Publicité

Publicité
Le nouveau roman de de Monak à lire absolument

mercredi 19 juin 2024

Troupe des Manants


ANÁΓKH TAHITI

 

          Conçue, créée, représentée, appréciée, quelques années auparavant ailleurs, 'ANÁΓKH* ou FATALITÉ, libre adaptation contemporaine de la fiction hugolienne Notre Dame de Paris, joue la mise en abyme, avec son préambule participatif. Dans cette nouvelle version à la tahitienne, la pièce s’invite à l’ouverture du 3ème Festival Théâtral du Lycée Diadème - Te Tara O Maiao -, puis joue les prolongations, une semaine après les épreuves du Bac-Spécialité Théâtre.

       La Troupe des Manants, collectif regroupant, à quasi parité métro-locale, enseignants (de Gauguin aussi...) & artistes, entame sa 1ère production.

Une chimère d’affiche

        Un bon moment d’euphorie partagée avec tous publics : lycéen, familial, etc. Burlesque, style Commedia dell’arte pour l’atmosphère populaire, les jeux de mots, les adresses au public, la succession des rôles pour chaque acteur, les licences verbales, de code & de situation, le spectacle nous plonge au cœur du 6 janvier1482 «jour des rois & fête des fous».

        Le ton est donné : le code «verlan» (argot d’à-l’envers), dans cette Cour des Miracles, où l’insensé est couronné pape, l’infirme guéri & l’étranger admis. Mais le comique ne suffit pas à détourner le couperet de la fin. Le réel, funeste, l’inscrit dans les conventions du drame romantique édictées par Hugo, combinant grotesque & sublime. Affleurent les principes de ce grand précurseur incontournable du 19ème siècle, anti-esclavagiste et libertaire dans ses 3 premiers romans. 

  

Un lavis à la Hugo 

        Faisant écho à nos problématiques sociétales océaniennes, ἈΝΆΓΚΗ  concrétise une attitude d’intégration et de lutte «contre la discrimination, qu’elle soit physique (monstres), sociale (paupérisme des quartiers), identitaire (bohémiens, étrangers)».  Sur la scène du Diadème, salle de classe aménagée en presque totalité par les enseignants de la Spécialité Théâtre, la proximité plateau / assistance est presque confidentielle. Préparant, par hasard & nécessité, les lycéens aux Théâtres de Poche & Mouchoirs de Poche du Festival off d’Avignon ! eh bien oui, il faut le savoir, les Classes de Spécialité Théâtrale de l’agglomération de Papeete, n’ont pas encore retrouvé le libre accès des salles de la Maison de la Culture...

Vous avez dit théâtre ? 

           À la ville, sur scène, & surtout en pleine chimère médiévale, Les Manants déballent joyeusement leur solidarité : dans des quiproquos où le changement de personnage ne supporte aucun délai, juste un volte-face, un attribut qui le distingue dans un flot d’actions qui se chevauchent. Les actualisations au contexte typique y fonctionnent à plein entre fatalité, connotation fatwa et Fataua...  entre autres colorations de paréos, de danse tahitienne & de conférencière à l’UPF.

Le public se flatte, d’une part, d’y braquer sous projo, la face cachée des «habilités de théâtre, enseignants au lycée» ayant déjà plongé dans la marmite avec Annabelle Fouqueray, Vaiana RV; & pour Mathieu Beurton - entre un parcours de professionnel & de formateur -. D’autre part, raffolant d’y redécouvrir ses propres ressortissants artistes musiciens sous un autre registre : «Christian Chebret dit "Kion", Taloo Saint Val... et Vaiana RV, issue du théâtre de rue»   

Kion à la corde

         Dès l’entrée de jeu, vous vous sentez appartenir à l’espace scénique car le guitariste Kion, perché dans l’assistance, réagit - en toute sincérité d’acteur - comme un spectateur lambda, concocte bruitages & atmosphères sonores, ainsi qu’un accompagnement musical, tiré du fonds tahitien et consort : " Haere Maina." (qui s’identifierait peut-être à la Love Song de Mutiny of the Bounty) ; un Requiem improvisé à la base ; & Te mau metua, ainsi que d’autres apports que teste Kion.  

