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Le nouveau roman de de Monak à lire absolument

samedi 2 novembre 2019

Insulaires "Légendes urbaines"


Téléfiction bien polynésienne


         Sur le thème de ce qui peut s'embusquer en matière de peurs irraisonnées, d'espoirs, et de croyances collectives qui pavent la Polynésie d'aujourd'hui, quatre réalisateurs de Tahiti, réunis par la production Ahi Company, relèvent le défi. Phénomènes inexpliqués et superstitions ordinaires de l'île jubilent grave à l'écran. Un étrange bien familier ! 

           Faits divers, rumeurs ou canulars répandus par des affabulations populaires ou les réseaux sociaux, forgés et implantés dans notre quotidien, participent de ces “Légendes Urbaines” polynésiennes. Insolite, refoulé, irréel, bestial, atrocités, transgressions font ressurgir du champ enfoui de l’occulte, l’épopée sans réponse de notre époque impitoyable. Un événement !

Quand la vallée exsude ses secrets (Etene)
           Production, équipes techniques et artistiques sont strictement locales : s’en dégagent une atmosphère naturellement authentique et la mise en valeur immédiate du paysage, du bâti ou du mode de vie insulaires du Pacifique Sud.

Deux grandes familles d’imaginaire s’y distinguent. D’un côté la bonhomie égratignée par le bizarre, le quotidien qui tout d’un coup bascule dans le monde parallèle de la prémonition : avec Fa’a’apu de Fabrice Charleux et Tapa’o de Maruia Richmond, l’atmosphère se veut résolument solaire. De l’autre, le monde nocturne, sous-jacent et sournois des secrets sibyllins ou inavouables qui nous menacent : avec le monstre dévorant d'Ētene de Toarii Pouira, et la secte maléfique dans Ahutea de Samuel Cuneo-Samy Nine. Ces distinctions ne se prétendent pas catégoriques. Juste pour tenter de comprendre la diversité et les points communs entre ces créations cinématographiques originales.


Des talents, encore des talents...

         Les quatre courts-métrages, qui oscillent entre environ 12 et 15 minutes se succèdent pour s’aligner, en durée globale, sur le format référence de la télévision (soit, 52 minutes). Des condensés donc, qui ont permis aux différents réalisateurs de cibler leur sujet avec des images saisissantes et des 1ers   rôles percutants.

La vahine-tane stigmatisée (Ariioheau in Ahutea)
           Eh oui ! La Polynésie possède de petites bombes d’acteurs... On le savait, mais on n’avait pas vraiment pu l’apprécier : tant les films de la métropole qui viennent se tourner ici, se trouvent obligés de nous farcir de faux Polynésiens dans les grands rôles et des coutumes détournées. Découvrons Bernard Burns, Aimée Guille,  Hinanui Veyssiere, Nanui Namour et Vaea Vanina Lopez qui tiennent la route, dans un registre où l’intériorisation est de rigueur. Ainsi que certaines figures de l’équipe technique, intervenant face à l’objectif : Selelina Pakaina, Marie-Jade Gatto, Maruia…

Quand la menace est piégée (Julien Gué in Fa'a'apu)
           Savourons encore le diapason dramatique d’un certain Edouard Malakai, à la palette sertie d’ombre, d’angoisse et  d’amertume ; et le déchirement, l’audace et la fougue  de Tini Chaulet dans Ētene : tous deux convaincants dans leur personnage à double facette. Quant à Ariioehau Taumihau fabuleux, déchaîné et ingénieux dans son rôle de composition pour cette « Dame Blanche » dans Ahutea, il nous comble. Avec d’autres brèves apparitions qui crèvent l’écran dans les quatre courts-métrages, la fiction polynésienne est bien lotie de valeurs sûres de tous âges...


Des points de vue divers...

         L’atmosphère de chacun des films est vraiment différente… Le point de vue des réalisateurs s’avère très personnel et original. Ce qui constitue un atout majeur pour la conception globale et intensifie l’intérêt du spectateur.

          Fa’a’apu joue l’économie des dialogues, tranchée par le couperet des impromptus mercantiles : silence des acteurs principaux mais intensité de leur expressivité. Magistraux ! Juste une onde de choc entre deux mondes... ponctuée par la fuite du temps, du robinet et la rengaine début 20ème… Tout se joue sur l’apparence de la redite : mais, attention ! danger ! trop tard, l’irréparable est consommé...

Le sort des expulsés (Fa'a'apu en tournage)

           Ētene fait monter la pression à chaque seconde avec l’incompressible fléau social qu’est le viol de deux mineures et cette inconscience collective du monstre qui est en nous. Pas de pardon, la bête immonde est éradiquée. La justice des ténèbres prend le pas sur l’officielle qui se veut plus tolérante ; elle se nomme réparation.

La voix de la conscience ? (Edouard Malakaï & Tini Chaulet in Etene)
          Tapa’o concilie voyance et croyance... dans le contexte religieux spécifique à la Polynésie. Don médiumnique pour le moins déstabilisant puisqu’il touche à l’au-delà, encore faut-il vivre avec... en le sacralisant. Sur un rythme lent, voire ralenti, s’entremêlent signes prémonitoires et  bribes de réalité, paranormal et divination.

         Ahutea concentre sur un scénario signé Selelina Pakaina, une action resserrée où l’imbrication du réel, le canular à la une des cellulaires, la psychose des rites sacrificateurs, met en exergue les victimes du paupérisme ambiant. S’y dévoilent sans tabous le pouvoir masqué de l’argent, l’évidence socioculturelle de la trans-identité ; et avec l’irruption du fantastique la crédulité facile.


Des légendes d'aujourd'hui

           Pour la Polynésie, ces rumeurs incontrôlées sont actuelles, ce qui confère au film, sa dimension profonde. Elles s’ancrent dans les problématiques sociétales qui en caractérisent le quotidien. Les anciens, les matahiapo, aux petits revenus proches du seuil de pauvreté ; la crise du logement à Papeete, les loyers excessifs ; et une qualité de vie révolue pour Fa’a’apu.

La voie de l’au-delà…(Tapa’o)
             On y décrypte aussi, entre autres dérives ou dysfonctionnements sociaux, la manière dont chacun cultive sa paranoïa face aux plus démunis. Le mutisme ou l’aveuglement face aux violences : sur mineurs ou inconnus… le recours rassurant aux superstitions pour se dédouaner du mépris, de l’humiliation sexiste, des atrocités, des pratiques perverses, des crimes, des complots, bien réels ou imaginaires. Elles brouillent le jugement, accentuent l’effet inverse du rapprochement universel par le net et de l’ubiquité des médias, et se soldent par ce clivage qui amplifie l’intrusion des mondes virtuels ou fantasmatiques…

Le chantier des sévices (Ahutea)
               Un sujet inépuisable pour le quatuor Fa’a’apu, Ētene, Tapao, Ahutea, à n’en pas douter. Car il s'en donne à cœur joie avec les effets crus et créations "horrifiques" maquillage de Jad'Art. Ce film présente l’avantage de ne pas nous servir du folklorique à bon marché. De nous initier à la vision esthétique de réalisateurs polynésiens de talent… ainsi qu’à "l’empire des croyances" et de leur réappropriation artistique.


Un article de  Monak

Tous droits réservés à Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.

Et pour vous refaire la "Série Légendes Urbaines" non-stop, cliquez sur ce lien : https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/legendes-urbaines-replays-760785.html
https://www.facebook.com/ahicompanytahiti/videos/740712856402341/?t=16