De
l’atoll de Brando à l’hôtel Brando
Il est des
histoires bien plus difficiles que d’autres à raconter. Celle qui suit en fait
partie. En effet, c’est de la condamnation à mort d’un atoll magique dont il
s’agit.
Nous
parlons ici d’un lieu qui fut résidence royale au temps des Ma’ohi d’avant
l’évangélisation ; qui fut le rêve accompli d’un certain Marlon
Brando ; qui fut, jusqu’au début des années 2010, l’écrin naturel d’un
véritable paradis pour les oiseaux, les poissons, les plantes et tant d’autres
espèces naturelles de Polynésie…
L’accueil à l’hôtel Brando d’avant Dick Bailey |
Pour
avoir séjourné sur l’atoll il y a quelques années, alors que l’accueil et
l’hébergement y étaient encore assurés par la famille de Marlon Brando et
quelques employés locaux, je peux témoigner de ce qu’y étaient la chaleur de
l’accueil, la beauté sauvage des lieux totalement préservés… Mais aussi du fait
que l’endroit était ouvert à tous, sans discrimination d’aucune sorte.
Ambiance au cœur de l’hôtel Brando en 2001 |
Tetiaroa était, en effet, une
destination privilégiée (car toute proche) et tout à fait abordable pour les
habitants de Tahiti et Moorea.
La fin d’un monde
Il aura suffit de la rencontre entre des
politiciens véreux, dont les intérêts restent à déterminer dans ce dossier, et
d’un homme d’affaire à la réputation douteuse pour que l’atoll de Tetiaroa soit
retiré sans vergogne des villégiatures accessibles aux Polynésiens et aux
touristes communs afin de le réserver exclusivement à quelques hypothétiques
clients milliardaires…
Dick Bailey et Gaston Flosse, les artisans du scandale écologique |
Une vocation officielle qui semble bien
compromise si l’on considère que, lors de l’inauguration de l’hôtel The Brando en juillet 2014, pas une
seule des stars invitées et affichées à grand
renfort de médias n’était présente. Une inauguration pourtant annoncée à grand tapage
et étrangement disparue des calendriers sans explication aucune… L’offre ne
correspondrait-elle pas du tout aux exigences de ces messieurs-dames, ou bien
les nombreuses questions et l’opposition soulevées par l’existence même de cet
hôtel auraient-elles incité les dites stars à se tenir éloignées de l’endroit
afin de préserver leur image ?
L'hôtel Brando pour la publicité |
Ce qui
est certain, c’est qu’à lui seul, le prix de la navette aérienne Tahiti-Tetiaroa
et retour aurait suffit à tenir éloignés les Polynésiens désireux de se mettre
au vert : jusqu’au 31 mars 2015, l’aller-retour (2 x 20 mn) vous coûte
298,50 €. Ensuite, le tarif passera à 597 € par personne pour le même
trajet ! Précisons que le vol dure 15 mn, décollage et atterrissage
compris…
Mais attention : pour prendre votre
billet, vous devez justifier de la réservation d’une nuitée au moins. Et pour
ce faire, il faut compter un minimum de 3 000 € la nuit pour 1 ou 2 personnes…
Ce tarif pouvant grimper jusqu’à 9 000 € ! A cela, bien sûr, s’ajoutent
tous les frais de repas, de boissons, et les diverses activités payantes qui
sont proposées sur place.
Tout pour l'environnement, nous dit le promoteur |
Pourtant, là n’est
pas le plus grave ni le plus inquiétant.
L’hôtel Brando et l’environnement
Le premier scandale lié à l’hôtel Brando, et celui qui a provoqué la
colère des véritables défenseurs de l’environnement dès la naissance du projet,
c’est la destruction programmée d’un atoll jusque là parfaitement préservé.
Nous ne rentrerons pas ici dans le détail
des dégâts déjà accomplis, ni de ceux inévitables. Pour avoir accès à toutes
les informations pratiques et scientifiques, nous ne pouvons que vous inviter à
visiter régulièrement et avec attention la page « The Brando-Apocalypse now ».
Lagon et récif détruit par les travaux |
Il est toutefois indispensable de porter à la
connaissance du public les quelques éléments suivants.
