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vendredi 6 juillet 2018

"L’Oiseau de Paradis"


Paul Aivanaa Manate tourne à Tahiti  

Un cinéaste des Australes réalise son premier long-métrage "L’Oiseau de Paradis" à Tahiti. Un scénario à l’écoute du fenua, à travers une fiction contemporaine. Une grande première pour le cinéma polynésien !

Le film de Paul Aivanaa Manate est à l’image du pays : un paradoxe qui mêle, entre autres divergences, le comportement des affairistes et la mentalité profonde des insulaires de Polynésie. Le destin particulier d’un jeune "demi" offre cette palette qui s’inscrit dans les couches les plus diverses de la société. Au-delà de l’histoire, c’est un peu tout ce que vit, ce que ressent de l’intérieur le petit peuple dont la parole n’émerge pas, l’une des possibles interprétations de cette fresque. Mais il serait anticipé de creuser davantage, tant que le film n’est pas bouclé. Pour cet article, je m’en tiens aux impressions prises sur le vif du filmage.


Tareparepa, Nanihi, Paul : vers Moorea
          L’heure est au plateau de tournage, essaimé sur l’ensemble de l’île de Tahiti : ses petits quartiers urbains, ses bouts de forêt dense, ses falaises en presqu’île, ses fare isolés de toute communication régulière… et l’eau, le lagon. Bien des incursions insoupçonnées pour un quadrillage systématique du territoire et, surtout, bien des ressentis positifs, aux dires des collaborateurs permanents ou temporaires de cette aventure.

Une équipe cinématographique franco-polynésienne ou vice versa, fusionnelle à souhait, un petit budget ; avec pour producteurs présents Local films, Filmin’Tahiti, sur les quatre coproducteurs (dont A Perte de Vue et Anaphi). Un casting bigarré, à l’instar de ces herbacées du titre, les oiseaux de paradis.

Du côté des "huiles"

         Commençons par vous présenter les pontes, non par déférence inconsidérée mais juste pour signifier qu’ils sont à l’origine de cette entreprise artistique qu’ils rendent profondément humaine. Ce sont eux qui installent l’atmosphère du tournage. Une ambiance vraiment chaleureuse dont ils maintiennent la coolitude malgré les soucis ordinaires de planning qu’ils gèrent imperceptiblement. Un staff sans protocole, proche des acteurs, des techniciens et des membres de l’équipe.

Nicolas Brevière, dans ses œuvres
Nicolas Brevière, producteur de longue date de la fabrique Manate, discret, se montre accessible, causant, cordial et bourré d’humour. Rémi Veyrié, directeur de production, disponible, attentionné à l’égard de chacun des petits rôles ou des figurants de passage, manage tranquille. Tareparepa Teinauri, assistante à la réalisation, se partage entre un sourire épanoui et bienveillant, les exigences pratiques et structurelles des prises de vue qui la font courir un peu partout, avec son homologue Cédric Guillaume Gentil.  Le courant passe, intense, dynamique et agréable.

          Déjà, la sauce-tournage bat son plein, avec son jargon lié aux péripéties de l’imparable suite des jours aux horaires débordant sur la pendule naturelle : le "tunnel" de la presqu’île, renvoyant au fameux "tube" du spot de surf… le "rolling" annonçant la séquence voiture nocturne, par exemple… Un lexique qui soude davantage les participants. 

…à la cascade avec Sébastien et Sebastian
            En amont du tournage Delphine Zingg, coach artistique, venue initier les néophytes, établir les ponts entre les acteurs d’ici et d’ailleurs et poser les balises du jeu, s’en repart, des amitiés plein les poches. Sébastien Stella de l’Espace cirque Moorea, stimulant et sûr de son fait, règle cascades et autres prises de  bec du scénario, pointe sur place le jour J ou intervient aux moments délicats.

