Tatiana Shanks
tourne à Tahiti
Le sujet est
brûlant, voire tabou. Dérangeant, car Tatiana Shanks, dans
son film Far
Away Places, traite des abus
sexuels sur petite fille mais aussi de la solidarité, au pays de la cohésion
familiale, Tahiti. Ce n’est pas si simple de forcer le silence des convenances
et de chercher réparation auprès de l’abuseur. Mais c’est indispensable pour la
victime. Un acte de courage pour la jeune auteure et réalisatrice de 18 ans qui
signe son premier court-métrage.
Le
propos du film étant focalisé sur le ressenti et les réactions des enfants, tous
deux personnages principaux, Te’a et Kyle, Tatiana Shanks ne se départit pas de
sa vision d’auteur, incluant l’authenticité d’une société du Pacifique Sud.
Elle choisit une esthétique impressionniste, l’image exprimant en touches discrètes
la psychologie des personnages et contaminant l’atmosphère. À cette étape du
tournage, les quelques rushs que j’ai pu voir, semblent le confirmer.
Te’a et Kyle en nocturne |
La
fiction, repose sur un fait réel. Elle l’assortit d’un contexte qui permet
d’appréhender de l’intérieur, la rencontre de deux modes de fonctionnement
culturel, de part et d’autre du Pacifique. Meleana Hirshon, 9 ans, dans le rôle
de Te’a vous en révèle l’essentiel à mots couverts : « Mon cousin
venu en vacances, va découvrir que je suis maltraitée. Il va me suivre un peu
partout jusqu’à tout raconter à mes parents. Mes parents veulent voir le voisin
qui m’a fait du mal, mais… »
Instantanés…
Je ne vous en dirais pas davantage, pour ne
pas présumer des intentions de la réalisatrice, même si le récit de Meleana
coïncide en tous points au scénario… Et
pour ne pas tout éventer, elle ajoute : « Je ne peux pas le raconter
à mes copines avant sa sortie. Autrement, elles ne viendraient pas voir le film !»
Kenta Asars parle de Kyle… |
Le point de vue de Kenta Asars, alias
Kyle, du haut de ses 11 ans, analyse son personnage avec sagacité : « Kyle
est un mauvais garçon mais dans le fond, il n’est pas méchant. Il est curieux
et s’interroge sur Te’a. Et il cherche à être son héros »… comme l’indique
en filigrane l’ébauche d’affiche de « Far Away Places : She needed
a heroe ».
Elle cherche son héros… |
Tukau Teinauri, 8 ans, spectateur de
plateau et figurant, commente ainsi : « J’aime cette histoire, elle a
des moments vraiment bien et amusants. Et puis, je peux voir ma cousine ».
Chacun ses priorités ! Puis il ajoute : « L’histoire est un peu
triste ; ça m’a un peu dérangé. »
D’ici et d’ailleurs…
Si
le titre du film rappelle une chanson populaire américaine, interprétée en 1948
par Bing Crosby… il est
polysémique. Consacrons-nous aux possibles traductions de Far Away Places
pour nous en rendre compte. Contrées lointaines exprime à plein l’attachement
de Tatiana, américano-canadienne, pour la patrie lointaine dont elle est en
partie originaire… et qui berce son imaginaire. Elle l’exprime à plusieurs
reprises : « Je souhaite à tous d’éprouver ce que je ressens sur
cette île » (Le 29.nov. 2016, sur la page Facebook de Far Away Places).
Meleana au magasin Puna’auia |
À
l’autre bout du monde,
évoque l’impensable : c’est-à-dire, comment bascule la vie de deux jeunes
enfants, confrontés à la perversité de certains adultes et à quelles extrémités
ils sont acculés pour s’en défendre, entre rage, révolte et désespoir.
Julien Gué en Temana : un voisin peu recommandable |
Enfin,
À l’étranger, nous conduit au cœur du problème, les séquelles
psychosomatiques d’une enfant abusée : ses repères perdus, elle erre dans
un monde étrange de cauchemars, de solitude, de meurtre et d’insécurité.
Refoulant inconsciemment toute émotion, privée de sa liberté de réaction, elle
se dépersonnalise. Le nombre des mineurs victimes de sévices sexuels en
Polynésie est alarmant : 250 en 2015, soit, proportionnellement,
presque 10 fois plus qu’en Métropole. Et encore, ne s’agit-il que du chiffre
des cas qui ont été déclarés.
Les aléas du court-métrage
Le
court-métrage, pour qui se lance dans la réalisation, est une carte de visite
opérante. Pour Tatiana qui termine le lycée, cette expérience est une véritable
formation, avant d’aborder l’an prochain une école de Cinéma. N’étant pas lié à
une boîte de production, il a toute liberté de création. Sauf qu’il doit
parvenir à trouver ses fonds de financement. Far Away Places, pour un tournage
de 10 jours a réussi à s’assurer le minimum, à partir de dons et du soutien d’Air
Tahiti Nui. Le reste est encore à venir.
