La
fiction pour dire la liberté…
Nidhal
Guiga, figure féminine
de ce troisième millénaire tunisien dans le monde de l’écriture et de la scène,
est d’une valeur toute particulière. De la fulgurance, elle en possède la
beauté et l’éclat.
Je
n’exagère en rien, je constate. Je l’ai découverte à ses interrogations
initiales, en instance de se livrer, de livrer au public ses toutes premières compositions.
Elle avait déjà cette attitude « d’oiseau de passage »… de quelqu’un
qui traverse les moments cruciaux de son vécu sans en faire tout un plat, sans
se regarder vivre, sans quêter le regard d’approbation de l’auditoire… mais en
toute intensité (je veux dire la profondeur de sa vie intérieure).
Nidhal Guiga dédicace… |
Nidhal Guiga est d’autant plus étonnante qu’elle
est indépendante de caractère et dans sa façon de jeter un regard sur le monde
environnant. Elle ne cherche ni à faire des louanges, ni à se faire courtiser. Elle ne s’appuie pas
sur l’acquiescement du milieu artistique dont elle évite les coteries. Exigeante avec elle-même, elle
poursuit sa traversée.
De l’écrit au dire et vice versa…
Dans
une culture où la parole est prégnante jusqu’à la logorrhée, elle comprend très
tôt « qu’on pouvait ne pas avoir
envie de dire des choses mais qu’on avait la possibilité de les écrire » :
legs d’enfance ; plus qu’un simple épisode, elle apprend que ce qui se lit
s’ancre assez pour s’en persuader, que le mot remplace la pudeur du non-dit,
établit un lien de communication. Elle comprend qu’écrire est un acte.
Au
moment où elle entame ses études universitaires, se développe en elle, le désir
de faire. Elle hésite entre différents arts vivants dont la danse, mais choisit
le théâtre, « plus expressif »,
dans sa complétude. Elle suit l’école dramatique du Théâtre National Tunisien
(TNT) et se captive pour le métier d’actrice : « Je voulais jouer, écrire et jouer... »
Au parvis du Théâtre et de la Tunisie |
Ecrire,
parce que les rôles qui lui étaient proposés ne la comblaient pas. Allier
écriture et action, Nidhal Guiga s’y attèle par le biais d’ateliers d’écriture
dramaturgique et de stages de mise en scène. Ecriture de situations, écriture de
l’espace scénique et du jeu, écriture en acte, écriture en devenir aussi.
De l’acte à la mise en scène
Du
Fou,
adaptée de l'œuvre de Khalil Gibran en 2000 au Teatro, elle passe à
l’écriture et à la mise en scène en duo avec Tarek Ben Chaâbane avec Zéro
Bis puis seule avec Une heure et demie après moi (2006, au TNT).
« J'ai commencé à avoir besoin de
construire un discours de bout en bout et de défendre un point de vue sur le
monde donc, je suis passée à la mise en scène ».
Suivent
deux versions de Pronto Gagarine (2008 et 2013),
toutes deux sur fond d’émeute. La première, concernant la crise
socio-économique de Gafsa, ne sera pas distribuée par le TNT, bien qu’elle soit
prête… Aléas des remous de la censure et de la dictature ! La seconde - Pronto
Gaga ?- reprenant la
révolution tunisienne de 2011, est mise en scène en Irak.
Selon Gagarine en scène |
Sélectionnée
dans le cadre des « (Dramaturgies
arabes contemporaines), elle participe
au Festival d’Avignon 2014 aux lectures publiques. Cette lecture, dirigée par
Catherine Boskowitz, est interprétée par Eddie Chignara, Criss Niangouna,
Marcel Mankita et Nanténé Traoré. Pour en découvrir quelques images, cliquez
sur le lien du site de RFI.
Dans cette pièce, un sujet d’urgence et une continuité qui revient dans
l’écriture de Nidhal Guiga : « un
désir de liberté ».
De la fiction et de la liberté
Ce
n’est pas seulement dans les arts qu’un vent de liberté avait soufflé sur la
Tunisie. Durant les quelques mois, hélas trop courts, qui avaient suivi la
révolution, Radio Tunis Chaîne Internationale (RTCI) lui proposait une chronique. Les dix minutes s’y sont avérées denses et
sans langue de bois.
