La farce du genre
Les problèmes graves
peuvent-ils se résoudre par le rire ? La place et le rôle de la femme partout
sur notre planète sont à pleurer de rire. Face aux violences sociales que les
siècles ont légitimées subrepticement, par distraction, par étourderie ou par
convention, une brèche s’est creusée. Une fraction masculine des nouvelles
générations dépose réprobations, sanctions, fustigations misogynes pour brandir
les armes non-violentes de la dérision.
Avec
cette déferlante de défilés masculins en costumes féminins modernes ou en
uniformes de camouflage religieux, les 25-40 ans encourent de
sérieux risques face à leurs aînés. Les 55 ans et plus, bien en place aux
commandes politiques, tentent pourtant de se les concilier. Dans les Etats du
Moyen-Orient, où le statut de la femme figure parmi les plus déplorables, ils engagent
leur image de virilité pour dénoncer la répression que subissent les femmes. Jouant
ainsi sur le comique de mœurs, obtiendront-ils plus d’impact que le « dévêtir »
des Femen ?
Istamboul, théâtre de la rétrogradation de la femme |
Le
processus parodique n’est pas nouveau : il théâtralise ostensiblement les
accoutrements et les sentences de la honte. Il passe à l’étouffoir à chaque
fois qu’il fuse. Dommage ! Dérangeant, il sape le consensus des soi-disant
convenances ainsi que l’ordre public imposés par les régimes hégémoniques. A
qui devons-nous cette subversion de l’habit, de son langage, de son rôle ?
Aux pamphlétaires, aux artistes… Sans oublier ceux qui repensent le monde autrement
et le font avancer : philosophes consacrés, condamnés ou « qui
s’ignorent », ces orfèvres de la créativité.
Quelles
que soient les raisons économico-politiques qui ont assis les sociétés sur un
mode patriarcal, elles le fondent sur la phobie des matrones et des métèques,
des vahine et des popa'a, des mousmés et des gaijin :
c’est-à-dire, des femmes et des étrangers. L’histoire très ancienne le prouve.
Et l’actualité ne semble toujours pas le démentir.
L’oriflamme du corps
Quand une organisation ou un Etat assujettit
un peuple, une minorité ou une civilisation, elle s’attaque aux comportements fondamentaux
d’origine. Elle intervient sur l’espace d’évolution, les outils de connaissance
dont l’instruction,
l’intégrité corporelle et bien entendu la tenue vestimentaire.
15 ans d’Indépendance à Tunis |
Du gynécée au harem, du Pavillon des femmes
aux lieux tabous, se propage et se ritualise le procédé de la claustration et
de l’interdit frappant les femmes d’anathème. Assemblées politiques, scènes artistiques
vivantes et cérémoniaux leur sont confisqués. Ne leur restent que les foyers,
dans les deux sens du terme : bercail domestique (précisons-le) et bûcher
d’immolation volontaire (suicide), funéraire ou d’exécution.
Les dogmes religieux, les régimes qui s’y
conforment, établissent usuellement une hiérarchie entre les deux spécimens de
l’espèce humaine. La discrimination sexiste s’exerce aussi bien au niveau intellectuel
que corporel ou dans l’accession au plaisir. Du fœticide aux mutilations... le
panel semble inépuisable. Bandage des pieds en Asie, excision, infibulations sur
le continent Afro-Oriental, et autres altérations de même sorte : l’épouvante
plus vraie qu’aux attractions foraines !
L’horreur
sort des musées
intimes et expose ses sévices en public.
De la chemise de nuit en lin, juste fendue en vue du devoir de copulation, au
corset qui fait fureur du 16ème au 19ème siècle en
Occident, rigueur des sous-vêtements le dispute à la contention des formes. Avec
gants, bottines, chapeau et voilette, la toilette féminine constitue un
véritable harnachement où il n’est lésiné, ni sur le métrage (jusqu’aux
pieds !), ni sur le poids du tissu. Un carcan où marcher, chevaucher en
amazone défient les lois de la pesanteur !
La femme : un préservatif afghan ? |
Ailleurs,
le fardeau des bijoux de cheville, la tenue codifiée par la colonisation -telles
les robes mission, robes empire, robes empesées, robes grand-mère- font partie
de cette panoplie qui scelle l’appartenance. Vierge, innocente ou
condamnée !
Vous avez dit droits ?
