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Le nouveau roman de de Monak à lire absolument

dimanche 13 décembre 2020

Coup de Soleil sous un bananier


Quand Monak se perd
dans l'envers du décor


Installée à Tahiti depuis une dizaine d'années, Monak nous livre ici son premier roman inspiré par le fenua...

 

            Il est des intrigues policières jamais résolues. 
           La douceur des îles et de leurs habitants, l’indescriptible camaïeu de bleus des lagons, l’art de la bringue lui-même ne doivent pas, ne peuvent pas occulter la violence cachée d’une société étouffée par le mutisme légendaire des Tahitiens.

           Derrière le sourire envoûtant des vahine peuvent se cacher bien des mystères et des réalités décalées. Derrière la vie réglée d’un humble et discret fonctionnaire peuvent se nouer de bien étranges intrigues…

 

Tout a commencé par...

Et puis, qui peut prétendre savoir ce qui se passe vraiment derrière ces haies chargées de fleurs odoriférantes, sous les toits en tôle de ces fare où se réfugient parfois la misère tant matérielle que morale ?

Mais que s’est-il vraiment passé dans cette vallée cachée de Papeete ? Allez savoir… Une chose est sûre : la vie est là. Le pardon aussi, souvent. Le remords : parfois. Mais surtout, surtout et toujours : l’amour et son cortège de conséquences.

Alors, bienvenue dans les coulisses du paradis !...

 

Derrière la carte postale

Depuis son arrivée en Polynésie il y a un peu moins de 10 ans, Monak a eu le temps de traverser les paysages paradisiaques vendus par les agences de voyage et, donc, de découvrir l’envers du décor. Et c’est bien de la face cachée du paradis dont il est question dans « Coup de soleil sous un bananier ».

         



Monak

Bien sûr il s’agit d’un roman policier. Mais l’intrigue ici n’est rien d’autre qu’un alibi pour nous conter les gens, eux qui ont tant touché notre écrivaine. Celles et ceux dont on ne parle jamais. Qui vivent loin des plages privatisées, dans des « fare pinex » à l’ombre des manguiers ou des banians, dans le fond des vallées. Qui sont paysans et pêcheurs dans les îles, obscurs employés de bureaux à Tahiti ou encore vivent la nuit, travestis et prostitués… Bref : les Polynésiens dont personne ne parle jamais. Pour nous conter aussi les conséquences humaines et sociétales de soixante années du clientélisme politique (avec son cortège de corruption et de malversations) imposé par la France pour protéger son programme nucléaire.

Un polar donc. Mais pas que…

 

Du réel à la plume

            Fidèle à elle-même, comme elle le fit jadis dans le sable brûlant du Sahara tunisien, notre auteure a donc trempé sa plume dans le bleu des lagons pour en extraire une encre acide, sans concession. Pour nous parler des amours hors-le-monde entre un gratte-papier et une raerae. Pour nous peindre certaines zones d’ombre d’une société polynésienne ignorées de tous hors du fenua.

 

            Avec un style qui n’appartient qu’à elle, Monak nous livre à la fois l’amour qu’elle a pour le peuple polynésien du silence et ses colères provoquées par une société d’une rare injustice.

 

Son livre…

            Ainsi donc, « Coup de soleil sous un bananier » n’est ni un polar ni un pamphlet, mais bien un fort bel hommage rendu aux obscurs et aux sans-grades d’une société terriblement corrompue. Une ode à la beauté de ceux qui survivent, la tête haute, sans jamais un mot pour se plaindre.

 

Publié chez Estelas Éditions, le livre n’est, hélas, pour l’instant disponible qu’en version numérique exclusivement. Un choix qui en interdit l’accès aux nombreux lecteurs tunisiens de Monak. Espérons donc avec eux et avec tous ceux qui, comme moi, et ils sont très nombreux, préfèrent de très loin lire un livre dans sa version papier, seront entendus rapidement…

 

 

De la même auteure, découvrez également :

Chkakel (2001), chez TheBookEdition

Marée acide (2014), chez TheBookEdition

Un article de Delphine Barrais sur Tahiti Infos :

 « Un roman policier qui révèle l’envers du paradis »

 

Un article de  Julien Gué

 

          Tous droits réservés à Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.

