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jeudi 30 novembre 2017

"Te Reo Tumu"



Futur des langues polynésiennes

Signé Cybèle Plichart, "Te Reo Tumu, la langue maternelle", le court-métrage choc en ce mois de novembre 2016, poursuit « son combat pour la sauvegarde du véhicule de l’imaginaire et de l’identité du peuple polynésien » : les langues mā'ohi.
  
Speakerine à Polynésie 1ère, la réalisatrice, diplômée en études cinématographique et en langue mā'ohi, boucle son film dans l’urgence pour célébrer "La journée de la culture et des langues polynésiennes" (le 28 novembre).  Ficelé en reportage rigoureux, efficace, suite au cri d’alarme lancé par Jacques Vernaudon, maître de conférences en linguistique générale et océanienne, il crée l’événement de ce début de saison d’abondance : "si on ne fait rien, dans une génération nous aurons affaire à une langue morte".

Les langues polynésiennes sur le plus petit des Continents…
Le documentaire vit sa vie, après avoir été sélectionné au Off de la 14ème édition du Festival International du Film Documentaire Océanien (FIFO), à Tahiti. Toujours disponible sur la toile, il va pouvoir fêter son premier anniversaire.

Le fil rouge de l’enfance
Comme pour permettre au spectateur de reprendre son souffle face à cette mort imminente, la réalisatrice offre, en guise de fil conducteur, le vécu du jeune ’ōrero Vinitua, praticien brillant de l’art oratoire en Reo tahiti : au sein de sa famille aux Tuamotu, à Tahiti et à l’école. À 9 ans, il est représentatif de cette tranche d’âge qui se trouve au croisement du parler (pa'umotu) de ses arrière-grands-parents, de la langue véhiculaire tahitienne enseignée à l’école et de la langue officielle, le français.

Mais tous les enfants ne sont pas plurilingues comme lui. Beaucoup ne bénéficient pas du programme scolaire ECOLPOM (école Plurilingue en Outre-Mer), implanté depuis 2009.


Quand la langue n’attend pas le nombre des années… Vinitua

C’est la génération de ses aînés, des teenagers aux grands-parents, qui a subi cette vague de déculturation, au cours même de leur scolarisation ! Ce qui déclenche parmi les Associations culturelles ou chez les jeunes artistes, la décision de réagir… de se réapproprier au plus vite la langue originelle. La Troupe de Danse Manahau l’exprime ainsi que son ressentiment dans un spectacle « L’outrage du silence », en langue tahitienne bien sûr…

Vol au-dessus d’un malaise existentiel
Amorcé par une plongée rapide jusqu’au récif de Tahiti et achevé par un coucher de soleil sur le port…le court-métrage de Cybèle Plichart, conduit avec précision, se révèle par un rythme résolu et fluide. Après une séquence de micro-trottoir, il prospecte dans les différentes couches de la population les symptômes du mal-être. La caméra explore, en poussant les portes de ces structures administratives et culturelles sensées sauvegarder la langue primordiale de la culture, l’entretenir et la propager dans l’ensemble des archipels de Polynésie française.

Elle débroussaille en parallèle les différents aspects d’une langue qui s’appauvrit, faute d’utilisation et d’habitude au quotidien et établit sans état d’âme un état des lieux consternant. Car, remarquons-le, Cybèle est vraiment une professionnelle de l’image : elle maintient le direct en permanence, sans jamais s’incruster.

« Te Reo Tumu » l’intégrale…
Elle met en exergue la parole, le ressenti, de tout un chacun, avec beaucoup de respect, sans jamais intervenir. Exercice de style tout à l’honneur du documentaire tel qu’il s’entend. Au spectateur, ensuite, de se faire son opinion.

Le bémol !
À l’évidence, la langue est véhicule identitaire… porteuse de la relation au monde, à la nature, de l’imaginaire et de sa poésie, des origines et de la réalité culturelles, du rapport à l’océan… Les arcanes de l’histoire franco-polynésienne ne sont pas innocents… Rappelés à plusieurs reprises, en remonter le cours montre que la réappropriation de la langue n’est pas si simple.

