L’Afrique
à grands crus
L’Afrique dessine
son histoire*… l’actuelle aussi, à coups de bulles et de vignettes. Les
nouvelles générations de la bande dessinée (BD) la montent à cru, ne font pas
de fioritures. Ce ne sont pas bouteilles à la mer. Avec « Séductions / Mille mystères d’Afrique », son volume recto-verso, N’Guessan Koffi Roger
complète le palmarès des grands crus de Côte d’Ivoire.
La
BD vit en Afrique, s’exile et s’édite au hasard de l’Europe et de petites maisons
locales pionnières,
se revendique d’auteurs originaires de ces deux continents. Si l’engouement est
fort et universel, nous le devons à des auteurs qui n’hésitent pas à livrer de
l’Afrique une image inattendue : la leur ; mais aussi à des compilations
telles que ce Dictionnaire de
la BD africaine francophone.
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Les teintes de l’enfance… |
N’Guessan Koffi Roger y figure,
avec un nom déjà chargé d’un patrimoine spécifique ! D’ethnie Baoulé, le
bédéiste a reçu le « prénom de
Koffi, car je suis né un samedi, et celui de N’guessan que porte le troisième
enfant consécutif du même sexe, issu d’une même mère ». Voilà donc une
première clé pour découvrir l’univers « torride » annoncé par le
titre de son double album.
La BD, l’Afrique et l’histoire
Le centenaire de la Grande Guerre
(la « mondiale » de 1914-18 !),
occasion de ressortir les anciennes BD ou de sortir les nouvelles
abordant le rapport entre les champs de bataille européens et les combattants
tirés des colonies françaises, veut en finir avec ses remords ou ses relents
racistes. Mais si la BD européenne cherche encore à exorciser ce pan peu
reluisant de l’histoire, y compris la traite des Noirs et l’esclavage, le
répertoire de la BD africaine ne peut s’y enfermer.
La BD africaine livre quelques
sagas de ses ancêtres déportés, parmi ses « collections historiques »
(Kimbangu
au Congo). Elle introduit la BD littéraire, comme « Monsieur Georges » tirée de l’œuvre de Dumas à travers la
conception proposée par l’Antillais Roland
Monpierre. D’autres exemples sont florissants au
travers d’œuvres issues de Centre Afrique, du Cameroun, du Maroc, de Tunisie,
etc. : galeries de portraits, jeunes prodiges prometteurs, science-fiction,
caricatures, chroniques satiriques sur la curée systématiquement manigancée par
les mafieux de la finance internationale. Le passé sert à « secouer »
certaines « oublieuses mémoires » et ne subsiste qu’en toile de fond !
La BD s’implique avant tout dans une démarche identitaire.
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La BD
africaine : déjà en dictionnaire ! |
Dans son article, La BD africaine, un siècle d’histoire,
Christophe Cassiau-Haurie fait le point sur la BD africaine autochtone. Elle
est peut-être méconnue, mais elle compte une communauté d’auteurs, de concepts
et de visions, qui englobe la majeure partie du continent africain. Le 9ème art en
Afrique, c’est toute une aventure qui a fait ses premières apparitions il y a
exactement un siècle, dans sa conception moderne. Mais la BD pleinement
africaine ne s’affirme qu’avec les indépendances ; c’est réellement depuis
une dizaine d’années qu’elle explose, après des occultations sous régimes
dictatoriaux.
C’est
par le biais des réseaux internet qu’elle s’assied une notoriété, permettant un
brassage d’informations, d’échanges, une reconnaissance professionnelle
mutuelle, des contacts indispensables et des éventualités d’édition. Le
continent est immense et les voies de circulation compliquées et aléatoires.
« Invité à présenter mes planches**
(une page de BD) dans le groupe
« Bande Dessinée Africaine (sur
fb) », en moins d’un mois, je
recevais mon premier contact. », jubile N’Guessan Koffi Roger, édité
par L’Harmattan.
C’est aussi par ce moyen que sont
mis à contribution différents auteurs sur le même sujet. L’ouvrage Sommets d’Afrique
constitue une réussite du genre :
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Une vision de l’Afrique entre ciel et mythes |
« Encordés derrière un même scénariste, sept
dessinateurs africains partent à l'assaut des sommets
que sont le Kilimandjaro (Tanzanie), le mont Cameroun, le Rif (Maroc), l'Emi
Koussi (Tchad), l'Atakora (Togo) et le mont Hombori (Mali). Ces six histoires,
étonnantes et drôles, s'attachent à donner une image plus verticale de ces
pays, une invitation à s'élever vers les cimes. (En couleur). »
De
même, constate N’guessan Koffi Roger, « les auteurs de BD sont de plus en plus nombreux en Côte d’Ivoire, mais
bien entendu peu connus sur le plan international ». Si vous voulez
vous en persuader, allez jeter un coup d’œil sur les photos de planches, de
cartes et d’esquisses que présentent les bédéistes dans le groupe Bande
Dessinée Africaine. Entre autres petites merveilles : des
graphismes à couper le souffle ! Des harmonies
de tons et de verbe poétique du Malien
Massiré Tounkara…
Concocter une BD
Ce
n’est pas tout ! La BD africaine répond à toutes sortes d’inspirations :
elle peut être didactique, traiter des droits des enfants, aborde des problèmes
de société comme la polygamie. Mais elle touche aussi à ce qui fait la richesse
culturelle du continent : ses mythes, ses rites, la beauté de la vie au
quotidien, ses rêves d’avenir. Tout ce qui se voit et se vit.
