Un conte paumotu entre en scène
Rencontre d’une écrivaine, Ra’i
Chaze, et d’un metteur en scène, Julien Gué, le silence des enfants de la perle
émerge sur scène.
Inspiré par la personnalité des
îles Tuamotu, le spectacle qui en découle puise à la culture Ma’ohi*. Il mêle à
une création contemporaine une approche tout à fait adéquate au fonds
artistique et au style de vie traditionnel des motu*.
S’amorce alors l’évidence du
spectacle total.
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L'affiche
due au talent de Vashee
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L’accord est total aussi, entre
Julien et Ra’i qui nous éclaire ainsi : « En tant que Ma’ohi, souligne
Ra’i Chaze, je peux difficilement me sentir plus proche d'un de ces trois arts,
car j'ai du mal à concevoir l'un sans l'autre. Danseuse comme le sont toutes
les polynésiennes, j'ai aussi grandi dans une famille de musiciens. La musique
et la danse font partie de l'art de vie du Ma’ohi. L'art du théâtre rejoint la
tradition orale du grand triangle polynésien. Il m'est difficile de les
dissocier et je ne saurais dire duquel je me sens le plus proche. »
L’insoutenable légèreté du rêve
Ce parti pris théâtral rend
compte de la culture paumotu*, ce langage des sens mêlés : de l’esthétique
artisanale à l’expression corporelle, verbale et vocale de la spiritualité.
L’annonce des représentations par
les medias du net montre déjà des hésitations : «spectacle musical théâtral»,
«conte chorégraphié» ? Il a neigé aux Tuamotu est d’abord du
spectacle vivant : il emprunte aux arts de la scène des prestations pour
les focaliser dans un jeu théâtral.
Julien a d’abord adapté le texte
initial, avec l’aval de Ra’i. Il s'agissait d'introduire tous les moments de
musique, de chant, de danse. C’était aussi créer un pont entre le discours
d’une conteuse qui embarque, fait voyager dans l’imaginaire, décrit, commente
et… des personnages bien présents qui captent le regard et interpellent. C’était
soutenir aussi l’aspect féerique du coup de baguette magique de ces apparitions
issues du conte.
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Pensif,
le metteur en scène !
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C’était aussi offrir aux partenaires
créateurs l’opportunité de s’y épanouir pleinement en leur proposant un véritable
espace de réalisation. Il ne s’agit ni d’accompagnement, ni d’intermède. La
musique et la danse sont traitées comme des actrices à part entière.
Même si Julien reste le maître
d’œuvre, la collaboration est conviviale et équitable : les compositeurs
et interprètes musicaux comme la chorégraphe disposent de réels moments de
création. Mieux, leur contribution occupe une dimension essentielle dans
l’énergie de la scène.
Au niveau visuel, l’esthétique se
transforme : sur scène le décor évolue, peut se voir transformé ; il
peut être évoqué, suggéré par les acteurs.
L’émotion à cœur
Décembre en hémisphère austral, la
saison chaude. Et pourtant, sous la neige des projecteurs : la première du
spectacle, mais aussi la publication du
conte.
Sûr que le « grand
frisson », le « hérisson » comme il se dit en coulisse, vous
parcourrait… pas de froidure, mais la fonte des neiges : celles de la
pudeur, celles du sentiment, de l’égocentrisme qui se transforme en altruisme,
du malheur qui s’efface.
L’équipe, issue d’horizons divers,
a très vite évolué de cet embarras face aux grands de la création, aux doutes
et maintenant au trac. En effet, comme pour préserver toute la fraîcheur de l’esprit du conte, les actants de la scène
sont soit néophytes, soit détournés de leur fonction coutumière. Léo, Aimeho,
habituellement conteurs, assument un rôle.
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Les
musiciens en répétition à Punaauia
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Aux dires des uns et des
autres : « une vraie équipe est née autour de ce projet ». Certains se trouvent
tellement impliqués qu’ils « commencent même à faire des propositions
d'interprétation et même des suggestions de mise en scène. » L’émotion semble
constituer une constante depuis le début des répétitions.