 

 

mardi 3 mars 2020

La boutique Klima à Papeete


Un amour de librairie


Quand les libraires se nomment Manuella et Marius, qu’ils sont nés à Papeete, la petite boutique se  pare de pétulance, de sourires, de cordialité. Aux visiteurs que nous sommes, tout est grâce, légèreté… le sérieux devient plaisant. La librairie Klima dégage une âme.
 
Entrer dans une librairie de ce type, je veux dire pas un super-marché du livre mais un lieu habité, c’est suivre le papillon flegmatique Absolem et passer De l’autre côté du miroir. C’est pénétrer dans un univers où tout s’explique autrement : là où les lignes qui se suivent vous entraînent à les visualiser, à entrer en contact avec un auteur… C’est abolir le Temps, comme Alice, et retourner au Pays des Merveilles. Là où l’écriture « hurle sans bruitL’écrit ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit, et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie. »
C’est suivre le Lapin Blanc au gilet bleu… et là, assis parmi les livres, sous l’affectueux et rassurant regard du couple des libraires, votre solitude se transforme au gré d’une compagnie qui vous livre le monde fantastique de son imaginaire. 

encore des histoires de lapin…
Une librairie, c’est une invitation, ça parle... Enfin, les mots se croisent et t’interpellent. Là, dans leur cadre bien rangé, ils se déploient. Sous leur titre, un portrait s’ouvre comme un visage, un paysage. Les livres ne s’ennuient pas sur les étagères… Ils t’appellent en une lettre, un nom, un bout de phrase. Ils te font discuter. Ils sont portés par une voix : écoute-les parler entre eux, ils s’envolent en duo, se glissent dans la conversation des amateurs.

Ils vivent sous les mains de ceux qui les feuillettent. Regardez comme Marius et Manuella les caressent du bout des doigts. Une longue fréquentation qui commence à l’âge de la lecture. Quelques six ans après la naissance de la librairie Klima. 1936… « ça commence comme un rêve d’enfant, on croit que c’est dimanche… »

L’espoir d’une époque… Révolue ?
Une librairie, ça vous dévisage... de ses grands yeux ovales qui s’écarquillent avec les lettres rondes des titres et des auteurs... ça remanie son look quand ça déménage. Le Quai des Bonitiers, le port, la mairie, Vaima, la cathédrale : la librairie Klima a quitté le front de mer pour le Centre ville. C’est une porte ouverte sur la vie alentour. La place du village où chacun vient partager ses découvertes et ses vœux, les senteurs du quartier, un climat vivifiant.

Un rythme qui a vogué des années-bateaux, quand la presse n’était livrée que périodiquement… à l’ère des rentrées littéraires. Quarante ans de gérance, pour Manuella et Marius, c’est imprimer une atmosphère-boutique. Chaleureuse, bien vivante, enjouée.

Klima c'est....

L’odeur du papier, son grain, l’effluve des encres chatouillant les papilles des connaisseurs : une relation sentimentale qui allie exhalaisons d’histoires enfouies dans le secret des pages aux souvenirs d’enfance. Une belle histoire d’amour qui traverse le temps et se transmet dans le sourire du couple : Manuella, Marius.

Des hôtes attentifs et prévenants
Des rencontres où venus d’autres continents, la même addiction se dispense. Certains y revivent l’atmosphère de leurs jeunes années. Quand la librairie familiale était une aire de jeux, un lieu consacré, le temple du silence…

Invitation à la plume

Klima, malgré la réalité virtuelle, poursuit son long cheminement à travers les écrits d’ici et d’ailleurs. La foule des grands jours pour les dédicaces des écrivaines d’ici : Chantal Spitz ou Nathalie Heirani Salmon-Hudry. Et bien d’autres encore… Ceux qui pimentent du sel de l’humour, la vie cachée des insulaires aux allures de polars : Patrice Guirao… et puis les universitaires, chercheurs… Les rayons dissimulent des trésors.

Un point de vue, point sur les « Îles »…
Et encore ceux qui modestement ne prétendent à rien d’autre que de poser des points sur les « îles » (pour ne pas préciser les « i ») que les guides touristiques parent de mythes et de mystères… Un certain 25 janvier 2020, jour de l’an chinois du rat de métal, Julien Gué, reçu avec beaucoup de délicatesse et de prévenance, y signait De la mer aux hommes : manifeste pour Tahiti et ses îles

Invitation au voyage...