Tout comme le rêve d’Alpha Blondy (clip vidéo)
Koffi
en appelle à tout ça ! Contemplatif dans l’âme, il savoure les atmosphères
attachées aux gens et aux lieux. Peut-être est-ce de là que vient sa passion
pour le crayonnage : fixer l’instant. C’est donc par le visuel qu’il
commence sa BD car l’image condense l’histoire tout en n’étant pas rédigée
textuellement : « Mon scénario s’inscrit
en roughs** (esquisses), soit en story-board** (découpage en plans, d’une
situation) »
« Mes histoires je les chope généralement à
partir de récits transmis par des badauds, à un kiosque à café, au marché,
autour d'un jeu de dame...ou entre collègues, en famille, au village... Partout
où il y a plus d'une personne réunie, il y a des histoires extraordinaires, vraiment
époustouflantes à écouter ; sans oublier les écrits chargés d'enseignement
de certains auteurs africains... »
« En dehors de la BD trois livres m'ont
profondément marqué: "Nations nègres et culture "de Cheikh Anta
Diop," La puissance de la pensée positive" de Norman Vincent Peale,
"Création artistique et création spirituelle" de Omraam Mikhael
Aivanhov. »
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Un trait, une pulpe… |
A
la sortie de son 1er album en juin 2013, Séductions/Mille mystères d’Afrique, Koffi n’a pas
moins d’« une dizaine de projets sous la
main… Avec des priorités comme finir
d'abord ma prochaine BD de 66 pages ''L'enfer glacial", une histoire sur l'émigration clandestine et
les imprudentes relations amoureuses sur les réseaux sociaux ! Ensuite créer une Edition de BD locale avec
un groupe d'auteurs pour des publications régulières comme "GBICH" en
Côte d'Ivoire et "KIN LABEL "au Congo. »
«
Plusieurs histoires courtes dans le même
registre sont encore dans mon tiroir ! La thématique des autres projets
est très variée : outre "L'enfer glacial'', "Les nouveaux
sorciers" évoque les dérives des nouvelles églises qui appauvrissent de
plus en plus la population africaine ; "Konan la mort", un
regard sur les méfaits de l'alcoolisme : trois histoires complètes sur une
inspectrice atypique, "Akouba", face à des criminels dotés de pouvoirs
surnaturels ; encore d'autres petites chroniques sur un personnage,
"Wosran" : il va parcourir plusieurs régions d'Afrique
pour leur insuffler une certaine sagesse liée au développement ou à l'
émergence ...Bref, une liste non exhaustive de projets !!! »
Koffi : un style ?
Le
double album « Séductions-Mille
mystères d’Afrique » (cliquez sur
l’aperçu, pour voir quelques planches) qui fonctionne sur une mise en page
tête-bêche, « présente nos
véritables préoccupations ; ‘’Séductions’’ porte sur des stratégies diamétralement
opposées, menées par deux filles pour
conquérir un jeune médecin. C’est un regard sur le phénomène de la dépigmentation
de la peau, de plus en plus prisé en Afrique noire... »
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Mégapoles et magouilles… | |
« Concernant ‘’Mille mystères d’Afrique’’, il
s'agit de 12 histoires courtes. Ces "one shots"* (histoire complète à
chaque fois) relatent des faits mystérieux qui font partie de nos quotidiens !
Ce sont des faits plus ou moins paranormaux chargés de leçons et d'émotion. »
Associé
à un dialogue qui démarre de façon abrupte, sans qu’aucun cadeau ne soit fait
entre les interlocuteurs quels qu’ils soient, le volume repose sur le malentendu
sous toutes ses formes ; le prisme de l’exotisme face à la grimace des
charmes et de la distorsion de son empire incontournable pour Séductions.
L’un
des intérêts de cette BD, c’est que le propos passe directement par le point de vue
féminin : l’une des héroïnes est aussi la narratrice. En fait l’auteur
s’efface derrière son duo de choc féminin. Est-ce pour cette raison que le rythme
des séquences est rapide ? Pas le temps de tergiverser, dialogues et
actions s’enchaînent à brûle-pourpoint.
