Nectar des papilles polynésiennes
Chaque peuple,
chaque société, chaque culture possède une ou plusieurs spécialités culinaires
qu’aucun palais étranger ne semble apprécier, voire considère avec un dégoût
évident. Ainsi en va-t-il du fāfaru, un plat traditionnel exclusivement
polynésien.
Dans
cette catégorie, on pense immédiatement au haggis (panse de brebis farcie) des
Ecossais, à la cervelle de singe crue des Chinois, la salade de cafards frais à
la citronnelle des Japonais, la salade de vers de terre vivants des Américains
et des Québécois, aux brochettes de larves de termites de Centrafrique, etc,
etc, etc…
Recettes immangeables
La
liste de ces recettes répugnantes pour les uns et au sommet du raffinement pour
les autres est infiniment plus longue que d’aucuns pourraient le croire. Et il semble bien qu’aucun pays, aucune
culture, aucun peuple n’ait à son palmarès gustatif au moins l’une de ces icônes
de l’étrange ou du repoussant.
Un délice de brochettes d’insectes |
Cependant,
il serait malvenu de ma part de ne pas citer ici quelques-unes des spécialités
de la prestigieuse et indiscutable gastronomie française, référence mondiale
des gourmets. Ainsi sommes-nous les seuls au monde à apprécier une cassolette
d’escargots, une poêlée de cuisses de grenouilles et quelques autres merveilles
de notre cuisine nationale qu’il n’y a bien que nous à considérer comme telles…
Bien évidemment, il m’est impossible de
clore ce chapitre sans évoquer quelques-uns de nos fromages les plus
délectables, mais que personne au monde à part nous ne saurait supporter sur
une table à la fin d’un repas de fête. Je pense, entre autres délices, au
Munster, à la cancoillotte, au chèvre corse, à la cervelle de canut, au
roquefort, au Maroilles ou au Void… La liste en est aussi savoureuse
qu’odorante et interminable !
Appétissant le fāfaru, non ? |
Au Panthéon de ces nectars si délicats
pour les uns et vomitifs pour les autres, nul doute que le fāfaru polynésien
occupe une place de choix, tant par son odeur que par son mode de préparation…
Les ingrédients du fāfaru
Présent dans chacune des 118 îles
polynésiennes, la composition de ce mets tant apprécié change suivant l’endroit
où l’on se trouve, tout comme elle diffère d’un cuisinier à l’autre. Toutefois,
elle repose toujours sur le même principe.
En
tout premier lieu, il faut savoir que le fāfaru se prépare en trois étapes
distinctes. D’une part, préparer le Miti fāfaru,
qui est la décoction dans laquelle on fera mariner le poisson une fois apprêté,
puis le Miti hue qui servira de sauce
d’accompagnement. D’autre part préparer le poisson lui-même (après l’avoir
pêché !)…
Un
bon fāfaru impose les aventures et opérations
suivantes : sortir en bateau, au-delà de la barrière de corail, pour aller
chercher deux bons litres d’eau de mer du large et, si le choix s’est porté sur
l’une de ces espèces, en profiter pour pêcher quelques rougets, un thon ou un
espadon voilier. Autrement, nombre de poissons du lagon comme le perroquet peuvent
également faire l’affaire. A pêcher sur le retour du large…
Quelques rougets
pêchés du jour pour votre fāfaru
|
Une
fois revenu à terre, commencer par récolter quelques petits crabes de plage.
Ensuite il vous faut lancer une escapade dans le lit d’une rivière, au fond
d’une vallée ou en montagne, pour vous procurer les indispensables chevrettes
(crevettes d’eau douce du Pacifique sud) sans lesquelles il ne saurait y avoir
de véritable Miti fāfaru, parole de
Tahitien !
De
retour de la rivière, faire un détour par le fa'a'apu * pour y ramasser quelques cocos vertes et il ne vous restera
plus qu’à vous mettre en cuisine.
Les cocos vertes ne se ramassent pas par terre, hélas… |
Pour
franchir les étapes suivantes menant à votre fāfaru, il ne vous manque plus que
deux gousses d’ail, du gingembre haché et un petit piment local (attention aux
palais sensibles : détonnant !) haché lui aussi.
Tout
est là : vous n’avez plus qu’à mettre votre couronne de fleurs de cuistot
pour honorer vos étoiles du firmament polynésien…
Préparez votre miti fāfaru
Avant de commencer, il
vous faut résoudre un cruel dilemme : quelle saveur allez-vous donner à
votre fāfaru ? Elle dépend totalement de l’ingrédient de base de votre miti
fāfaru : crabes de plage, têtes de chevrettes ou têtes de
rouget ?... Aujourd’hui, optons pour les chevrettes : le plus délicat
de l’avis des connaisseurs.