Alors, puisqu’il vous reste encore un peu de temps… avant que la date fatidique ne vienne clore la Librairie Klima… invitez-vous au voyage… prenez la peine de vous y arrêter. Une librairie est un port. Elle n’appartient pas qu’aux seuls habitués…

Le reflet du monde : Klima
Laissez-vous porter par l’aventure des mots… ceux que vous connaissez, ceux que vous entendez dans le calme d’une librairie où les patrons vous convient à la découverte… de ces cultures multiples qui se mélangent au gré des ouvrages, au gré des familiers qui s’acclimatent…


Un article de  Monak  et   Julien Gué

         Tous droits réservés aux auteurs. Demandez-leur l’autorisation avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.



dimanche 23 février 2020

Films d’impact au FIFO


Destins maori et aborigène...


             L’actualité des peuples colonisés d’Océanie s’avère toujours aussi scandaleuse. Qu’ils soient Mélanésiens, comme dans "Ophir", Māori ou aborigènes, leur sort reste précaire, voire insoutenable. Les réalisateurs de documentaires, eux, font œuvre salutaire et tentent de désenclaver les populations en danger : tablant sur la visibilité du FIFO dont l’audience ne cesse d’augmenter dans le monde. Parviendront-ils à impacter sur l’irresponsabilité ou la surdité des pays ou des monopoles économiques dominants ?


            Salué au 17ème FIFO par le 1er Prix Spécial du jury, "Merata : How Mum Decolonized the screen", de Heperi Mita, reprend dans son titre les paroles mêmes de la réalisatrice Māori néo-zélandaise : « décoloniser l’écran ». Dans le dernier quart du XXème siècle Merata Mita exerça en pionnière le métier, en actrice aussi, dans une société qui écarte et se désintéresse de ses autochtones.

Mère cinéaste et fils
           Mais ce n’est pas seulement le cinéma māori qu’elle libère de l’exclusif de ses prédateurs, c’est la planète-Femme qu’elle affranchit des pratiques archaïques qui la domestiquent et la ligotent. Tout comme une pléthore de pays océaniens, issus de différentes colonisations venues de l’Occident, la situation discriminatoire de l’époque, évoquée dans ce long-métrage documentaire, ne semble pas vraiment résolue.  La question du racisme « se manifeste de façon moins dangereuse ; elle est plus larvée, plus insidieuse. Elle se matérialise dans les institutions, au niveau des capitaux, des fonds qui pourraient appuyer la création culturelle et être attribués à la création Māori. Une sorte de racisme économique en quelque sorte… » nous expliquera le réalisateur Heperi Mita.

Les entendre pour les comprendre
Construit à partir des bobines tournées par Merata, à la fois sur  les mouvements de libération des femmes et les inégalités sociales : leur engagement résolument politique n’a pas toujours bonne presse et lui valent quelques menaces… musclées de la part des services d’ordre. Innovatrice en la matière, elle a été soutenue par le milieu du cinéma Māori « qui l’a aidée à révéler son talent ». Notamment dans le film de fiction (Mauri, 1988). Elle reste, à ce jour, la seule cinéaste māori à avoir réussi à en produire un.

C’est que le racisme institutionnel de la Nouvelle-Zélande, le sexisme qui touche toutes les communautés, elle les combat au corps à corps, dans des documentaires résolument militants.

Femme et mère : une antinomie ?

Où que vous soyez, la mentalité patriarcale ou populaire désigne la femme comme figure nuisible de la mère. D’un côté la mère, couverte d’enfants. De l’autre la femme couverte de chaînes. Merata, elle, est femme accomplie dans son travail et dans sa fonction de mère. En témoignent ses enfants et « l’équilibre familial, le surplus affectif, l’attention dont elle a su nous combler. »

« Bien sûr, nous sentions que son métier lui causait quelques soucis. Mais elle nous prenait avec elle. Pour nous c’était un jeu… et surtout l’occasion de passer plus de temps avec elle. » Le réalisateur parle surtout pour ses frères aînés qui ont subi la pression sociale la plus forte, alors qu’elle élevait seule ses enfants. 

