La fin du cauchemar
A la fin du deuxième volet du témoignage de
Monette Tetavahi, six personnes sont déjà mortes sur les bûchers de
Faaite, il faut encore de longues heures avant que la gendarmerie ne sauve Monette
et trois autres femmes.
Le livre de Bruno Fouchereau |
Vers
deux heures du matin, dans la nuit du 3 au 4 septembre 1987, Monette Tetavahi,
de l’intérieur de son fare, entend les hurlements de Cyrenia Teata sur le
bûcher, devant l’église de Faaite…
Elle
est effrayée mais ne peut le montrer : elle doit rassurer ses quatre enfants
terrorisés. Et son mari n’est pas là : il
fait partie du groupe des illuminés…
En
attendant le matin du 4 septembre 1987
«
(…) J’étais dans la maison avec mes enfants qui pleuraient. J’avais peur. Je ne
savais pas comment faire pour les rassurer. J’entendais Cyrenia
Teata qui hurlait parce qu’elle souffrait dans le feu, Un jeune la
regardait en lui criant "Demande pardon à la vierge ! Demande
pardon à Marie !"(…)
Douloureusement, Monette se souvient... |
Je
me demandais où était mon mari et ce qu’il faisait. Je savais qu’il était allé
chercher tout le bois pour les feux. Que c’est lui qui avait amené ceux qu’on
avait brûlés, et lui aussi qui avait aidé à construire les bûchers (…).
Comment
il avait pu changer comme ça ? Il ne m’avait jamais battue, il n’avait même
jamais crié sur moi. Et là, les rares moments où je le voyais, il était dur
avec moi. Il ne faisait que me crier après pour que je prie encore, pour que je
cesse de lui dire d’arrêter tout ça. Il m’a même frappée. Je n’ai presque pas
dormi cette nuit là (…).
L’espoir
déçu du passage de la goélette
Le
matin, quand les gens ont commencé à se réveiller, ils ont vu l’horreur qui
s’était passée pendant la nuit, mais ils n’ont pas compris. Ils avaient peur.
Tout le monde avait peur. Alors il y en a qui ont voulu appeler les secours de
la gendarmerie, et c’est seulement là qu’ils ont vu que la CB était cassée.
Heureusement,
on savait que cette semaine là la goélette devait venir, alors certains sont
allés au récif pour surveiller. Ce sont des enfants qui l’on entendue les
premiers. Ils ont crié et on a fait des signes, mais ça n’a servi à rien.
Quelques notes de Monette à mon intention |
Après
on a su : les gens du bateau avaient seulement vu un énorme nuage de fumée
noire, ils avaient essayé de nous contacter avec la CB et, comme nous ne
répondions pas, ils ont averti les gendarmes en prévenant Mahina Radio
(le poste centralisant tous les appels radio des bateaux dans la zone Polynésie
française).
Ils
voulaient entrer dans le lagon pour savoir ce qui se passait, mais ils ont dit
qu’il y avait tellement de fumée qu’ils ne voyaient même pas la passe. Nous, on
ne savait pas s’ils nous avaient vus. On a seulement entendu le bateau
s’éloigner (…).
Le supplice
de Monette Tetavahi
J’étais
enfermée à la maison avec les enfants. J’avais peur. J’entendais les gens crier
dehors, mais je n’osais pas sortir (…).
Après,
ils sont venus nous chercher. On était quatre femmes, les quatre épouses des
meurtriers. Ils nous ont emmenées sur la place, nous ont attachées et ils nous
ont mises chacune au milieu d’une pile de pneus de Case (engins de chantier)
pour qu’on ne puisse pas partir. Et là, ils nous ont arrosées d’essence.
Moi,
ils m’avaient attachée avec mes quatre enfants serrés sur mon ventre. Ils
étaient là, sur mon ventre et arrosés d’essence, comme moi. Tous les cinq
ensemble.
C’est
mon mari qui est venu nous chercher. C’est lui qui nous a attachés et qui nous
a mis là. Il était très en colère et il disait que c’était de ma faute parce
que je ne voulais pas adorer la Vierge Marie dans mes prières. Je ne
reconnaissais pas mon époux (…).
Le mémorial à l'emplacement du bûcher de Faaite |
Nous
sommes restés comme ça presque deux heures, moi, mes enfants et les trois
autres femmes, pleins d’essence et en plein soleil.
Juste
quand ils allaient nous brûler, on a entendu l’hélicoptère (…).
Les
miraculés des « Bûchers de Faaite »
L’hélicoptère,
on l’a entendu longtemps avant qu’il atterrisse. Il ne pouvait pas se poser
dans le village : il est allé de l’autre côté du motu (…).
De
ce moment là, ils ne se sont plus occupés de nous. Il y en a un qui est allé
chercher le Case. Il a commencé à creuser un grand trou juste en face de nous,
de l’autre côté de la place. Les autres ont fait le tour pour récupérer les
corps des six qui étaient morts, ils les ont mis dans le trou et ils ont remis
la terre par-dessus (…).
C’est
seulement là que les gendarmes sont arrivés sur la place de l’église, qu’ils
les ont attrapés et puis emmenés. Et c’est après seulement qu’ils nous ont
délivrés (…).
Plus
tard, il y a un juge, ou je ne sais pas ce qu’il était, qui est venu me voir et
qui m’a dit: « Il faudra avoir le courage de dire la vérité, même si c’est
votre mari ». Mais jamais personne ne m’a interrogée.
La nouvelle église Sainte Marie-Madeleine de Faaite |
Pourtant
j’étais tout le temps là, mais on ne m’a jamais rien demandé. Ni les gendarmes
pendant qu’ils faisaient l’enquête à Faaite, ni après pour le procès : ils ne
m’ont pas demandé de venir parler au tribunal. Pourtant moi je voulais parler,
dire ce que j’avais vécu.
Jusqu’à
aujourd’hui, j’ai toujours voulu dire parce qu’il y a des choses fausses qui
ont été racontées, et les vraies coupables on ne leur a rien demandé, et ça ce
n’est pas juste.
Aujourd’hui,
je vis heureuse ici, mais j’ai besoin de raconter tout ça pour que les gens
connaissent la vérité sur ce qui s’est passé à Faaite.
Moi
j’ai failli mourir là-bas."
Remerciements à Monette Tetavahi
pour sa confiance et sa sincérité. Mais aussi pour avoir eu le courage de se
replonger dans l’horreur de ses souvenirs afin que le plus grand nombre sache
ce qui s’est passé à Faaite en ce mois de septembre 1987.
Un article de Julien Gué