        Quant à la biographie réelle de l’équipe des Manants, ils ne s’en soucient guère : sont à plein dans le présent qu’ils forgent au jour le jour ... Il faudra vous y faire ! L’attitude est totalement symptomatique de cette Océanie du Sud.

 

ἈΝΆΓΚΗ autrement  

          À partir d’un roman Gothique** «fortement dialogué» dixit le dramaturge Mathieu Beurton, a pris forme cette «Comédie - qui arrache tout de même quelques larmes -, où après avoir distribué l’imbroglio des rôles, chorégraphié à la seconde & au millimètre près le déplacement des comédiens s’imbriquant dans un puzzle où action-réaction, ficelées au quart-de-tour», ne cessent de nous surprendre.

       «La conférencière se plie aussi à cette logique - où chacun des protagonistes abdique face à la fatalité de l’amour-, &se fait  happer par l’objet de sa passion». Rien n’excuse le crime, ni la condamnation capitale. Le grotesque signale une aberration s’écartant de la norme par le bas.  Ce n’est pas un hasard si l’Église met à l’index la première édition de Notre-Dame de Paris, parue chez Gosselin le 16 mars 1831. Elle n’est pas dupe de cette lutte que mène Hugo contre l’absolutisme politique (ses dérives, la censure) et l’arbitraire de la religion, sur les consciences...

Quasimodo

          Hugo nous livre quelques clés dans ses romans... contre la peine de mort (1829). Ce n’est pas seulement un destin inversé que propose l’allégorie de cette Cour des Miracles où les handicaps se guérissent comme par magie (les mendiants abandonnant leur infirmité de circonstance). Mais une subversion, celle d’un ordre abusif. Le nom de l’assassin, Frollo, signifie "faisandé". Le terme ‘ANArKH n’est pas inconnu du fonds littéraire français avec le roi ANARCHE -velléitaire- in Pantagruel !

Paradoxes & dichotomies 

           Interrompue par la révolution de 1830, l’écriture de N-D de Paris ne reprendra  que quelques mois plus tard, «précédée d'une brève préface où Hugo évoque l'inscription, gravée en lettres grecques majuscules "ἈΝΆΓΚΗ" (c'est-à-dire Ananké, qu'il choisit de traduire par "Fatalité") qu'il aurait vue « dans un recoin obscur de l'une des tours » 

        Quant à l’anarchie, tirée du terme ANArKHÊ  (= sans commandement), la notion du régime à démocratie directe apparaît en 1840 avec le 1er ouvrage de l’économiste Proudhon.

La conférencière

          Contre l’ordre établi, ses parodies de justice (où la chèvre est co-accusée), les sans-droits, les sous-humains comme Quasimodo & Esmeralda seraient réhabilités par cette Cour du Peuple que représente en sa gestion (Res Publica), l’Anarchie.

        Et pour en rajouter une couche sur un Hugo républicain, laïc (opposé à la Loi Falloux 1850) & libertaire, rappelons sa déclaration du 9 juillet 1849 à la tribune de l’Assemblée nationale : «Vous avez fait des lois contre l’anarchie, faites maintenant des lois contre la misère !»

Bon spectacle !

Un article de  Monak


Tous droits réservés à Monak. Demandez l’autorisation des blogueurs avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.

Notes :

* ANArKH vs ANANKÈ : «En 1866, Victor Hugo indiquera que trois de ses principaux romans sont unis par le même thème : « anankè des dogmes (Notre-Dame de Paris), anankè des lois (Les Misérables), anankè des choses (Les Travailleurs de la mer) ».

**Le genre Roman gothique s’attelle à un type de récit à thèmes médiévaux et terrifiants, à la mode en Angleterre à la fin du 18è siècle (1764), précurseur du romantisme noir en France avec Notre-Dame de Paris (1831) de Victor Hugo.

*** Mathieu Beurton : auteur, acteur, metteur en scène, enseignant, formateur (Cours Florent)