Saga d’un cracker océanien
Au hasard des
bateaux cinglant le Pacifique durant le dernier tiers du XXème siècle le Sao, biscuit
salé, d’abord destiné aux longs courriers maritimes en tant que « biscuit
de marins » pour sa conservation, aborda les îles du continent océanien.
Il
connut un regain de popularité pendant les hostilités mondiales de 1914-18 et participa
du paquetage des « poilus », puis du menu des populations civiles
comme « biscuit de guerre ». Depuis, il est entré dans la composition
des petits déjeuners, goûters et en-cas du soir typiques de Polynésie
française. Il est encore largement consommé.
Un mitron pionnier |
Les générations Sao, ce n’est pas un
mythe. Une bonne partie de la population a été élevée au Sao. Les Calédoniens
plaisantent ainsi : « Deux
collés au beurre trois pétés dans le bol ». Plus de 50 ans qu’il est importé
régulièrement et qu’une succursale des biscuiteries Arnott’s s’est implantée
dans la vallée de la Titioro à Tahiti.
Mais, à qui devons-nous ce fameux cracker
d’origine australienne qui a remplacé le dîner du soir dans les milieux
défavorisés ?
Un certain William Arnott…
Écossais,
William Arnott, apprenti
boulanger, immigra sur le littoral d’Australie méridionale à Maitland (Nouvelle-Galles
du Sud). Il s’essaya sans grand succès, comme prospecteur d’or, tout en
développant sa petite boulangerie-pâtisserie. Elle fut emportée par une
violente inondation. Le destin
du Sao aurait pu s’arrêter-là, brusquement submergé par les flots. Mais c’était
sans compter sur la détermination de son inventeur. Ruiné, il s’installa à
Newcastle en 1865, grâce aux prêts de ses amis.
La
marque Arnott’s était née. William
Arnott rebondit avec son label « Chez Arnott ». La petite boutique de
« créations biscuitées », fut transformée en manufacture de
pointe ! L’entreprise, utilisant alors des machines à vapeur, se
délocalise pour la capitale économique, Sydney, s’assurant ainsi une prospérité
incontestable. Pour la petite histoire, grâce à sa ténacité et à la qualité de
ses produits, mais aussi en raison d’une intégrité indéniable, William
remboursa jusqu’à ses dernières dettes. Et c’est sans conteste qu’il joua un
rôle social.
Maitland sous les eaux en 1893 |
Aujourd’hui,
outre l’aura de ses fondations philanthropiques, le genre craquelin est
florissant. Il se diversifie pour les tout-petits. Il agrémente aussi les
apéritifs et les entrées froides. Mais cette étape démarre une autre ère, celle
où les habitudes nutritives se calquent sur le mode américain, avec sa scorie
de sauces froides toute prêtes et grassement dosées. Il bénéficie de
l’introduction de la tomate et de la salade grâce aux cultures hydroponiques locales,
ce qui constitue un plus. Mais il est à déplorer qu’il participe du grignotage
constant, de la surnutrition et de l’afflux de condiments peu naturels implantés
à foison.
Le Sao à Tahiti et ses îles…
Revenons
à ces générations-Sao. Prenons l’exemple de l’une des Îles-Sous-le-Vent où
l’économie est chamboulée et ne profite pas des effets du CEP, sauf pour
l’intensification des importations et la récession des cultures vivrières de
base (café, coprah, légumes divers et farine de uru). Là où la vanille,
le taro et le coprah rapportent moyennement pour une famille nombreuse d’agriculteurs,
nichée à flanc de coteau à concurrence d’huile de coude et de genou, le Sao est
relativement bon marché. Il a donc engendré une nouvelle attitude alimentaire. La
grand-mère de Lola avait ses « recettes » faciles pour tous les âges.
Lola, amie raromata'i (originaire de Taha’a), ne jure que par les
carnets de cuisine jamais écrits de sa grand-mère.
Adaptée
aux jeunes scolarisés et aux collégiens qui n’ont que le temps de se réveiller,
d’avaler un petit déjeuner sur le pouce avant de rejoindre la route et d’attraper le truck
(bus) qui les emmène à l’école, voici la première : Le matin, dans un
bol de lait froid que vous pouvez sucrer selon vos moyens, brisez en petits
morceaux les Sao et laissez-les absorber le liquide. Prenez le temps de voir le
niveau de lait se réduire. Le contenu ressemble davantage à une anse dont les
icebergs se chevauchent. Mélangez encore. Plus c’est épais, plus c’est
nutritif. Dégustez à la petite cuiller.
Le Sao au lait |
Au
cours de la journée, à sec, le Sao est un coupe-faim quand vous posez la pioche
ou le coupe-coupe. On peut le tartiner de punu pua'atoro (corned beef) directement
sorti de sa boîte de conserve. Il peut accompagner une banane ou tout autre
fruit. L’opposition salé-sucré attise les papilles gustatives.
Pour
les écoliers, c’est un goûter reconstituant avec une compote de mangues ou
toutes sortes de confitures tropicales (ananas, fruit de la passion, goyave,
tamarin, citron vert, corossol...). Tout dépend des ressources de votre fa'a'apu
(jardin potager). Les crèmes à tartiner sont un luxe de fête et hors-de-prix. Et
si la récolte est conséquente, le miel est le bienvenu. Mais il se fait rare du
fait des pesticides qui ont décimé l’espèce des butineuses.
Le Sao au café |
En
période de vaches maigres, le Sao trempé dans l’eau sucrée est un ersatz de
tout repas digne de ce nom.
Consommé
froid, il épaissit ces sortes de soupes
fraîches de fin de journée chaude. En quelque sorte, l’équivalent du mijo
traditionnel berrichon. Économique, rapide et nourrissant. Les paysans d’antan,
sous toutes les latitudes, possédaient bien des secrets !
Le
soir, après le coucher du soleil, dans un café chaud, il donne un coup de fouet
aux travailleurs qui s’offriront un petit déjeuner copieux le lendemain, comme
il est de coutume.
Petite mise au point
Les
véritables générations-Sao se situent au-dessus de la trentaine. À une époque
où ce mode alimentaire participait d’une certaine austérité. Le Sao était doté
d’une sorte d’exclusif. Pas de fioritures. Bien sûr, il mettait en veilleuse le
repas plantureux traditionnel du matin. La génération qui suit tire avantage
d’opportunités et de tentations nutritionnelles, teintées plus particulièrement
de gastronomie asiatique, si elle vit sur l’île capitale, Tahiti. Mais elle
souffre d’un déséquilibre nutritif compensatoire qui se solde par une tendance
au surpoids. Véritable fléau qui touche bon nombre d’enfants !
Alors,
que vous dévoiler sur ce cracker rectangulaire dont l’aspect global n’est pas
uniforme ? Mat de croûte et sec de peau, il est d’un goût tirant sur la
neutralité. Sa légèreté pondérale s’allie à sa vertu de pain complet. Craquant,
croquant, il est plaisir des dents. Il se fait taiseux s’il est bien imbibé. Il
est pratique, se glisse facilement dans un sac ou un cartable. Et dans la
mémoire de la génération-Sao, il fait office de friandise affective, liée à
l’enfance.
Sao, un plaisir des doigts |
Une page de l’histoire est tournée. L’épisode Sao
entre dans un nouveau cycle. Comme le riz, intronisé à partir de la
cohabitation asiate, il fait partie du quotidien. à l’encontre de ce qu’on pourrait attendre d’un ingrédient
culinaire, il se banalise dans la plus grande des discrétions.
Un article de Monak
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