Impressions de tournage
Sur le tournage de
"Far
Away Places”, elle ne se
départit pas d’une attention soutenue. Short léger et souple, tenue sportive
classique, sans fioriture, elle fait preuve d’une belle énergie. Pondérée, très
absorbée, elle semble ne se lasser de rien même après des heures d’intense circonspection.
Elle transmet ses directives de façon discrète, sans jamais élever le ton. Sous
le bras le bloc glaçon dans la bouteille, les doigts en perpétuel mouvement
sauf s’ils tiennent le précieux texte qu’elle a écrit… : Tatiana Shanks,
réalisatrice.
Heureux
sont les plateaux où autant de sourires se partagent, où l’accueil chaleureux
vous laisse autant d’aisance. Faut-il l’attribuer au contexte polynésien, à la
cohésion de l’équipe de réalisation et de production ou au format du
court-métrage qui facilite cette interaction entre actants réels et assistance
ponctuelle ? J’ai écumé des plateaux, comme actrice, figurante, coaching
de mineurs ou journaliste, la barrière des fonctions établit souvent ses
clivages harassants ! Ici, la connivence circule à tous les niveaux en
dépit des distinctions de langues audibles sur le plateau : tahitien,
américain et français.
Dans ses yeux, dans nos yeux… |
Une approche de l’architecture du film
vous ayant été présentée dans un article précédent, passons à ces
ambiances hors-champ. Sensations captées sur le vif de l’action ou entre les
prises, elles sont découpées comme un puzzle et filent comme le vent. Une
gymnastique à laquelle se soumettent acteurs et techniciens : seuls l’état
et la gestuelle, bien que simultanés, diffèrent.
Et, pour commencer, prenons le pouls d’un
tournage qui a vraiment procuré à chacun et de l’avis de tous, de près ou de
loin, une bulle d’oxygène… Témoins, les lunettes de Manu de Schoenburg.
Météo du tournage
Resserré
dans la durée, le court-métrage, confiné dans des espaces étroits, ressemble à
un essaim : en son centre, la reine-caméra et la girafe sur pattes du
preneur de son, le duo réalisatrice et assistante, le tout bien agglutiné. Tout
ce petit monde bruisse et bourdonne jusqu’au fameux « moteur ! ça tourne ! ».
Ben Enke et Raimana Loussan, harnachés comme des soldats, transpirent à qui
mieux mieux, tout en jouant les frères siamois, imperturbables et efficaces.
Récapitulatif
impromptu
Onze
jours de tournage à Tahiti pour une température moyenne comprise entre 29-30° le
jour et 26° la nuit, ce n’est pas une sinécure. Longues plages de canicule au
plus fort des prises de vue. Pas question de s’asperger. Temana suffoque dans le
réduit sans fenêtre du magasin et maudit intérieurement son tīfaifai*. Une
pointe à 31° à l’ombre. Les enfants prennent la solution dos contre armoire à
boissons réfrigérées ou fraîcheur sur carrelage…
Fraîcheur du carrelage |
La
chaleur humaine est à son apogée pour les scènes de groupe, le soir autour d’un
feu… Les pompiers, les commerçants, les
policiers sont d’une générosité à toute épreuve, sous le ciel lourd, présage de
pluie en cette saison du même nom. L’empathie règne en maître jusqu’à la
dernière soirée d’adieux où Vaitiare Hirshon, productrice exécutive, lance ses
remerciements énumérant tous les azimuts : « Avec vous, tout est
devenu possible ». et
Tatiana Shanks de compléter : « J’avais un rêve, il est devenu
réalité »
Instantanés
D’humeur
égale, Tarepa n’a pas « flanché. Mon rôle est de donner le ton à l’équipe.
Un groupe dont les qualités humaines sont incontestables. Tony London, très
chaleureux, a une façon de gérer avec calme », par exemple. Pour diriger Meleana,
elle avait « un peu d’appréhension. Mais la petite est douée, à l’écoute,
parvient à changer facilement d’émotion. À moi, de lui faire sortir quelque
chose de particulier. C’est beaucoup de dialogues. Je lui avais tout raconté et
à chaque séquence, j’entre dans les détails. Pour Kenta, Tatiana a une approche
différente. C’est son frère, alors, elle ne lui dit que l’essentiel à chaque
fois, pour provoquer un jeu spontané. »
Tatiana
Shanks définit ainsi sa direction d’acteurs : « Mon jeune frère, je
voulais lui donner un rôle. J’aime bien sa façon de jouer. J’espère des choses
des acteurs ; j’ai mon idée mais je leur laisse l’opportunité de me
proposer leur perception. J’aime voir jaillir chez les acteurs leur façon de
s’approprier le scénario : je dis “ action ! ” et je regarde. Si
ce qu’ils font passer à l’écran me convient, je garde ; si j’en veux
davantage ou autre chose, je discute et leur transmets une indication. Mon père
m’a poussée à avoir une expérience d’actrice ; et je sais que c’est
possible de faire travailler des non-acteurs pour qu’ils parviennent à dépasser
leur pudeur, leur crainte. Pour mon premier essai, je crois que la méthode
n’est pas trop mauvaise. Enfin, je suis contente du résultat, avec les proches
ou les nouveaux. »
J’accuse… |
Tukau,
plutôt extraverti, prend du temps avant d’aborder la question délicate :
« C’est important que les grands nous protègent. À l’école, ça arrive que
les grands m’embêtent. Ils me disent : « Je peux avoir ton goûter ?