Elle est apparue aux premières
lectures collectives : quand « les héros de l’histoire endossent un corps,
prennent de la voix, s’échappent du conte pour devenir autonomes », constatait
Ra’i. Puis, à chaque nouvelle trouvaille musicale échangée instrumentalement chaque
samedi ; et petit à petit, avec la prise en charge du rôle par les
acteurs.
L’émotion, elle, frémit à fleur de peau… Elle
parcourt le texte, vole les voix, cisèle les accords, harmonise les sons. Elle
dessine la gestuelle, arque le mouvement, esquisse un regard et la vérité du
ressenti.
Une poétique de la scène
Comme pour tout
conte, la thématique s’ancre dans la dureté de la vie. Destiné à des enfants,
il n’oblitère ni le manque, ni le deuil. La tradition du conte se définit
ainsi. Seulement, à la différence du vécu, le récit s’achève sur une fin
heureuse. Et au théâtre, tout en livrant message ou conseil, il prend la forme
d’une délivrance.
Tout en abordant
le travail des pêcheurs de perles, des dangers liés aux intempéries qui
menacent encore les familles et génèrent des nécessiteux, la place des enfants
de familles recomposées, c’est aux protagonistes des deux générations
qu’auteure et metteur en scène s’adressent.
En filigrane,
spoliateurs ou profiteurs ne se trouvent pas épargnés, ni la disparition de
l’affectif dans un monde de plus en plus insensible. Conte ou spectacle de Noël
sont destinés à toucher la conscience des spectateurs.
La gravité du
propos est atténuée par le traitement épuré du jeu des acteurs. Leur proximité
avec les musiciens, le chant et la danse dans le même espace scénique interfère
et fait décoller le jeu, du réalisme vers la stylisation. Ce qui imprègne la
vision d’une impression de distinction.
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En
répétition, ni costume ni accessoire : juste les acteurs
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« J'avais, dès le jour où j'ai fait appel
à Julien Gué pour la mise en scène, confiance en lui. » commente Ra’i. « J'ai
vu aussi le texte oral s'enrichir au fil des mois. Certaines choses n'avaient
pas besoin de mots pour être comprises dans le texte du livre. Par contre dans
le texte oral, des phrases entières et explicatives ont dû naître pour donner
un sens au déroulement. »
Parallèlement,
le lyrisme ou la grâce s’accentuent encore par le traitement exclusivement musical
ou chorégraphique de certains tableaux. Deux principes étayent le
spectacle : la multiplicité des langages scéniques, le recours aux codes
authentiques.
L’idée du
metteur en scène, étant de symboliser par un instrument ou un motif mélodique chacun des personnages (muet ou
parlant), renforce encore la poésie du spectacle. Les compositeurs-musiciens
puisent dans la réserve harmonique actuelle du pays : guitare, ukulele,
pahu, vivo, dijeridoo, pu et to'ere. Et indéniablement, la délicatesse des
mélodies, les effets de profondeur et
d’échos dominent la composition musicale.
Au code musical,
verbal et gestuel vient s’adjoindre le langage corporel de la danse. Dans ce
domaine aussi, Mateata innove en s’appuyant sur l’accent mis sur
l’interprétation et la signification des
situations dansées… « danse de l'orgueil », « danse du temps qui passe ».
Entre lagon et ponton
Plaisir de la réalisation scénique et en même
temps, désir de la perfection … un paradoxe qui habite le metteur en scène, à
une quinzaine de la 1ère, sur la brèche entre lagon et ponton.
Émerveillement de Ra’i Chaze devant cette nouvelle et véritable naissance des ses
personnages : « J'ai envie de dire combien c’est merveilleux de voir
les personnages que j'ai créés avec des mots, prendre vie. Ils ont pris vie, ils se sont mis à vivre sans moi,
de nouveaux mots sont sortis de leurs bouches... que je n'ai pas écrits. Ces
personnages sont sortis du livre et vont entrer directement en contact avec un
public. Ils auront de la voix, du mouvement, du rythme, des sentiments, etc...