Labret
africain, scarifications, marquage au fer n’ont d’équivalents contemporains que
les implants et la chirurgie plastique… Les femmes s’assigneraient-elles au
regard social au point de devenir consentantes ? Certaines carrières ou
survivances de savoir-vivre
les y attèlent, jusqu’à la difformité !
Affreusement compromettant pour la
réputation et l’intégrité physique, le combat pour l’égalité des droits
civiques se solde par des peines de prison, des grèves de la faim, des
déportations au bagne. L’Occident voit surgir les
suffragettes en totale infraction à la bienséance ! En chapeau, puis
« en cheveux », elles « s’exhibent » dans la rue. Coup de
théâtre : la Nouvelle-Zélande accorde, la première, l’égalité du suffrage
en 1893.
La
bonne conscience, sous couvert de mauvaise foi, les astreint aux canons aberrants
de la mode, apanage des grands couturiers. Il faut attendre Coco
Chanel pour voir se profiler l’aisance, la fluidité
et la fonctionnalité du costume féminin. Le type de la « garçonne », lié au
mouvement d’émancipation des femmes, représente autant les militantes que celles
qui occupent des emplois d’homme : l’écrivaine Colette, l’aviatrice Hélène
Boucher, l’athlète Violette Morris, la chanteuse Suzy Solidor, les actrices
Marlène Dietrich, Greta Garbo, Joan Crawford, Clara Bow, Louise Brooks et tant
d’autres…
Femme dévêtue sur mosaïque perse |
Cependant, ne nous y trompons pas. Les
démocraties, bien que nombreuses, ne
sont pas à l’abri de l’inégalité qui frappe la gent féminine. La France brigue
la représentativité paritaire de ses « hautes fonctionnaires d’Etat »
dans une proportion de 40% pour les années 2018 ! Quand nous lisons un tel
plan d’action (édicté par le Ministère des Droits des Femmes le 5 déc. 2012),
nous touchons au gag !
La
politique ne serait-elle que le théâtre du burlesque ?
Quand les artistes s’y mettent
Déjà en 392 av. J-C, Aristophane prend
le parti de dénigrer les lois coercitives infligées aux femmes par la cité
d’Athènes. Sa pièce de théâtre, L’Assemblée
des Femmes (sous-titrée Celles qui
siègent à l’Assemblée), fait endosser aux femmes la toge du pouvoir et récupérer
leur parité perdue.
Outre
des comédies de mœurs persiflantes comme « L’Ecole des femmes » de
Molière, sous la plume du dramaturge Marivaux, le stratagème du masque, du
déguisement, des interversions de rôle, qui font d’une femme un homme, invective
avec sarcasme les abus phallocrates.
Léger
bémol. Les sinologues tendent à affirmer actuellement que « Les pieds bandés sont non seulement une
partie essentielle de l'identité féminine, mais plus fondamentalement, le
marqueur le plus évident de la
différence hommes/femmes dans une société où les corps, à partir des Song (9ème
au 13ème siècle), se sont androgynisés
(p.16, 43). En d'autres termes, les pieds bandés, loin de n'être qu'un simple
caprice machiste, sont essentiels dans la construction des genres, à une époque
où ceux-ci se confondent de plus en plus. » : finesse de la
corpulence, chevelure courte, à l’identique pour les deux sexes.
Peinture murale perse : femme et vin |
Demandez le programme de l’arbitraire et
du sadisme ! Sachons-le : défendre une cause s’associe
immanquablement à des signes de reconnaissance comme l’écharpe, les
panneaux-sandwich, panoplie des Suffragettes.
Quant aux groupes totalitaires et autres factions, craignant pour leur mâle suprématie,
ils détruisent
les traces témoignant du statut paritaire des
« femmes du temps jadis ». Objets d’opérations lucratives, par morceaux
(d’œuvres), en pièces détachées ou par lots d’esclaves enchaînées, elles sont
vendues à grands déploiements publicitaires. Mais
rien n’efface la mémoire. Ainsi, les groupuscules ne semblent pas avoir le
sens du ridicule !
Longtemps,
a-t-on cru que la femme était occultée dans l’art des civilisations
pré-achéménides, mais sur certains sites antiques perses des sculptures
féminines de pierre ont été retrouvées. Les doctrines zoroastriennes (6ème
s. av. J-C) ainsi que les tablettes de Persépolis (3ème s. av. J-C) attestent
de l’égalité entre les sexes.