Heperi Mita… l’intime fait le buzz
« Petits, nous n’avons pas compris les enjeux qu’elle défendait. C’est en recherchant, en analysant ses films, que j’ai décidé de lui rendre hommage. Elle est partie si soudainement… Elle nous a appris qui nous étions, notre identité fortement niée par le pays. et puis moi, je n’ai pas subi ce qu’ont enduré mes frères. » En enquêtant auprès de sa fratrie, le réalisateur peut mettre en avant la personnalité chaleureuse de sa mère. «  Elle a su privilégier aussi ce cocon familial qui les a rendus heureux… et solidaires ». Mère et cinéaste, une dualité compatible, quoi qu’en pensent les esprits chagrins, moralisateurs ou sexistes. Un destin riche et enrichissant pour ses enfants et le cinéma.

Ce n’est pas seulement un devoir de mémoire auquel répond Heperi Mita. Il montre l’impact de Merata dans l’histoire du cinéma néo-zélandais. Elle provoque une réelle révolution dans l’image cinématographique du pays : elle arrache la place due aux réalisateurs autochtones… Le cinéma māori ne cesse de se développer depuis, avec plusieurs festivals autochtones. « C’est elle qui les avait lancés ! »

"Je veux juste être moi, un aborigène"

Dans la même veine intimiste, c’est-à-dire autour des liens affectifs familiaux, mais surtout à travers une situation vécue de l’intérieur où les institutions font office de décor, le FIFO programme en compétition "In My Blood it runs", de Maya Newell. Encore une de ces réalisatrices étonnantes (tout comme certains réalisateurs d’ailleurs) que le FIFO a conviées. Dans les deux films de cet article, ce qui est présenté, c’est le point de vue des enfants : Dujuan, Aborigène de dix ans. Motivée par « le désir de changement social », la réalisatrice a montré « ce que c’est qu’être enfant dont la sombre histoire coloniale de l’Australie pèse sur les épaules et qui navigue dans un monde bi-culturel complexe »

Une communauté, un enfant....

« Au moment du tournage, 100% des enfants en détention juvénile dans le Territoire du Nord étaient autochtones. En Australie, de jeunes enfants de dix ans, comme Dujuan, peuvent être incarcérés. Ainsi, le plus grand défi de ce film était de soutenir la famille par crainte que leur enfant se retrouve dans ce système de détention. À plusieurs reprises, nous avons pensé que nous ne pourrions pas terminer le film en raison de l'issue horrible possible. », explique Maya Newell. Encore un documentaire qui s’inscrit dans le genre film d’impact, avec campagne de sensibilisation. Car c’est toute une éducation à refaire, au niveau des institutions !

L’aberrante réalité est la suivante : nous suivons Dujuan « à travers un système éducatif à l’occidentale qui n’est pas conçu pour lui, un système de protection de l’enfance menaçant de l’éloigner de sa famille, un système de police et de justice pour mineurs qui piège et torture les jeunes. » Est-ce la raison pour laquelle Maya Newell forge ainsi la forme de son discours cinématographique de manière originale ?

« Combattre les stéréotypes négatifs enracinés » qui réduisent les enfants aborigènes à « des échecs scolaires », alors que leur culture  est occultée ou dénigrée, n’est pas tâche facile. Dujuan « veut récupérer l’espace intérieur qui a été et est toujours colonisé et qui lui revient de droit – dans sa terre, dans son corps et dans son esprit »

Des voix aborigènes
Est-ce la dure réalité que vit l’ensemble des peuples autochtones d’Océanie qui pousse les réalisateurs à développer une éthique qui prône l’altérité dans leur travail et « à servir de pont à ces voix pour atteindre les spectateurs » ?  À quand un biculturalisme à part entière ?


Un article de   Monak et  Julien Gué

Tous droits réservés aux auteurs. Demandez leur l’autorisation avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.




vendredi 14 février 2020

avant-1ère fiction 17ème FIFO


"Oiseau de Paradis"à Tahiti


           En clôture du festival, tandis que se projetaient au Petit Théâtre et Salle Muriavai les "Coups de cœur"  du 17ème FIFO, le Grand Théâtre recevait les avant-premières, "Vaiora" en short-fiction et "Oiseau de Paradis" de Paul Manate. Le public tahitien a répondu présent et la Salle était pleine.
 

Après une présentation par Heirani Soter, animateur du staff FIFO, Laurent Jacquemin de la production locale Filmin et le réalisateur Paul Manate ont tenté avec diplomatie de faire parler la jeune tahitienne Blanche-Neige Huri, actrice principale du film. Que dire, en fait, tant qu’on n’a pu se découvrir à l’écran ? Et qu’alléguer sur son œuvre, quand la démarche du réalisateur s’en tient fort justement à accueillir l’impression du public ! 


