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lundi 15 août 2016

Prune Cythère



Un fruit polynésien marginalisé ?

Plaisir des enfants des îles-de-la-Société, car elle pousse anarchiquement sur le bord des chemins, la prune Cythère se consomme encore verte ou couleur abricot quand elle est mûre.

Désignée communément sous le nom générique de vī tahiti qui s’applique plus particulièrement à la pomme Cythère, elle s’en distingue par sa taille et son noyau.

Une feuille composée pennée
Parmi les nombreux fruits de ces tropiques insulaires, la prune Cythère ne figure que rarement sur les marchés polynésiens. Cependant elle participe de la vie sociale, car à maturité elle est largement partagée entre voisins.

Dans la culture océane des archipels du Pacifique Sud, la convivialité est une valeur pérenne : pas de récolte individualiste dans les vallées. Le cadeau des denrées de la terre s’échange sans attente de retour ou contre un sourire. Ô peuple bienheureux !

Une variété indigène
Présent en même temps que l’implantation originelle de la population mā'ohi, le prunier de Cythère essaime au 18ème siècle, d’abord à la Réunion sous le vocable d’évi puis sous d’autres tropiques, notamment aux Caraïbes. L’une des rares espèces arboricoles à feuillage caduc en saison sèche, l’arbre peut atteindre une vingtaine de mètres mais est productif dès ses trois ans.

Des fleurs en panicules
En même temps que sa floraison en panicules blanches, d’avril à août, il perd ses feuilles composées pennées et alternes, passant du vert au jaune. La fructification, de septembre à mars en principe, peut chevaucher le stade floral.

Le fruit, ovale, d’environ 6 à 8cm, se présente en grappes à longs pédoncules et pendantes à mesure qu’elles grossissent. D’un diamètre de 3 à 6 cm, la prune Cythère est pulpeuse. Légèrement acide elle devient juteuse et de saveur musquée à maturité. Le noyau est fibreux, hérissé et piquant.

Un fruit « pour des prunes » ?
Se reproduisant souvent par semis spontanés, le petit fruit millénaire n’accuse pas actuellement une notoriété fulgurante en Polynésie française. Malgré des appels d’offre sous toutes les latitudes, l’Europe en particulier, pour sa purée ou son jus,  la prune Cythère ne s’inscrit même pas dans les 80% de la production fruitière locale. C’est l’archipel de la Société qui en fournit l’essentiel avec ses ananas, ses agrumes et ses pastèques. Mais c’est la république dominicaine qui l’exploite à l’international avec beaucoup de bonheur.

Des fruits en grappes
Pourtant, rituellement, il faisait partie du quotidien de ces navigateurs océaniens pour son fût et sa sève adhésive, dans la construction des pirogues à balancier. Quant aux drupes vertes, aux jeunes feuilles, à l’écorce aux vertus astringentes, aux racines et aux nouvelles pousses, elles entrent encore dans les compositions médicinales traditionnelles : en diurétique, en gargarisme (angines) et dans l’ordinaire journalier, pour les vitamines et les sels minéraux qu’elles dispensent. 

Après le CEP, et donc l’ouverture à la mondialisation, la prune Cythère a quasiment disparu des confiseries bon marché, avec le bonbon chinois, concurrencé par les sucreries chimiques occidentales.

Au petit bonheur de la maturation
Cependant elle reste encore courante en famille : en tranche avec du sel, finement goûteuse, je confirme. Elle entre aussi dans la confection des salades quand elle est ferme et verte et agrémente savoureusement les desserts. Quant aux tendres et minuscules feuilles de son toupet, elles aromatisent les entrées. Que de bouquets diversifiés s’en dégagent ! En Polynésie, manger ne se départit pas de charme olfactif.

La fièvre des Caraïbes
Sur l’autre façade du continent américain, du côté des Antilles, les Prin citè en créole, font la une des formules gastronomiques industrielles ou domestiques. Les jus de prune Cythère, les granites, les mousses et les marmelades font les délices des desserts. Ferme, croquant, mariné dans le vinaigre, le fruit devient condiment, en Asie où il peut être utilisé, cru, comme légume.

À peine mûr, cuit avec du sucre, le fruit entier se conserve dans son sirop. Épluché, en morceaux on en réalise des confitures. Séché, bien mûr, il acquiert les vertus du pruneau. Toute une variété de pâtisseries, tartes, génoises se distribue les sapidités de la prune Cythère.

Un noyau hérissé
La liste serait incomplète si n’était évoquée sa macération et sa mise en bouteille sous l’appellation Fruité des îles, un vin moelleux et sec de Martinique. Parfumer des alcools comme le rhum reste à votre discrétion, bien entendu avec gousses de vanille. Par ici, en Polynésie, j’ai entendu parler d’un cidre de prunes Cythère. Mais chutt ! C’est un secret de famille bien gardé. Quant aux eaux acidulées faites maison, avec un soupçon de sucre, quatre prunes pelées infusant, la nuit fait son office.

Une prune, un mythe ?
Dame nature polynésienne étant prolixe, il est encore de nombreux fruits clandestins et énigmatiques à dénicher au creux des vallées reculées. Le retour à la nature, mais aussi l’engouement écologique, continue d’alimenter les recettes-bio de ces explorations. Mais pas seulement. Le mythe de la fécondité végétale provient aussi de ce rythme climatique où aucune saison ne la fait hiberner.

Alors, le terme de Cythère pour une prune se confirme-t-il ? Bougainville en 1768 baptisa Tahiti du nom de Nouvelle-Cythère dans son Voyage autour du monde. En référence à l’île de Cythère, paradis voluptueux de Grèce antique, qui aurait abrité la naissance d’Aphrodite, déesse de l’amour…

De jeunes pousses qui mettent le bouquet
Mais ceci est une autre histoire… de fruit défendu. Et je ne me ferais pas « secouer les prunes », même pour une manzana de oro, une pomme d’or… autre nom de la prune Cythère sous d’autres cieux.



Un article de  Monak

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