Un style, un bédéiste (diaporama)
Quant
au graphisme, compte-tenu du fait que la BD est éditée en noir et blanc : la
colorisation en est absente. Mais le trait se suffit à lui-même pour distinguer
les individualités Noires et Blanches. C’est que Koffi est un puriste :
« Pour le teint des personnages, comme
pour d’autres péripéties, le texte relaie ce qui n'est pas représenté et vice
versa ! » De même, dans sa formation de graveur aux Beaux-Arts,
il a « toujours été impressionné par
les estampes de Rembrandt ! »
Un leitmotiv, l’Afrique
La
BD, alors, une passion, une obsession, une maladie ? Ou un tremplin pour
affirmer ses rêves, ses aspirations, qu’ils soient partagés ou entachés de ces
dérives dues aux poncifs universels prégnants, aux séquelles d’une infériorité
assénée par les leçons de l’histoire ? Koffi répond ainsi :
« Dans ce continent dont on dit tant de mal…
mon inspiration part des valeurs, de ce qui fait notre richesse
d’Africain : il est impérieux pour nous de revenir à notre façon
d’entrevoir la vie et de nous positionner par rapport à elle. De retrouver son
aspect radieux… »
« Les clichés, les jugements venus d’ailleurs,
nous encombrent tellement, que certains en viennent à se renier, rejeter leur
propre identité. Nous sommes conditionnés par une forme de désespérance qui
nous vient d’ailleurs, du regard qu’on porte sur nous »
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Une culture, ses attaches… |
« Parmi les stéréotypes dont nous devons nous
émanciper : les guerres, la pauvreté, la misère, les pandémies. Ce genre
de faux-problèmes nous colle à la peau. » L’Afrique reste un terrain
de racket international et ce sont les gros bonnets qui y investissent pour la
démunir.
« A l'école primaire, je passais tout mon
temps à dessiner au lieu d'étudier les différentes matières enseignées! ».
Et si ses années collège à Bouake, ville du centre de la Côte d’Ivoire, ont été
« sa première véritable
galère (!), elles ont été sanctionnées par son orientation au Lycée d'enseignement
artistique à Abidjan !
« Là mon rêve d'enfance commençait à prendre
forme ! Des études artistiques ! Un grand moment dans ma vie ! »
Une priorité, l’enfance
L’enfance,
ce n’est pas seulement celle qui jalonne son passé, mais celle qui s’offre
devant lui, l’avenir. Ce n’est pas pour
rien qu’il s’accorde avec les chansons d’Alpha Blondy.
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Un « maquis » à Vridi |
Dans
cette sorte d’extension-bidonville illégale où il a passé son enfance, « Vridi
Canal, quartier pauvre (constructions
précaires) en zone industrielle d'Abidjan ! » Ne comptent
que : « la lagune et la mer! un
petit paradis pour moi, celui qui seul peut combler l’enfance… »
« A travers mon graphisme, je mets en exergue
cet aspect magnifique et paradisiaque de l'Afrique malheureusement si peu connu
dans le monde ! Sans toutefois ignorer nos belles femmes aux rondeurs époustouflantes
qui sont pour moi, sources d'inépuisables inspirations dans mes
créations ! »
Sujet
inépuisable, c’est à l’école des maîtres
de l’iconographie, qu’il éprouve le besoin de l’immortaliser : « Avec l’option atelier de gravure je me
perfectionnais en illustration, à l’instar des anciens mais aussi en éprouvant des
expériences plus modernes… Avec nos maitres et bien d’autres venus de France
dont Gosselin, jeune peintre français qui nous a enseigné la gravure sur bois à
partir d'une seule planche ; Patrick Devreux professeur aux Beaux-Arts de
Paris pour les cours en lithographie ! Puis j’ai approfondi avec un maître de la BD ivoirienne, Gilbert Groud.
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…et l’aventure continue… |
Professeur
d'arts plastiques au collège municipal de Grand-Bereby (2001-2007), ville situé
au sud-ouest à plus de 450km d'Abidjan, c’est dans une commune presque
rurale mais nantie d'un environnement
paradisiaque qu’il nourrit son art. « Une
source inépuisable ; un sacré bonheur pour tout artiste en quête
d'inspiration ! »
« Là-bas pas un jour sans dessiner ! Des
planches de BD, des illustrations de paysage au stylo à bille, à l'encre !
J'y retourne encore : un véritable paradis sur terre, source d'inspiration
pour tout artiste !!!! »
La réalité est virtuelle
Ce
n’est que la formulation du rêve, son accomplissement, que propose la BD de
Koffi… avec toutes ses plages d’inconnu, d’énigme et d’inachevé. En fait, on s’aperçoit que la
nouvelle forme de la BD passe par le net : elle peut être éditée
directement en PDF à télécharger. Ce qui permet une circulation accrue des
productions et donc une évolution plus rapide des contenus.
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Fantasmes et fascination… |
La
BD, comme le souhaite et le réalise Koffi agit sur le réel : en bousculant
les mentalités…
« La force de l'humain est sa capacité d'accomplir
résolument ses rêves en dépit de toutes les entraves propres à la
société ! ». Il s’y confronte tous les jours, Koffi !
Et
il s’acharne à le déclarer en toute modestie : « au moment on moment où tout le monde pense que c'est impossible, un
petit idiot pense le contraire et il le fait parce qu'il ignore que c'est
impossible ! »
Un article de Monak
-* « L’Afrique
écrit son histoire », tout comme elle y est rentrée depuis l’aube des
temps (N’en déplaise à un certain politicien français, imbu de son chauvinisme)
-**Tout
sur le lexique technique de la BD :
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