Pourquoi une
association de soi-disant protection de l’environnement a-t-elle été créée de
toutes pièces au moment où de nombreuses voix écologistes commençaient à
s’élever contre ce projet ? Une association qui est, on se demande bien pourquoi,
la seule habilitée par le promoteur à suivre l’évolution de la situation
environnementale sur l’atoll et dont, curieusement, les membres du bureau sont
tous des proches du dit promoteur ? Cette association, totalement
indépendante et objective évidemment, s’appelle « Tetiaroa
Society » et son fondateur (qui en est également le secrétaire) se
trouve être, tout à fait par hasard et sans arrière-pensée aucune, le même promoteur
de l’hôtel Brando, un certain Dick Bailey… Vous avez dit neutralité et
indépendance ?
En images, la réalité quant à l’impact
de l’hôtel sur l’environnement
L’association
à vocation écologiste « Tetiaroa Society » possède un site Internet qui, comme sa page
Facebook, est exclusivement en anglais et la seule autre information la
concernant accessible sur la toile semble se trouver au bout de ce lien : http://www.pacificbeachcomber.com/projects/tetiaroa/tetiaroa-society/. Un lien qui mène sur le site de
la société Pacific Beach Comber, autrement dit la société du promoteur… Dès
lors, on est en droit d’avoir de très sérieux doutes sur l’indépendance et
l’objectivité de cette association. Tout comme sur ses objectifs, d’ailleurs…
Objectif : bétonner Tétiaroa
L’hôtel
Brando a déjà bénéficié de plusieurs
milliards de francs pacifique, et oui : vous avez bien lu milliards, dans
le cadre de la défiscalisation. Autrement dit, de l’argent public pour une
opération privée… Mais il s’agit là d’un autre volet, tout aussi choquant, de
cette affaire que nous ouvrirons bientôt dans un nouvel article.
Comment l'hôtel Brando respecte l'environnement |
Le
véritable projet du promoteur est de construire une série de pavillons de très
grand luxe destinés à être vendus à quelques milliardaires en quête d’isolement
paradisiaque. Dans cet objectif, les travaux ont déjà commencé. Sans permis de
construire ni autorisation d’aucune sorte qui soit accessible. Autrement
dit : illégalement. D’autant que, souvenez-vous : le promoteur n’est
pas propriétaire de ces motus mais seulement locataire…
Là
encore, tout se fait dans l’opacité la plus totale avec la complicité active
des pouvoirs publics (politiques) polynésiens et des héritiers de Marlon
Brando. Et bien sûr au détriment de la population, véritable propriétaire des
lieux…
Quelle
sera l’apparence des ces bungalows ? Quel sera leur impact réel sur
l’environnement si fragile de l’atoll à court et à long terme ?
Pourquoi ce très gros projet immobilier n’apparaît-il nulle part dans les
services de l’urbanisme ou du développement rural de Polynésie ? Comment
les travaux ont-ils pu débuter sans étude d’impact préalable, sans que personne
ne s’en inquiète ?
Images volées quelques semaines avant
l’inauguration
Là
pourtant se trouve le véritable enjeu de toute cette opération financière et
immobilière pour le moins douteuse menée intégralement par et pour le bénéfice
de la Pacific Beach Comber Society.
Les politiques, l’argent et la loi
La question de la propriété
privée, du domaine maritime et du domaine public est à la base d’un débat
récurent en Polynésie française. Les choses pourtant ne paraissent pas si
compliquées si l’on s’en tient aux textes, qu’ils relèvent du droit maritime
international, du droit français ou du droit polynésien.
Ainsi, dans le cas d’un
atoll comme Tetiaroa, seules les terres émergées peuvent relever de la
propriété privée, sachant que la ligne tracée par le point marqué de la plus
haute marée connue désigne le début du domaine public. Cette règle relevant du
droit maritime international laissant donc un libre accès aux récifs, aux
lagons et aux plages.
Tetiaroa, la fin d’un monde |
La preuve en est qu’une
annexe au bail emphytéotique cédant l’usufruit de l’atoll à Marlon Brando, un
document rédigé par le service de la conservation des hypothèques de Polynésie
en date du 26 octobre 1966, précise en toutes lettres : « Monsieur
Marlon Brando reconnaît par ailleurs formellement la domanialité publique du
récif entourant l’atoll et de son lagon intérieur dont l’accès par voie de mer
demeurera libre. »
On est, dès lors, en droit
de se demander pourquoi cet engagement ne s’appliquerait pas à Tetiaroa
aujourd’hui… Ce qui est pourtant le cas.