Le miti fāfaru, on en trouve aussi du tout prêt au marché !...
|
Confortablement
installé sur la terrasse, au bon air du Pacifique, munissez-vous d’un récipient,
versez-y un de vos deux litres d’eau du Pacifique. Décortiquez soigneusement
les chevrettes et plongez-en les têtes dans la bassine d’eau de mer. Les têtes
de chevrettes peuvent être remplacées par les arêtes ou la chair des rougets ou,
en dernier recours, par les petits crabes de plage décortiqués. Laissez
fermenter à l’ombre pendant quatre ou cinq jours…
Passé ce délai,
filtrez cette saumure avec un linge et versez-là dans des bouteilles bien
hermétiques. Votre miti fāfaru sera utilisable, avec tout son parfum,
pendant quelques semaines…
Puis votre miti hue
Pour un litre de miti
hue, fendez en deux huit jeunes cocos vertes. Une fois la chair extraite
des coques, ôtez-lui soigneusement la peau extérieure. Maintenant, avec
patience, découpez-la en morceaux les plus petits possibles… L’opération
suivante consistant à ébouillanter le résultat durant quelques minutes.
Pendant que vos
morceaux de cocos refroidissent, versez le reste de votre eau de mer dans un
récipient. Ajoutez-y le jus que vous aurez obtenu en écrasant quelques têtes de
chevrettes (ou à défaut les crabes de plage). Ajoutez votre chair de coco et,
là encore, laissez reposer à l’ombre durant deux ou trois jours dans un
récipient couvert en remuant le tout de temps en temps…
Vous pensiez en avoir
terminé et pouvoir vous baigner afin de vous débarrasser de la douce odeur des
chevrettes ? Grossière erreur !
…Rassurez-vous : le miti hue également se trouve dans le commerce |
Passé le temps de la
fermentation, retirez les dés de coco et rincez-les méticuleusement à l’eau douce
en ôtant soigneusement tous les morceaux de chevrettes ou de crabes. Là
commence le calvaire… Il faut écraser les cocos pour en faire une sorte de
purée ! Heureusement, la colonisation a aussi amené l’électricité et le
mixer… Ajoutez de l’eau à votre préparation jusqu’à obtenir la consistance
désirée et réservez au réfrigérateur. Le miti hue peut se conserver
quelques jours, mais pas plus.
La bonne nouvelle, c’est
que l’on trouve, aujourd’hui, du miti hue et du miti fāfaru tout prêts dans tous les magasins
d’alimentation et sur tous les marchés du fenua !
Et maintenant le fāfaru !
Dernière étape de votre
marathon culinaire, il vous faut maintenant vous occuper du poisson lui-même.
Et attention : le fāfaru ne saurait s’accommoder d’un poisson qui ne
serait pas ultra frais. En l’occurrence, un espadon voilier pêché le matin même
fera parfaitement l’affaire.
Préparer le poisson du fāfaru : un plaisir ! |
Levez sur la bête
quelques filets très fins que vous taillerez en morceaux de six à huit cm de
côté et mettrez à tremper dans un bocal d’eau de mer. Lorsque tout votre
poisson est découpé, retirez une bonne moitié de l’eau et ajoutez dans votre
plat les condiments choisis : ail haché, gingembre râpé, piments… Enfin,
noyez le tout avec votre miti fāfaru et mélangez délicatement.
A ce stade, vous
pouvez personnaliser votre plat en y ajoutant quelques queues de chevrettes
crues.
Recouvrez et laissez
mariner à votre goût. De deux à trois heures au minimum pour un parfum relativement
léger, jusqu’à huit ou dix heures pour un fāfaru de
« spécialiste ».
Le premier fāfaru
de Monak…
Il ne vous reste donc
plus qu’à patienter avant de vivre, enfin, votre expérience fāfaru. Ce
que Monak a fait pour vous. Elle raconte…
« Par défi, juste pour
dire, « je peux le faire ! », je peux « déguster » cette saveur inouïe, je me
suis laissé guider par l’élégante finesse des filets de fāfaru. En apnée dès la
première bouchée, m’envahissent des relents de marigot, des acidités de
charniers et d’égouts, des remugles de broumés (appâts). Brusquement les pages
saumâtres de la morgue dans Thérèse Raquin (Zola), la puanteur pestilentielle
de l’étal dans le Parfum de Süskind se sont déchirées en me soulevant l’estomac
et en me tordant la bouche d’amertume pourrissante. Je n’ai pas tenu le choc !
Je ferais mieux la prochaine fois »…
Afin de ne pas
conclure sur cette note un tantinet négative (bien que pleine d’espoir et de
volonté…), je laisserai le mot de la fin à Heiani, une amie tahitienne :
« Monak a commis une petite erreur dans sa dégustation : le fāfaru ne se
mange jamais seul, mais accompagné d'autres plats qui composent le mā'a
polynésien. Ensuite, il ne faut pas se concentrer sur l'odeur, autrement on ne
peut pas vraiment goûter. Nous, on y est habitué dès l'enfance et on n'y fait
plus attention ! Ce que j'aime, moi, dans le fāfaru, c'est que sa
préparation rend le poisson très tendre. En plus, il est bon en bouche. Les
visions du lagon s'y rajoutent, avec les senteurs du large… »
Quand je vous disais que les goûts
et les couleurs…
Un article de Julien Gué
Glossaire :
fa'a'apu : nom polynésien du potager et verger familial. Peut
parfois se trouver très loin du fare, dans la montagne.
mā'a : nourriture, aliments.
Tous droits réservés à Julien Gué. Demandez
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des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.
Bonjour à vs .En passant avec costa,j'ai pris une bouteille de ce délicieux elixir(mais seulement en photo), et grace à vous j'ai éclairé ma lanterne.Merci encore, j'ai adoré Papeete et son marché.marie-agnès balu
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