Amine, shooting dans le vent.
          Le binôme insécable Amine Berrada (Directeur de la Photographie)-Paul Manate,  assure la crédibilité de l’image, les impératifs de placement des acteurs, suggestions variées et plans imprévus : les secrets de l’image, quoi !… eux-mêmes scotchés indifféremment à leur objectif ou à l’écran que contrôlent les assistants opérateurs (Camille Clément et Tamatoa Laurens) et la scripte Caroline Leloup… Bref, un monde qui s’active en circuit fermé et dont chaque acteur attend et redoute par principe le verdict ; histoire de conscience professionnelle.

         Et puis, convenons-en, la personnalité du réalisateur est déterminante. Paul Manate est plébiscité haut la main par les acteurs comme par les membres de l’équipe qui ne le connaissaient pas avant ! D’humeur égale, prévenant, il travaille en finesse, se plaît à  pousser plus loin, propose sans avoir l’air d’imposer, cultive les nuances : s’applique au rendu du regard (élément fondamental de la culture mā'ohi, comme chacun sait), ses effets de communication, jubile aux émotions vibrantes de la voix… Un réalisateur impliqué qui épaule et rassure.

Le petit monde du plateau
            Sur la planète-acteurs le plaisir est au beau fixe, sans orage, pas de grosse tête… Solidaires, ils n’hésitent pas à se proposer leur aide, en toute simplicité. Bien traités, « aux petits soins », comme le souligne Hinatea Savoie, ils espèrent satisfaire au mieux l’équipe du réalisateur.

Nanihi et Blanche à la pause
Blanche, qui ne s’était jamais imaginée à l’écran, fait ses premiers pas à l’image dans l’un des rôles primordiaux… Encore sous le coup de cette expérience gratifiante, encore baignée par cet univers habité de tant de sensations, elle ne se prononce pas pour la suite. Nanihi Bambridge, sans stress apparent, affirme un jeu palpitant à fleur de peau. Pour  Sebastien Urzendowsky, à la jeune carrière déjà très remplie en Europe, concentré et généreux à la fois, la complexité est son pain quotidien.

Au 21ème jour à Mahina : Caroline…
          Sur la sphère environnement de proximité, l’équipe sécurisante d’Heiura Teinauri, régisseuse générale, à l’efficacité empressée sans égale. Les incontournables Sandrine Mollon aux costumes et Aurélie Vigouroux au maquillage : l’œil aux aguets mais relaxantes et interlocutrices privilégiées à souhait.  Et comme d’habitude dans le cinéma polynésien, un certain acteur Edouard Malakaï endosse aussi la casquette d’éclairagiste... et transpire joyeusement à la tâche… J’en révélerai davantage prochainement…

Une enclave dans le quotidien
          Sans parler de Bisounours, pour un film où l’action mouvementée, entrecoupée de séquences poignantes, est le moteur qui stigmatise techniciens et acteurs, l’ambiance suscite un climat fertile au dépaysement. Tout semble fait pour vous transporter sans heurt dans un autre monde, celui de l’imaginaire… Même si l’acteur est en proie aux ajustements techniques qu’impose sa prestation, il se sent porté. Exercer un métier dans ce genre de conditions optimales, c’est un peu l’originalité de cette équipée artistique.

J 22, avec les décorateurs
          Certainement, la particularité polynésienne : un état d’esprit hospitalier qui sait mettre à l’aise, qui occulte le stress malgré le rythme soutenu du calendrier ; une patience à toute épreuve dans le sable, sous le soleil tropical…

        Le sourire est un talisman pour tout acteur : il déteint sur l’ensemble, hexagonaux compris. L’équipe, dont l’âme est polynésienne, distille cette atmosphère à nulle autre pareille. Remarquable à n’en pas douter !

Un certain caniveau des bords de mer
Ce n’est pas seulement le 1er long-métrage de fiction polynéso-polynésien de l’histoire du cinéma, œuvre d’un réalisateur polynésien... mais une autre façon d’aborder et de vivre ces différents métiers tout en en respectant scrupuleusement les règles. Une révolution copernicienne ? Du moins un souffle nouveau s’en dégage... Ne reste plus qu’à souhaiter aux actants volatiles et volubiles de cet épisode d’avoir su transmettre et témoigner de ses intentions au mieux de l’image.



Un article de  Monak

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