Occasion
rêvée pour Nidhal de « commenter des
événements culturels tunisiens en les rattachant à leur contexte socio-politique
et en les comparant à d'autres occurrences culturelles ayant eu lieu ailleurs. »
Occasion de parler vrai, l’émission se pimentait de « beaucoup d'humour ». L’embellie n’a
duré qu’un an.
Mathilde B, un personnage, un récit épistolaire |
Puis
tout est retombé dans le silence. Nidhal est partie, suite à la démission en
masse des directeurs et animateurs de RTCI, en proie aux pressions de la
nouvelle dictature religieuse au pouvoir. La pesanteur de la réalité se faisant
trop forte, ne reste-t-il plus que la fiction ?
La fiction comme mode libérateur ?
Nidhal
l’affirme : « La fiction est le seul moyen de nous libérer ». Et
ce n’est pas un hasard si d’autres créateurs comme Fadhel Jaziri l’ont compris.
Il reprend dans une fiction cinématographique, Thalathoum (Trente), le mythe libérateur des années trente avec le couple
Bourguiba-Mathilde.
Et
Nidhal de commenter ainsi : « Il
a fait un film d'hommes. Il y avait pratiquement tous les militants qui ont
fait l'histoire de la Tunisie. Je suis, tout de même, restée un peu frustrée
par rapport à ce rôle que j'ai interprété parce que je pense que Mathilde
aurait pu avoir plus d'espace dans le film. Quand le tournage a été bouclé,
j'ai décidé de rendre hommage à Mathilde. Le personnage ne me quittait pas,
c'était affreux. Il fallait que je lui rende hommage. J'adore ce livre, c'est
un dialogue entre Fadhel Jaziri et moi. »
Une pièce de théâtre |
Tout
s’explique enfin : ce livre étrange que commet Nidhal : Mathilde B… alias Moufida
Bourguiba.
Un livre fondé sur une correspondance fictive… Un style épistolaire où le
destinataire est multiple, à travers un correspondant privilégié, l’aimé, Habib.
Le livre de la mémoire d’une revenante. Nidhal prospecte l’histoire et le
personnage de celle qui fut la « première Dame » de la Tunisie
contemporaine à la lumière de l’actualité.
Un
récit où le portrait se personnalise, prend voix, où le
sentiment s’immisce dans la symbolique des objets et des lieux commensaux (la
fenêtre, le couloir, l’orange), où la figure historique prend chair, juste en
soulevant les rideaux du cœur. Le Centre tunisien de Recherches, d’Etudes, de
Documentation et d’Information sur la Femme (CREDIF) ne s’y trompe pas qui lui
décerne le Prix Zoubeida
B’Chir 2013.
Les chemins de la fiction
Quelle
que soit la réalité, Nidhal Guiga expérimente et confectionne les images qui
peuvent la mouvoir, la transcender, nous émouvoir. Cinétique, vivante
(théâtre), métaphorique ou couchée sur le papier : « A vrai dire, c'est la fiction qui
m'intéresse, qu'elle soit sous forme de roman, de nouvelle de pièce de
théâtre... j'aime bien tester les genres et travailler sur les structures
narratives. Cela m'apprend beaucoup… J'ai peur de tomber dans les automatismes
de l'écriture. Donc, je varie les créneaux pour pouvoir me ressourcer et
retrouver de la fraîcheur entre une expérience et une autre. »
Un court-métrage Nidhal |
Ne
nous reste plus qu’à attendre les nouveautés et étrangetés de
Nidhal car : « Le théâtre
est en crise en Tunisie. J'ai donc décidé de me focaliser sur l'écriture et
l'édition dans ce domaine. Je me réconcilierai avec la mise en scène quand les
choses iront mieux. Sinon, je me consacre à la réalisation. Les techniques
d'écriture scénaristique sont plus précises. J'aime bien travailler et comparer
les méthodes. »
« En rentrant j'ai entamé l'écriture d'un
nouveau texte. Il est intimement lié à mon passage à Avignon. » Vivement
la prochaine édition ! ! !
Un article de Monak
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