Les pêcheurs bannis du domaine
maritime public !
En effet, les pêcheurs
voient leurs droits d’accès et d’exploitation soumis au bon vouloir de la
direction de la société hôtelière ! Plus grave encore : une zone du
lagon a été déclarée, par l’arrêté du conseil des ministres n° 951 CM du 26
juin 2014, zone de pêche interdite sans concertation des pêcheurs. Or l’hôtel
permet justement à ses clients d’y pêcher et de s’y faire prendre en photos avec
leurs prises. De quel droit ?
Vous avez dit pêche interdite dans cette zone ? |
Plus grave encore : un
site dédié à la promotion touristique publie des photos de clients de l’hôtel
Brando posant avec une énorme prise au cœur même de cette zone soi-disant
protégée !
Il faut dire que la
surveillance de la totalité de l’atoll, domaine privé et public, est assurée
par des vigiles embauchés et rémunérés par l’hôtel… Pourquoi et, là encore, de
quel droit ?
Hélas, l’essentiel n’est
pas là.
Les pêcheurs d’Arue sont en colère |
Dès 2009, le Syndicat des
Pêcheurs de Arue montait au créneau contre l’exploitation à titre privé de
l’atoll de Tetiaroa. Il fa ut savoir que,
depuis toujours, ce lagon est une réserve de pêche vitale pour les pêcheurs de
la commune. Là encore, la collusion évidente des politiques et du promoteur a
permis d’écarter ces gêneurs. Et là encore, par le truchement d’un arrêté du
conseil des ministres, c’est-à-dire sans s’encombrer d’un débat et d’un vote de
l’assemblée de Polynésie…
Il s’agit de l’arrêté n°
952 CM du 26 juin 2014. Outre les différentes règles régissant la pêche dans le
lagon de Tetiaroa, ce texte officialise la création d’un « comité de
gestion de l’espace maritime de l’atoll de Tetiaroa ». Ce dont, a priori,
on ne pourrait que se féliciter. Sauf que…
Ici, zone de pêche
strictement interdite…
Sauf que la
réalité géographique est la suivante : le lagon représente 86% de la
superficie totale de l’atoll de Tetiaroa. Dès lors, on comprend assez mal
pourquoi les pêcheurs comptent trois représentants au sein du « comité de
gestion de l’espace maritime de l’atoll de Tetiaroa » pour quatre choisis
par le promoteur lui-même, alors qu’il n’est locataire que de 14% de
l’ensemble. Une répartition des sièges à tel point aberrante (pour ne pas dire
scandaleuse), que le représentant
du collectif des pêcheurs de Arue, M. Gérald Grand, a
démissionné du dit comité, ne voyant pas du tout à quoi sa présence
pourrait bien y servir…
Après tous ces éléments déjà plus
que dérangeants par eux-mêmes, il nous reste à évoquer la situation très
particulière d’un fort dangereux personnage menaçant très gravement la sécurité
des biens et des personnes sur l’atoll de Tetiaroa, je veux parler de Teiki
Pambrun…
Teiki Pambrun : redoutable pirate
ou Don Quichotte des lagons ?
Voilà environ trois
années que la faune et la flore aquatiques de Tetiaroa sont terrifiées par la
présence d’une pirogue traditionnelle à voile d’habitation dans le lagon de
l’atoll. Une évidente agression, il suffit de regarder les photos pour s’en
convaincre, pour l’environnement et l’avenir de ce paradis. Et, surtout, une
gêne considérable pour les clients et les personnels de l’hôtel Brando…
La pirogue de destruction massive des lagons… |
Rappelons ici que, de
par le bail qui lie le promoteur de l’hôtel aux héritiers de Marlon Brando,
seule un partie de l’atoll est considérée comme privative. Rappelons également
que le récif, le lagon et les terres émergées (jusqu’à la ligne de la plus
haute marée connue) sont du domaine public. Public signifiant, d’après notre
dictionnaire : accessible à tous… Cette règle étant clairement établie par
le droit maritime international comme par le droit français et la législation
polynésienne.
