
sur une pirouette d’Efbé, voulez-vous : « Je suis le transmetteur, le
transmutateur de ces nouvelles femmes. Elles se moquent d'elles-mêmes, de la
vie, du destin. Elles font ce qu'elles veulent, elles envahissent ma vie. »
Un article de Monak
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Bel article pour une belle artiste ! :-)
RépondreSupprimerQuand l'oeuvre est là, poursuit son évolution et continue à nous surprendre... et que toute liberté nous est impartie pour nous y immiscer, l'écriture devient un pur bonheur... Bernard, il faut donc en remercier infiniment Efbé qui, mine de rien, mine de crayon, s'est laissée enchaîner au regard intérieur de ses "Insolentes". MONAK
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