"Chim Soo Kung", l’énigme
Le FIFO,
embarquant en ce moment pour sa tournée dans les îles polynésiennes, essaime
avec sa provision d’images océaniennes. Le docu-fiction "Chim
Soo Kung - De Canton à
Tahiti" poursuit son périple auprès des scolaires…
La
communauté aux lointaines origines chinoises déclare humoristiquement, par la
voix de Roland
Sam,
à l’occasion du nouvel an chinois à Pape’ete : « qu’elle avait
appris, au contact des Polynésiens, à ne plus travailler 16 heures par
jour », comme à son arrivée dans la plantation d’Atimaono, il y a plus de
150 ans… Intégration réussie ? Car tel est le sujet…
Coup d’œil sur Atimaono
On pourrait le penser, car les collégiens
et lycéens présents aux premiers jours du FIFO, semblent avoir passé aux oubliettes
de la mémoire collective l’épisode du seul guillotiné de Polynésie
française : le fameux Chim Soo Kung… Une période de l’histoire qui
n’aurait pas retenu leur attention sur leurs manuels scolaires et qu’ils disent
découvrir grâce à cette projection ?
De même semblent-ils avoir totalement
effacé tout ressenti aux images de la décapitation du condamné. Mais… nous
sommes en public et c’est peut-être par le silence qu’ils exorcisent l’horreur
d’un tel châtiment.
Un sujet qui froisse ?
Présente
à cette projection scolaire suivie d’un débat avec le réalisateur Sandro Ly au
Petit Théâtre, je m’étonne qu’aucune intervention d’élève n’ait porté sur le
fond ! Pourtant un article publié par la Société des
Océanistes
en 1966
abordait la commission d’enquête de 1867 sur « un taux aussi élevé de la
mortalité chez des hommes encore jeunes », à cause « d’un rythme de
travail » journalier excessif. Ce qui n’est pas trop loin du
« blackbirding », dans la mesure où le retour de la première vague
d’immigrés chinois, n’a pas été assuré, comme le stipulait le contrat d’embauche…
Conditions
encore trop proches d’une servitude qui venait d’être proscrite, souligne
l’article : notamment « l’insuffisance des textes préparés lors de
l’abolition de l’esclavage dans les colonies en 1848 et il est évidemment
indispensable de régler d’une manière plus précise et plus efficace les
rapports des propriétaires avec les travailleurs coloniaux et de déterminer
strictement leurs devoirs réciproques… » Ce que relate explicitement le
documentaire.
Le couperet de la loi ! |
De
même, l’article traite, ainsi que le film, des péripéties cruelles de
l’exécution, consignées par le « greffier du Tribunal Criminel des États
du Protectorat » ; et plus tard, des « bannissements aux
Marquises » ou aux Tuamotu ; enfin, il évoque cette diaspora et cet
état d’esprit qui occulte « l’aversion » première envers les
travailleurs immigrés sur la « Terre Eugénie » pour la transformer en
« assimilation ».
L’exception et son éclipse...
Un
processus tout sourire et sans ride… qui se nomme métissage culturel… et auquel
se conforment les deux communautés sans faire de vague, sans
cicatrice
apparente, aujourd’hui encore. Pourtant tout commence pour le coolie par un
traitement d’exception : le voilà l’unique guillotiné de
Polynésie !
Dans
la réalité, Chim Soo Kung, mort sans progéniture, son héritage mémoriel ne fait
pas l’unanimité, même si son mausolée est connu au cimetière chinois d’Arue et qu’une stèle figure au temple
chinois Kanti à Mamao. Martyr pour les uns, anonyme pour ceux, et c’est la
grande majorité, qui ne descendent pas de cette première vague d’immigrés.
Les cruautés de l’histoire |
Effectivement,
ne subsistent que très peu d’éléments iconographiques. L’Association Si Ni Tong se charge de
rassembler le maximum d’archives. D’une part, elle retrace le contexte des
années 1869, d’autre part les retentissements de cet événement dans la
communauté chinoise.
La reconstitution historique
Face
à un contexte colonial laconique aux traces savamment escamotées, aux rares
archives : « une seule photo de lui pour 52 mn d’images ! »
et face à ce phénomène d’absorption propre à la culture insulaire, « où il
n’est pas aisé de faire parler les gens sur le sujet et où les avis divergent »,
constate Sandro Ly, « j’ai pris le parti de la reconstitution historique ».
Évidemment
une prise de risque, car « pour le casting ou pour trouver des Chinois vraiment
typés, il a fallu puiser chez les amateurs ; et puis reconstituer les
bâtisses de la plantation et cette fameuse guillotine, introuvable... Avec un budget
revu à la baisse ce ne sont que les conditions
techniques
de tournage qui en ont pâti. »
Tournage dans la vallée de la Fataua |
Pour
un thème aussi délicat que l’exécution publique sont occultés les ratés de la
machine à tuer : pas de réalisme mais la volonté de s’en tenir à une
fresque historique dont les pans s’estompent dans les brumes du passé pour les
coolies. Tout en se fondant sur la personnalité des décideurs de l’époque,
l’intransigeance du 8ème gouverneur, émile de la Roncière et l’implacable planteur écossais
naturalisé William Stewart, la partie fictionnelle les concernant relève de la
caricature : une soupape de sécurité qui avec les témoignages actuels
évite de trop noircir le tableau.
Quel regard ?
Sandro
Ly, dans un précédent documentaire, Les défunts de la perle du Pacifique, présenté au
Festival du film autochtone de Montréal en 2013, nous montrait déjà les
préoccupations quotidiennes qui allient les morts et les vivants. Avec Chim
Soo Kung, c’est encore la mémoire, la filiation, le devenir de lointains
ancêtres, les mythes qui s’y rattachent dont il rend compte…
Ce
n’est pas sans émotion que la saga du condamné nous touche. Elle nous renvoie à
une époque où les circonstances broient les autochtones autant que les
travailleurs migrants de la colonisation du Pacifique. Le film ouvre le
chapitre des dommages individuels et collectifs. Sont-ils collatéraux ou
fondamentaux ? Aux spectateurs et à l’avenir de l’expliciter.
Sandro Ly, réalisateur |
Chim
Soo Kung, sorti abruptement de l’anonymat, est-il un dévoyé ou un innocent, un
martyr ou un héros… La question est posée par ce documentaire-fiction de Sandro
Ly : connaîtrons-nous un jour toute la vérité ? Saurons-nous enfin
combien les communautés qui se côtoyaient ont été traumatisées par ces pages
brutales de l’histoire ?
Un article de Monak
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