… avec l’équipe Filmin Tahiti
Favorablement perçue par les spectacteurs, le soulignent les applaudissements finaux du public, cette soirée du 8 février 2020 s’est trop brusquement achevée, déplore la plupart des spectateurs apostrophés ensuite. En effet, beaucoup auraient voulu un débat. Mais le FIFO remballait.

Les fans de "Vaiora", eux aussi, prolongeaient leurs réactions sur le parking : la lauréate du Marathon d’écriture FIFO 2019, Itia Prillard, accompagnée du réalisateur Emmanuel Jean. Le film, s’inscrivant lui aussi dans la pure tradition culturelle polynésienne actuelle, s’attache au mode de transmission des pratiques : montrer exclusivement par le geste, regarder et… faire.


Un film aux parfums du pays

"Oiseau de Paradis", long métrage de fiction, soulève nombre questions dans la société polynésienne d’aujourd’hui. Écrit et réalisé par « un enfant du pays »,  il s’en dégage une atmosphère authentique. Tout autochtone y reconnaît - enfin ! - les images de sa Polynésie, la vraie : les couleurs, la façon de vivre, l’image qui associe sans transition beaux quartiers et bidonvilles, surpeuplement des logements kaina, ou populaires, et luxe des nantis et des parvenus. Pas de grands brassages superficiels, tels qu’ils nous sont donnés par les réalisateurs de fictions ou de séries originaires d’ailleurs et tournées ici. La touche typique polynésienne est vraie, parce que profondément ancrée dans le vécu du réalisateur.

Ce film, traité de façon mosaïste, balaye sans fioriture les différentes couches sociales qui y interviennent. Il pose des instantanés, une succession  d’images ou de séquences clés dont les intrigues sont résolues au fur et à mesure, à la manière des milieux tahitiens fortement cloisonnés. On n’explique pas ici, c’est culturel : on apprend en voyant l’autre travailler. Pour faire une parenthèse : ainsi le montre précisément "Vaiora" ; la jeune génération des cinéastes polynésiens étant d’accord sur ce point. Rythmiquement, la mosaïque active cette mise en suspense qui mobilise l’intérêt du spectateur et lui permet de se poser des questions… du moins, l’interpelle.


L'un des plateaux intérieurs...

C’est que l’"Oiseau de Paradis", n’est pas un film didactique, il ne nous impose pas une perception unique. Il n’y a pas que la technique des champs / contre-champs qui nous en avertisse.  Et si le film risque d’être diffusé dans le circuit "Art et essais", c’est à la fois pour le degré de réflexion vers lequel nous mène le scénario, que pour sa conception cinématographique. La lecture sémiotique de l’image même nous y invite : le film fonctionne sur une architecture complexe. Dans la même fiction globale s’insèrent d’autres histoires complémentaires, d’autres fils conducteurs qui au final se rejoignent.

Le pitch est des plus simples : mais il faut s’en méfier, sachons-le ! « Un jeune assistant parlementaire métis, amoral, Teivi… revoit un jour une lointaine cousine aux pouvoirs mystiques… qui peut le guérir » affirme-t-elle. Au-delà, c’est le monde du "piston " politique, des pots-de-vin et du clientélisme, de la corruption administrative, foncière et immobilière, des vigiles musclés à la solde des profiteurs, et la Polynésie en tient une liste des plus florissantes depuis la fin des phosphates (1966), le début des exploitations nucléaires et le boum de la défiscalisation immobilière…  Ce qui implique de la part du réalisateur un positionnement engagé loin d’être négligeable. 

Un peu d’image…
Le film, à travers les portraits antinomiques de Teivi et de Yasmine, leur interaction aussi, révèle l’influence de cette nature insulaire qui ne laisse insensible aucun résident. Il met en exergue la contiguïté de ces deux univers parallèles, le monde du jour et de la nuit :  du caché et du paraître, de la faune des malfrats qui installe ses usages en marge des asphalteuses… Vient s’y adjoindre l’image de l’inceste, fléau social bien tabou de notre société… 

Parti pris esthétique

Le traitement de la lumière est peaufiné à l’excès… Nous suivons le parcours des personnages en suivant le pointillé des lampadaires de la grande route, les réverbères des espaces boisés, les phares, les loupiotes qui décèlent casques d’écoute, lampe de chantier, bougies, lampes d’appoint, feux nocturnes,  néons des boîtes de nuit… et astre lunaire. Tout un jeu de clairs-obscurs signifiants de la situation particulière ou de son insertion dans la continuité du film.

