Un super docu percutant !
Parfois
la question reste sans réponse ! Pourquoi le 28 minutes signé Mike Leyral,
"Nauru,
la prison australienne" ne figure-t-il qu’une seule fois*, dans la
section "Écrans
Océaniens" de la 17ème édition
du FIFO ? Sorti fin 2018 sur le petit écran, le "magazine" du
journaliste reporter d’images (JRI) peut se targuer d’une qualité de
conception, de rythme, d’images : un sujet inter-îles qu’il fallait oser.
Le film s’inscrit à plein dans la politique
du FIFO : « Un cri pour dire que la mondialisation ne peut broyer et
faire disparaître les peuples et les cultures », intervient son fondateur,
Walles Kotra, en page 17 des éditos. Ce
n’est tout de même pas sa qualité de journaliste en fonction d’une chaîne télévisuelle
(TNTV) concurente de la chaîne de service public coorganisatrice du festival
qui pourrait l’exclure de la sélection des "films en
compétition" : réalisateurs télévisuels d’autres pays y
concourent.
Camp de la misère à Nauru… |
Film bigrement bien construit, la trame générale montre un équilibre dans
la succession des images :
alternance entre interviews et voix off du commentaire, portraits et
environnement (centre administratif et camps, ruines modernes et
bidonvilles) : elle s’étoffe de la diversité des points de vue (officiels,
visiteurs, Nauruans, réfugiés), et de la disparité des espaces contigus
(friches portuaire et industrielle, rivages et lagon intérieur, espace urbanisé
et terres arides incultivables, clairières et décharges). Quant au format, il
en est de plus courts parmi les sélectionnés. De plus, en nous référant aux
déclarations des membres du comité
de présélection du FIFO 2014 : « Un documentaire… doit avant tout susciter la
réflexion, impulser la réaction, faire naître une émotion. » Mission accomplie !
Quant au vif du sujet, sur fond du 49ème
Forum des îles du Pacifique localisé à Nauru, le destin « sans
perspective, sans soins et sans espoir des réfugiés relégués par l’Australie
sur cette minuscule république insulaire de Mélanésie » se confronte au
sort d’une population Nauruane miséreuse, au chômage et malade (diabète, obésité,
infections pulmonaire liées aux poussières de phosphates, etc).
Des signes avant-coureurs...
« Les
ONG ne cessent de dénoncer, depuis presque 20 ans, la politique d'immigration
draconienne de l'Australie » revisitée depuis 2012 et connue
sous le nom de "Solution du Pacifique" : déjà Island of the Hungry Ghosts de
Gabrielle Brady (prix spécial du jury au 16ème FIFO) évoquait cette
réclusion off-shore sur Christmas Island…
Avec Manus (Papouasie-Nouvelle Guinée) puis Nauru, l’Australie finance
cette détention à l’étranger.
Réfugiés somaliens dangereux ? |
« Les défenseurs des droits font état de
conditions effroyables de détention, d'accusations d'agressions
sexuelles et d'abus physiques. Les autorités nauruanes démentent.» Sur une
île plus petite que Makatea (le phosphate encore !) les réfugiés
représentent 10% de la population : une manne sous-payée quand elle est
embauchée ou à la merci de subventions dérisoires.
Fournaise équatoriale des camps |
Une situation
intenable, dans huit camps précaires de toile. Sauf que les tentes ont été
remplacées par des préfabriqués pour le Forum. Quant aux correspondants, s’ils
peuvent, en principe, interviewer les réfugiés dans la rue durant le forum, une
journaliste néo-zélandaise s’est vu arrêter et privée momentanément de son
accréditation.
Des risques mais... une opportunité
« En temps normal, les
journalistes qui souhaitent obtenir un visa pour Nauru doivent payer 8000
dollars australiens… sans remboursement en cas de refus ! Cette fois, le
visa est gratuit, le temps du Forum. Sont également interdites toutes les
photos ou vidéos des demandeurs d’asile dans les camps »
Le problème s’est donc posé pour
Mike Leyral et Brandy Tevero de pouvoir mener à bien leur projet documentaire.
Le sujet est tabou. Et la censure est nette. « Malgré les démarches
officielles effectuées au préalable, aucune autorisation n’a pu être
obtenue. » Que risquaient-ils ? Au mieux la prison.
Une gamine suicidaire à Nauru au camp 5 |
« Les
rencontres se sont donc opérées secrètement : les demandeurs d’asile,
impatients de se faire entendre, dans les camps, entre deux carcasses de
voitures, dans une clairière… » D’où ces plans floutés, à huis-clos, ces
cadrages à mi-cuisses, ces images de dos ; et les désespérés qui de face
défient l’anonymat.
De l'incertitude à la détermination
Pour Mike Leyral
qui a donné le change en couvrant le Forum, Nauru, la prison australienne fait date dans l’histoire des documentaires à
risques. Malgré l’adrénaline, la composition est perspicace, l’image limpide,
le propos subtil et tranchant. Pas de parti pris pour un sujet poignant. Nauru
est dépeinte sous tous ses aspects et couvre l’ensemble de l’île. Il ne manque
pas de faire ressortir les contrastes d’une société clivée en deux, la distance
et l’incompréhension mutuelle… Un documentaire bien rythmé, alerte, sans
longueurs.
Un zeste d’humour
pour détailler le petit peuple nauruan, conditionné par la désinformation
ambiante, raciste par défaut et qui se dit heureux de revenir à l’âge des
chasseurs d’oiseaux. Et pour boucler la boucle, notifier sa présence en zone
interdite, le recours au face-micro initial et final. En bon JRI, il en est l’auteur, le commentateur, le caméraman et
le monteur, mais pas le "mentor" : libre à vous de vous faire
votre opinion.
Quand Nauru s’asphyxie |
Une satisfaction
tout de même et elle n’est pas des moindres : le coup de projecteur sur
les camps de la honte, - « ainsi que d’autres » relève Mike Leyral
qui ne cultive pas le narcissisme -, a poussé l’Australie à évacuer les enfants
migrants de Nauru, à assurer un traitement médical aux demandeurs d’asile…
l’affaire reste à suivre.
Comme vous pouvez le constater, après avoir visionné l’intégralité des
films sélectionnés pour la compétition, je flashe sur Nauru, la prison australienne, pas seulement pour cette dose de courage des
co-réalisateurs, leur engagement déontologique ; pour le niveau formel,
esthétique, le traitement impeccable d’un sujet difficile et le talent
remarquable de l’auteur-commentateur dont la plume est succulente ; mais
aussi pour la dimension humaine qui s’en dégage.
Mike Leyral, le devoir d’informer |
Mike Leyral, déjà
présent au FIFO pour Tapati :
le festival du centre du monde (2015) et autres docus… et dont les magazines se passionnent de sujets
culturels ou sociétaux… vous livre un panorama de styles, chacun soigneusement
adapté à la matière traitée. Et puis cette originalité d’achever le propos sur
une question ouverte de ses interviewés… parce qu’il a su les mettre à l’aise,
qu’il comprend leurs traumatismes : cet ado par exemple qui est incapable
de prononcer correctement « future », ou « refugee » !
Vous pourrez le
rencontrer au Festival, ce mercredi 05 février 2020, sur le paepae a Hiro, à
11h 30… D’ici là, bonne projection car : je ne vous ai pas tout dit et il
vous reste encore beaucoup à découvrir !
Un article
de Monak
*Attention ! Une seule
projection au 17ème FIFO : mardi 04 février 2020, 18 heures,
Salle Muriāvai
** pour vous faire une idée des Mag de Mike Leyral,
cliquez sur ce lien :
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