Une page du story board |
Avec
une logistique, mi-basée à los Angeles, mi-localisée à Tahiti, il a fallu trouver
des solutions avantageuses. La famille a
répondu présente : la productrice exécutive et mère de Tatiana, Vaitiare Hirshon, est une actrice
polynésienne
bien connue de l’écran américain et international. Le casting a fait appel aux
cousins des deux rives du Pacifique. De ce fait, les étapes entre conception et
concrétisation n’ont pas suivi le cours habituel. « Le découpage échafaudé
avec le chef opérateur, Ben Enke, aux US, a dû se
réaccorder avec le plan de travail* »
Mais
c’était sans compter sur la détermination de l’équipe, prête à tout pour
atteindre son objectif. Ainsi l’explique Tareparepa Teinauri*, 1ère
assistante réalisatrice, bien que sa spécialité soit régisseuse générale dans l’accueil de
tournages,
pourvue d’une grosse expérience de terrain : « Sur un court-métrage,
on travaille à l’arrache. Le format du court-métrage, disposant de moins de
moyens financiers et humains, tout le monde porte 3 ou 4 casquettes. Habituée à
de grosses productions, c’est revenir au basique. »
Tarepa détaillant le texte avec Meleana |
Je
l’ai vue passer dans la seconde, de la direction d’acteur à l’accessoiriste ou
à la régie de plateau. Traductrice et porte-parole auprès des acteurs d’ici,
soit les deux-tiers du casting francophone, Tarepa précise :
« C’était tout bénéfice pour moi ; j’étais plus impliquée que
d’habitude. Dès notre premier briefing avec Tatiana, j’ai insisté pour que les fonctions
s’ajustent et que je ne prenne pas trop de place, avec le souci de ne pas trop
m’ingérer… Je suis là pour la protéger des détails qui ne la concernent pas pour
qu’elle se concentre sur son travail ; Tatiana préoccupée par le rendu
technique de l’image. Mais aussi pour la rappeler à l’ordre en ce qui concerne
le timing. Tatiana est réfléchie ; elle sait ce qu’elle veut. D’un
caractère assez facile, je ne la connaissais pas vraiment, seulement en tant
que cousine-enfant et adolescente… L’entente a été constructive et fructueuse ».
Un casting bigarré
Tourné
en majeure partie côté-mer à Puna’auia, au magasin du même nom, au Fare
Ylang-Ylang, à la caserne de pompiers, etc., Far Away Places débute et se clôt à Los Angeles. Outre
les membres de la famille, la distribution artistique s’équilibre entre débutants
et acteurs de métier. Le casting polynésien...
conduit par Manu Bonnefin. Pour
leur premier rôle, Meleana comme Perina Riveta (dans le rôle de Moerani, la
grand-mère) se sont laissé materner par Tarepa.
Il en sort de belles surprises…
Perina Riveta, Grand-mère Moerani |
Les
pros paraissent avoir commencé très jeunes au cinéma ou sur scène : Kenta Asars défile comme
modèle dès l’âge de 2 ans et en est à son cinquième film. Tony London qui joue Jack, un
oncle de Kyle, démarre comme musicien et chanteur, à peine adolescent. Quant à Julien Gué, dans le rôle de
Temana, le voisin indélicat, c’est vers quinze ans qu’il monte sur les planches
et, débarqué à Tahiti en 2000, il se consacre exclusivement à la mise en scène
et à la direction d’acteur, tout en faisant des apparitions au cinéma en
Polynésie.
Tony London, casquette clapman |
L’équipe
technique est à cent pour cent professionnelle. Avec, entre autres, un duo
masculin dont l’ingénieur du son Raimana Loussan, qui participe à pas mal de
productions et de documentaires.
Attente avide
Les
images soigneusement enregistrées et envolées sous d’autre cieux, reste le
montage sous l’œil diligent de Tatiana Shanks. Dernière opération qui révélera la
personnalité et la patte de la réalisatrice. Pour l’instant, le mystère reste
entier.
Tukau, sa cousine et une histoire de famille… |
Encore
quelques mois… D’ici là, je piaffe, mais j’en connais d’autres qui sont dans le
même état…
Un article de Monak
NB – Je
reviendrai compléter cette approche dans un prochain article intitulé :
« Impressions de tournage » et clore sur une interview de Tatiana
Shanks.
Toutes les photos prises par Monak pendant le tournage
ne rendent aucun compte de l’intention du film et de l’atmosphère des prises de
vue cinématographiques. Elles se cantonnent à l’ambiance du plateau. Il vous
reste donc toute opportunité de les découvrir… lors de la diffusion de Far Away Places.
Tous droits réservés à Monak & Julien Gué.
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texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.
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