L’action y progresse par éclipses. Le duo Teivi-Yasmina laisse sourdre, chacun dans son espace, sa part d’ombre… 


Teivi, alias Sebastian Urzendoxski et le réalisateur
L’aspect symbolique est omniprésent. L’image initiale du dancing avec Teivi se clôt sur la même chorégraphie interprétée par Yasmina : alors, qui est-elle, qu’elle vienne se fondre sur son image ?  Quelle est sa réelle filiation ? Une zone d’ombre que laisse ouverte le scénario. La tombe du père de Teivi laisse déchiffrer le nom très proche d’un certain Pouvanaa, le metua, le père du peuple polynésien, l’homme intègre… Teivi peut-il guérir ? …Et l’oiseau de paradis, figure mythique de l’être ailé qui se libère de ses soucis et entame une autre vie… Yasmina ?

Un certain mysticisme

La légende de Hina, la mangeuse d’hommes de Rurutu… apparaît au générique initial… Quelle symbolique lui accorder quand on sait que la légende de Hina surgit après l’arrivée des missionnaires sur cette île des Australes ? Celle de l’étranger, de la modernité qui dévore ses enfants ? Celle de la réincarnation du mal, dans la mentalité populaire, sous la forme des spectres de la nuit, de revenants.

Celle de la simple relation entre les insulaires avec la nature ? Celle de l’existence, attestée dans la population, des dons de clairvoyance ? Et qu’en est-il de ce don, s’il n’a plus aucune prise sur la réalité ? Bien des événements étranges se produisent dans le film : entre hallucinations, accidents de chantier, et surtout télépathie qui s’instaure entre Teivi et Yasmina… Est-ce une image de la justice, bien connue dans les dictons populaires ? Teivi a mis en danger la vie des riverains, il doit payer de sa vie… La symbolique de l’eau étant tellement prégnante ! Purificatrice, régénératrice, élément de permanence, de transmission, l’eau est aussi le lien qui enchaîne les héros à leur île, les relie l’un à l’autre.


… une salle pas vraiment noire !
Oui, Teivi est en train de changer… Est-ce un pur hasard qu’il se trouve, le même jour, dans l’hôpital où vient d’être admis sa jeune victime ? Teivi est amené à faire le point sur sa vie, à la suite des événements étranges dont le hasard n’est pas toujours absent. C’est intérieurement qu’il semble se remettre en question. Le paranormal est induit, même

La facture Manate 

Le film de Paul Manate n’est pas un divertissement grand public, ni un film de genre, mais un cinéma d’auteur. Un cinéma qui ne pourrait se soumettre à la pression des producteurs et des séries… « …Parce que tout n’est pas dit, tout n’est pas explicité, la perception n’est pas immédiate ». L’image est belle, évocatrice, dégage une atmosphère. Certains y voient une facture fantastique…

Effectivement, son image est resserrée, se débarrasse du superflu ; son scénario, des épisodes annexes. Les acteurs ou figurants présents lors de l’avant-première à Tahiti remarquent combien le montage a coupé dans la matière du tournage. L’œil du cameraman est prépondérant, pour une image forte qui tranche mais en même temps est nuancée.


Blanche-Neige Huri, alias Yasmina en action
Les deux rôles principaux, Sebastian Urzendowski, Teivi et Blanche-Neige Huri, Yasmina, sont tout en finesse. La marque Manate c’est de faire passer à l’écran l’étrangeté, sans caricaturer, tout en laissant aux personnages le champ large du naturel. Impressionnante, la jeune Blanche-Neige Huri pour sa première prestation à l’écran. Et chapeau à Sebastian, vu l’enjeu qu’il représentait dans cette fiction polynésienne !

Encore bien des choses positives à dire sur "Oiseau de Paradis"… dont les dialogues en catimini me renvoient, mutatis mutandis, à l’atmosphère nordique de Cris et chuchotements d’un certain Bergman… Il sort le 15 avril en métropole dans 10 salles…  



Un article de   Monak et  Julien Gué

         Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation des auteurs avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.