Du travestissement comme étalonnage
Les
droits des femmes ont toujours été travestis par stratégie politique, idéologie
ou croyance. Les voilà affublées de sorcellerie, de pouvoirs occultes ou
mortifères ! Donneuses de vie, succombant parfois à l’accouchement :
une fonction entachée d’énigme,
d’ambiguïté, et d’angoisse.
Le
recours au sacrifice du « bouc émissaire » a émaillé maintes
civilisations. La femme, constitue une cible toute désignée pour
« assouvir les frustrations » d’une population en proie à la famine et aux abjections de la
guerre. Tel le prône notre chère Eglise par la voix du pape
Innocent VIII, le 5 décembre 1484. Cette « chasse aux sorcières »
qui dura deux siècles s’en prend aux « trop
jolies, trop indépendantes ou exerçant un métier dit d’homme... Arrêtées,
torturées, jugées par un tribunal religieux, celles qui ne meurent pas sous la
torture sont brûlées vives. »
Ma femme est une sorcière ! ! ! |
Considérée
comme mineure, puisque dépendante des droits de leur conjoint, voire jugée comme inférieure pour incapacité de
penser par elle-même, les déontologies moralisantes « traitent la femme comme un animal ou une esclave ou une
impudeur à cacher ».
Déjà
Aurore Dupin, alias George Sand,
ne conçoit sa libération de femme qu’en utilisant le subterfuge du masculin. Au
prénom de son pseudonyme elle ajoute, pour s’échapper des robes
« étuis », le pantalon illégal (pour une
femme), les guêtres et s’affiche avec les jeunes gens dans son Grand Théâtre de Nohant (1831).
Les masques,
tout comme les dés, sont jetés.
Persona grata, muse ou putain
Fermons les livres rétrogrades. « C’est l’état de notre monde : la femme sous
la loi de l’enterrement du vivant. Partout chez nous la femme est coupable. De
son corps, de sa féminité, de sa condition. Avilie, chassée, pourchassée,
harcelée, accusée, honnie ou aliénée au point qu’elle se retrouve à haïr les
autres femmes au nom de l’homme ou de Dieu ». (Chronique de Kamel Daoud).
Ceci est-il une femme ? Ou notre fantasme ? |
Ouvrons
les pages de demain. Participons à cette fête qui se joue de la féminitude et
de la féminité au masculin, se la joue subversive, transgressive et transgenre.
Les luttes contre les encapuchonnages
sexistes explosent sur tous les continents. Que la mobilisation soit sur le
web, dans la rue ou spectaculaire.
La sphère d’obédience musulmane le revendique haut et fort ainsi que le
déclare Faiza Azaiez
Epouse Azzouz,
en ce 23 mars 2015 :
« Hier à Bizerte, sur la grande mosquée une banderole vous accueille avec
une femme en niqab et le slogan, "Il est temps que tu te voiles". Sur
les murs de la ville, drapeau noir et préceptes salafistes. Pire encore, des
stèles sur les monuments historiques annoncent "bientôt le FATH (conquête
islamique)"… préconisé pour la Tunisie par Qaradhaoui (gourou intégriste,
fiché par Interpol) ? Où sont les autorités qui livrent ainsi la ville et
ses jeunes à une propagande salafiste extrémiste au su et au vu de tous ? »
Hymne aux Femmes :
le spectacle continue…
Kamel Daoud ne lésine pas sur les images
cocasses, bouffonnes, époustouflantes pour invalider les impostures
abominablement monstrueuses des intégrismes. A démesure, il sait renvoyer
boutade et démystification :
« JAMAIS
un peuple qui parle de la femme
comme d’un préservatif vivant, ne
connaîtra la sérénité, le partage et la quiétude. »
Et
sous le ciel tunisien, la performance plastique « Making
of de 3Men » ou « Genèse de 3 Hommes » ne se prive pas d’un
gros éclat de rire, à la manière d’une éjaculation cocasse ! Signée Omar
Bey, Noutayel Belkadhi, Mahmoud Chalbi, (Hichem Driss pour la prise photo),
elle est révélatrice d’une politique culturelle castratrice…
Un article de Monak
NB : Aux
suppôts d’Ennadha, parti intégriste tunisien qui n’a pas manqué de salir, dans
un article, la respectabilité de Nawal El
Saadawi, en visite pour le 8
mars 2013… il ne leur reste qu’à s’amender.
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