Teiki Pambrun, le
squatteur sympathique de Tetiaora vu par Lolo Lachiparmentier
Une règle d’ailleurs confirmée,
bien que restreinte, par l’arrêté ministériel n° 952 CM du 26 juin 2014 déjà
cité. Sauf que, saisi par le désormais inéligible Gaston Flosse alors qu’il
était encore président du gouvernement de la Polynésie, le tribunal des référés
de Papeete a décidé, le 23 septembre 2014, nominativement, que le capitaine de
la pirogue citée plus haut n’avait plus le droit de s’approcher à moins de 10
km de l’hôtel Brando. Autrement dit : ce citoyen polynésien n’a plus le
droit d’accéder au domaine public qu’est le lagon de Tetiaroa !
Mais qui est donc ce
pirate sanguinaire qui terrorise le pouvoir et le promoteur en assassinant,
dans une zone de pêche autorisée, au moins un poisson par jour afin de nourrir
sa petite famille ? Et qui est son redoutable équipage ?
Quand Teiki Pambrun fait son Grand houit
Il s’appelle Teiki
Pambrun et il navigue avec Temanu, sa fille de 12 ans et Teae sa compagne… sans
oublier Lady, la terrifiante dalmatienne !
Indécrottable
pacifiste et fervent défenseur de l’environnement, il est notamment connu pour
avoir créé, à Moorea, le premier lagoonarium de Polynésie, un lieu pédagogique
doté d’un merveilleux sentier sous-marin particulièrement prisé des enseignants
comme de leurs élèves.
Teiki Pambrun, l’écolo-terroriste qui fait trembler le promoteur |
Ce sexagénaire au sourire
débonnaire est également le concepteur et constructeur de Hitiura, la
superbe pirogue à voile traditionnelle qui lui sert de résidence principale.
Et, à propos de cette merveilleuse embarcation, il est important de signaler
ici qu’elle a été conçue et construite dans le plus grand respect des normes
environnementales. Ainsi, elle produit elle-même son eau douce, recycle ses
déchets, produit son énergie et, ne l’oublions pas, navigue à la voile… Peut-on
comparer l’impact écologique de ce navire sur l’atoll de Tetiaroa avec celui de
l’hôtel Brando : destruction du récif, déforestation des motu, destruction
et extraction du corail, etc ?...
Offrez-vous une pirogue d’habitation conçue par Teiki Pambrun |
Soyons sérieux. Mais,
hélas, que peut bien faire notre Don Quichotte des lagons face au poids de la
collusion entre un promoteur à la réputation plus que douteuse et un pouvoir
politique totalement corrompu, à l’image de son chef de file Gaston Flosse,
condamné à de multiples reprises pour des faits de corruption et d’abus de
biens sociaux ?
Il faut sauver Tetiaroa
Au risque de se faire
expulser manu militari à n’importe quel moment par les forces de l’ordre, Teiki
Pambrun se veut simplement être le témoin des exactions commises sur ce
merveilleux endroit que fut Tetiaroa. Ainsi, par exemple, dénoncer le fait que
les travaux de construction des villas pour milliardaires ont commencé, sans
étude d’impact ni permis de construire, démontrant de fait la finalité strictement immobilière
de cette opération…
Lady dit : il faut sauver Tetiaroa ! |
Seuls, Teiki, Temanu, Teae
et Lady ne peuvent rien pour l’atoll de Tetiaroa.
Mais… Imaginons un instant que nous inondions les réseaux sociaux de messages de soutien, que la page The Brando-Apocalypse now totalise des milliers de likes, qu’une pétition sans frontière voie le jour sur
Internet, que des navigateurs au grand cœur viennent mouiller à côté de Hitiura,
que de grands médias internationaux se fassent enfin l’écho de ce scandale…
Tetiaroa, combien de temps encore... |
Alors on peut rêver que soit sauvé
Tetiaroa, que plus aucun atoll polynésien ne subisse les outrages du profit et
de la corruption, que les Polynésiens retrouvent la jouissance de leur paradis
qui demande tant de travail et d’énergie pour y faire vivre simplement une
famille…
Cela
dépend de vous.
Un article de Julien Gué
Voir aussi :
Tetiaroa, l’île de Marlon Brando, un article de Julien Gué ;
The Brando Apocalypse now, la page Facebook qui vous dit
tout sur ce qui se passe à Tetiaroa
Tous droits réservés à Julien Gué. Demandez
l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou
des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.
Un phénomène qui une fois de plus, nous prouve que nos élus sont tous des corrompus, corrompus par l'argent, pauvre Fenua, pauvre Tetiaroa
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