Ils disent des gros mots… ». Meleana affirmant qu’elle ne veut être
actrice que comme loisir, se trouve une vocation de pompier en montant sur le
camion… « J’ai bien aimé faire le film, mais je ne sais pas si j’ai envie
de le regarder. » Les enfants sont d’une logique !
Meleana
qui trouve drôle de courir souvent dans ce film, s’en prend aux adultes
détraqués : « Il faut prévenir les enfants ; moi, j’étais
prévenue ; devant l’école quand on est venu me récupérer, un monsieur en
voiture m’a dit de venir avec lui… Je ne comprends pas pourquoi les adultes
veulent se servir des enfants. C’est parce qu’on n’a pas de force ? C’est pas juste ! »
Perina dans l’expectative… |
Du
côté des adultes, ce n’est pas plus évident non plus. Perina, n’avait jamais
pensé pouvoir tenir un rôle au cinéma. « Je ne voulais pas ! ça me terrorisait. Et puis, tout le
monde a insisté, disant que j’étais grand-mère dans la vie et que je savais le
faire. » Après le 1er jour de tournage, un peu lasse, mais
toujours modeste, elle insiste sur le fait que « ce n’est pas un métier facile ! »
Mais
ne vous fiez pas aux apparences, seule l’équipe de réalisation reste maître des
images. Les impressions sont subjectives et à charge de leurs auteurs.
Confidences pour confidences !
Julien
Gué, dans le rôle du funeste Temana analyse son expérience : « Ne
sachant pas vers quel type de personnage m’orienter, je me suis préparé aux
émotions et aux situations qui correspondaient aux plans. Il ne m’a pas été
difficile de garder la cohérence de mon personnage, je crois ; il était dans
la continuité. La seule scène décalée, c’est près du feu, où il pose un regard
ambigu sur la gamine… Ma rencontre avec Meleana, à la présentation de l’équipe,
n’a pas influé sur mon personnage : petite fille drôle, vivante, jolie
comme un cœur. Sur le plateau du film, c’était quelqu’un d’autre : c’est
ce qu’elle a donné dans les scènes où elle jouait avant mon intervention qui
m’a déterminé… et que j’ai commencé à établir la relation avec son personnage
de Te’a. » C’est d’ailleurs en cours de séquence que la fillette s’est
détendue et a confirmé une véritable complicité d’acteurs.
« Ce
qui me reste après ce tournage, c’est le plaisir. Plaisir de la rencontre,
plaisir d’exercer mon métier. On a travaillé avec une équipe adorable, avec qui
tout se passait bien : pas de problèmes, pas de conflits. Une ambiance
rare qui m’a vraiment porté. C’est idéal de jouer dans ces conditions-là. Clairement,
ça facilite la concentration. Pas de parasitage. J’étais assez surpris que ça
puisse s’opérer avec une réalisatrice aussi jeune, 18 ans ! c’est étonnant et très satisfaisant. »
Julien Gué et sa partenaire |
Quant
à Temana, intervient Tatiana, enjouée : « il a fait exactement ce que
j’attendais de lui ! » Les pluies de compliments s’étant mutuellement
déversées, passons aux choses sérieuses.
Maintenant
que le tournage touche à sa fin, Tatiana troque son application soutenue contre
une attitude d’interlocutrice mutine qui se garde encore quelques secrets :
« Mon mode d’expression est l’image, l’image vivante. Je ne pouvais que
montrer ce que je vois et donc entrer dans l’action. Porter à l’écran notre
monde intérieur : notre sensibilité, ce qui nous motive, nos impulsions. Mes
intentions, ce que j’imagine dans ma tête, je voulais essayer de les donner à
voir. C’est fait. J’ai écrit spécialement l’action pour transmettre un
message : faire prendre conscience de ce qui peut arriver et comment on
peut réagir. Une histoire que ma mère m’a racontée et qui courait dans ma
tête ; je devais lui rendre sa réalité. Elle me paraissait lointaine. Il
me fallait la tourner en Polynésie où je viens périodiquement, pour mieux en
appréhender la culture. C’est important pour moi.
Tatiana, Ben, Raimani : plan rapproché sur un réduit ! |
« Comme
de la faire voir, c’est le but. Le scénario aborde les éventualités que
provoquent certaines situations extrêmes quand un enfant est submergé et
excédé… Je veux faire ressentir cette détresse. Le film a pour but d’être vu,
qu’on ait une idée sur ce que je peux faire et que j’aie un retour. Les
festivals professionnels, c’est un bon moyen. J’aurais un avis pour me
déterminer sur ce que je vais faire ensuite… je ne sais pas encore. »
Le mot de la fin…
L’équipe
de Far Away Places a terminé son périple. Reste l’étape délicate de
postproduction. Cet ensemble de manipulations hautement techniques qui
détermineront l’esprit du film et la vision propre à la réalisatrice… Un
travail de fourmis.
Arrêtez le feu ! |
à Tatiana Shanks, revient déjà cette lourde
responsabilité, outre le mot de la fin : « Mes parents m’ont insufflé
la passion du cinéma. Et puis, ils m’ont soutenue dans ma démarche. C’est
vraiment grâce à ma mère que ce projet a abouti. Mon remerciement, c’est de
leur offrir ce travail ! »
Un article de Monak
*
tīfaifai :
Couverture polynésienne faite d'un drap sur laquelle on a cousu des appliques
de motifs.
Tous droits réservés à Monak & Julien Gué.
Demandez l’autorisation des auteurs avant toute utilisation ou reproduction du
texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.
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