Un fruit polynésien
marginalisé ?
Plaisir des
enfants des îles-de-la-Société,
car elle pousse anarchiquement sur le bord des chemins, la prune Cythère se
consomme encore verte ou couleur abricot quand elle est mûre.
Désignée
communément sous le nom générique de vī tahiti qui s’applique plus
particulièrement à la pomme Cythère, elle s’en distingue par sa taille et son
noyau.
Une feuille composée pennée |
Parmi les nombreux fruits de ces tropiques
insulaires, la prune Cythère ne figure que rarement sur les marchés
polynésiens. Cependant elle participe de la vie sociale, car à maturité elle
est largement partagée entre voisins.
Dans la culture océane des archipels du
Pacifique Sud, la convivialité est une valeur pérenne : pas de récolte
individualiste dans les vallées. Le cadeau des denrées de la terre s’échange sans
attente de retour ou contre un sourire. Ô peuple bienheureux !
Une variété indigène
Présent
en même temps que l’implantation originelle de la population
mā'ohi, le prunier de Cythère essaime au 18ème siècle, d’abord
à la Réunion sous le vocable d’évi puis sous d’autres tropiques,
notamment aux Caraïbes. L’une des rares espèces arboricoles à feuillage caduc en
saison sèche, l’arbre peut atteindre une vingtaine de mètres mais est productif
dès ses trois ans.
Des fleurs en panicules |
En
même temps que sa floraison en panicules blanches, d’avril à août, il perd ses
feuilles composées pennées et alternes, passant du vert au jaune. La
fructification, de septembre à mars en principe, peut chevaucher le stade
floral.
Le
fruit, ovale, d’environ 6 à 8cm, se présente en grappes à longs pédoncules et
pendantes à mesure qu’elles grossissent. D’un diamètre de 3 à 6 cm, la prune
Cythère est pulpeuse. Légèrement acide elle devient juteuse et de saveur
musquée à maturité. Le noyau est fibreux, hérissé et piquant.
Un fruit « pour des prunes » ?
Se
reproduisant souvent par semis spontanés, le petit fruit millénaire n’accuse
pas actuellement une notoriété fulgurante en Polynésie française. Malgré des
appels d’offre sous toutes les latitudes, l’Europe en particulier, pour sa purée
ou son jus, la prune Cythère ne s’inscrit
même pas dans les 80% de la production
fruitière
locale. C’est l’archipel de la Société qui en fournit l’essentiel avec ses
ananas, ses agrumes et ses pastèques. Mais c’est la république dominicaine qui
l’exploite à l’international avec beaucoup de bonheur.
Des fruits en grappes |
Pourtant,
rituellement, il faisait partie du quotidien de ces navigateurs océaniens pour
son fût et sa sève adhésive, dans la construction des pirogues à balancier. Quant
aux drupes vertes, aux jeunes feuilles, à l’écorce aux vertus astringentes, aux
racines et aux nouvelles pousses, elles entrent encore dans les compositions
médicinales traditionnelles : en diurétique, en gargarisme (angines) et
dans l’ordinaire journalier, pour les vitamines et les sels minéraux qu’elles
dispensent.
Après
le CEP, et donc
l’ouverture à la mondialisation, la prune Cythère a quasiment disparu des confiseries
bon marché, avec le bonbon chinois, concurrencé par les sucreries chimiques
occidentales.
Au petit bonheur de la maturation |
Cependant
elle reste encore courante en famille : en tranche avec du sel, finement
goûteuse, je confirme. Elle entre aussi dans la confection des salades quand elle
est ferme et verte et agrémente savoureusement les desserts. Quant aux tendres
et minuscules feuilles de son toupet, elles aromatisent les entrées. Que de bouquets
diversifiés s’en dégagent ! En Polynésie, manger ne se départit pas de
charme olfactif.
La fièvre des Caraïbes
Sur
l’autre façade du continent américain, du côté des Antilles, les Prin citè
en créole, font la une des formules gastronomiques industrielles ou
domestiques. Les jus de prune Cythère, les granites, les mousses et les marmelades
font les délices des desserts. Ferme, croquant, mariné dans le vinaigre, le
fruit devient condiment, en Asie où il peut être utilisé, cru, comme légume.
À
peine mûr, cuit avec du sucre, le fruit entier se conserve dans son sirop. Épluché,
en morceaux on en réalise des confitures. Séché, bien mûr,
il acquiert les vertus du pruneau. Toute une variété de pâtisseries, tartes, génoises
se distribue les sapidités de la prune Cythère.
Un noyau hérissé |
La
liste serait incomplète si n’était évoquée sa macération et sa mise en
bouteille sous l’appellation Fruité des îles, un vin moelleux et sec de
Martinique. Parfumer des alcools comme le rhum reste à votre discrétion, bien
entendu avec gousses de vanille. Par ici, en Polynésie, j’ai entendu parler
d’un cidre de prunes
Cythère. Mais chutt ! C’est un secret de famille bien gardé. Quant aux
eaux acidulées faites maison, avec un soupçon de sucre, quatre prunes pelées
infusant, la nuit fait son office.
Une prune, un mythe ?
Dame
nature polynésienne étant prolixe, il est encore de nombreux fruits clandestins
et énigmatiques à dénicher au creux des vallées reculées. Le retour à la
nature, mais aussi l’engouement écologique, continue d’alimenter les recettes-bio
de ces explorations. Mais pas seulement. Le mythe de la fécondité végétale
provient aussi de ce rythme climatique où aucune saison ne la fait hiberner.
Alors,
le terme de Cythère pour une prune se confirme-t-il ? Bougainville en 1768
baptisa Tahiti du nom de Nouvelle-Cythère dans son Voyage autour du monde.
En référence à l’île de Cythère, paradis voluptueux de Grèce antique, qui
aurait abrité la naissance d’Aphrodite, déesse de l’amour…
De jeunes pousses qui mettent le bouquet |
Mais
ceci est une autre histoire… de fruit défendu. Et je ne me ferais pas
« secouer les prunes », même pour une manzana de oro, une
pomme d’or… autre nom de la prune Cythère sous d’autres cieux.
Un article de Monak
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