Ils sont vivants !!! »
La marque du « directeur d’acteur, toute en
discrétion et en vigilance, en constance d’humeur et en bonne humeur, en
stimulations et en exigence » aux
dires des comédiens, semble porter ses fruits. L’équipe entière prend plaisir à
jouer ensemble.
Si le metteur en scène regrette le manque de
temps qui leur est imparti pour mener au mieux l’aboutissement du spectacle, il
semble que le travail de personnalisation auprès de chacun des acteurs porte
ses fruits. Ra’i Chaze constate : « Tu en as fait de vrais acteurs ».
Il aurait aimé
disposer du triple du temps (soit 300 heures en tout, la mesure
professionnelle). « Si les gens de la troupe sont heureux de l'expérience,
j'aurais rempli mon contrat… en me
disant que peut-être cette expérience-là donnera envie à certains d'aller plus
loin » susurre Julien Gué.
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Sous
la direction de Libor Prokop, un moment poignant du spectacle
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Mais Ra’i de le
rassurer : « Nous n'avons pas une idée démesurée de ce que nous
sommes. Nous sommes simplement, les uns et les autres, des artistes qui faisons
de notre mieux avec les talents qui nous ont été donnés, et chacun donnera tout
ce qu'il a à chacune des représentations. Ceci dit... j'ai le trac... ha ha ha!!!!! ».
Quant à l’avenir, car
l’expérience est positive pour tous, Ra’i se laisserait tenter : « Je
n'y pense pas trop. Car j'ai encore tellement de contes et de romans
historiques à écrire. Mais, avec le concours d'un metteur en scène tel que
Julien Gué, et d'artistes tels que la chorégraphe et danseuse Mateata Legayic,
les musiciens compositeurs Edgard Brémond, Arakino et Libor Prokop (percussions
et instruments à vent), sans omettre la magique et très très importante voix de
Rosina Nautre, les merveilleux acteurs, oui, j'aimerai beaucoup monter d'autres pièces de théâtre !!!!! ».
Môssieur Paskua et Lili Oop, (Ta'ata - Thelem) faisaient l’événement sur le Web en annonçant, dès le 13 novembre 2011 : « Figurez-vous que cet après-midi il allait neiger sur les Tuamotu... ♥ ».
C’est avec beaucoup de raffinement que leur
regard a cueilli chez les acteurs, danseurs, musiciens, l’auteure et le metteur
en scène :
"...ces frémissements qui font les sentiments,
cette profondeur d’être pour l’autre,
cette richesse…
du dépouillement qui fait la vérité de soi, de l’instant, de la vie du
spectacle,
ces perles d’angoisse et de beauté qui
affleurent… à fleur de peau."
" Môssieur Paskua, Lili Oop, c’est votre
émotion qui s’épand sur ces images
Qui leur insuffle ce supplément de vie
Une pure nacre d’échange partagé
Des cristaux de bonheur sur la neige de la
scène
Vous avez su y déceler plus que nous
n’espérions transmettre.
L’équipe du spectacle est touchée de tant de
sensibilité d’artiste."
Et pour conclure par une touche d’éclat, dans
ce monde de cristaux et de perle, je
laisse la parole à Ra’i Chaze : « Beaucoup de choses
m'impressionnent dans ce travail qui inclut différents arts. Peut-être que ce
qui me touche le plus est la mise en valeur des uns par les autres et
l'accouchement du beau. »
Un article de MonaK
*
ma'ohi :
du pays, autochtone
*
motu :
île basse, îlet
*
paumotu :
de l’archipel des Tuamotu
Distribution
de : Il a neigé aux Tuamotu
Sur le conte de Ra’i Chaze, adaptation, scénographie et mise en scène
de Julien Gué.
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Les
compositions et musicales sont de Libor Prokop, Edgar Brémond, Antoine Arakino,
Harold Tahi et la chanteuse Rosina
Nautre.
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Les
innovations contemporaines dans le registre Ori Tahiti de la chorégraphe
Mateata Le Gayic et les danseuses : Naiki Barrier, Poerava Levy, Tapuata Lenoir et Rohotu Fong.