À Tahiti, qui regroupe l’essentiel de la population grossie des différents exodes économiques, plus que dans les archipels, « les locuteurs sont passifs, baignent dans la langue, mais ne pratiquent pas »

Petit rappel historique concocté par « L’outrage du silence »
Le concept est lâché : ne pas parler est « une infirmité ». Flora Devatine l’exprime en un sentiment de culpabilité dans sa « Lettre à mes enfants », bilingue, lue par Chantal T. Spitz : « Pardon de ne pas vous avoir parlé en tahitien… de vous avoir privés… de l’accès à mes ancêtres qui sont aussi les vôtres… ». Mais le remède est déjà tangible : « verbaliser pour guérir ».

Le désamour…
Si la dimension historique, linguistique, anthropologique est traitée dans le film, Chantal T. Spitz, figure essentielle de la littérature polynésienne et co-fondatrice du Mouvement et des publications « Littéramā'ohi », déplore que les aspects psychologiques de cette perte n’apparaissent pas.

Dans l’interview* qui suit l’écrivaine évoque, de manière flegmatique, cette « intériorisation et cette épidermisation du complexe d’infériorité transmis par la colonisation »… ainsi que sa traduction linguistique actuelle, par une hiérarchisation des parlers, des modes de vie, des valeurs…

Refouler sa langue : « une violence »
Effectivement, nous sommes en situation où les ressortissants des « sociétés vidées d'elles-mêmes » ont intégré et reproduisent inconsciemment le « mode d’appropriation symbolique du monde » du dominant, jusque dans sa manière d’être, de faire, de se nourrir, etc.

Un tournage, une aventure…
Cybèle Plichart, se prêtant à l’interview pour l’ouverture du FIFO 2017 dont l’extrait* suivant montre le moment fabuleux où s’instaure un dialogue impromptu avec Chantal Spitz, résume son rôle de réalisatrice à un « connecteur ».

Sans aucune fatuité, elle ne prétend pas avoir accompli œuvre exceptionnelle. Elle axe ses réponses autour de ce déclencheur « coup de cœur », et ne tarit pas sur la richesse du cadeau que lui ont offert tous les interlocuteurs visibles à l’écran. Et c’est cette chaleur humaine qui n’a cessé de lui provoquer un surcroit d’émotion à chaque diffusion. 

Un petit ou grand coup de langue ?
Les solutions existent. Déjà la prise de conscience et les initiatives se multiplient, dans les écoles qui se servent du film comme d’un outil pédagogique… Mais surtout ce qu’il en ressort, c’est cette reconnaissance d’avoir traité d’un sujet épineux, et en quelque sorte, d’avoir officialisé cette réhabilitation de l’intégrité individuelle et collective.

Et maintenant ?
Près d’un an plus tard, Jacques Vernaudon invite encore les adultes à dynamiser la pratique de la langue tahitienne, à encourager les jeunes à produire en langue maternelle : car « s’ils ne produisent pas, ils ne pourront pas transmettre ».

Langue maternelle, langue natale, celle de la communauté, celle des racines, celle qui se transmet avec le lait… à ne pas confondre avec langue de la patrie, langue nationale… un distinguo qui n’est pas sans conséquences !

« Le coquillage, symbole d’une punition pour parler Tahitien » in Manahau
à n’en pas douter, les jeunes bilingues font preuve d’une maturité incontestable. Pour le mot de la fin, ce ressenti de Vinitua : « La perte du tahitien, ça me désole : c’est comme si quelque chose en moi allait mourir… »


Un article de   Monak

NB* : Que le lecteur veuille bien me pardonner, mais je ne pouvais renoncer de vous faire partager en direct ces moments d’échanges (au point presse du FIFO 2017) avec Chantal & Cybèle : l’acoustique est déplorable… mais surtout, mon appareil a vérolé la captation. Nous nous sommes donc rabattus dans ces deux vidéos sur un montage-photo, en préservant l’authenticité des dires des deux interlocutrices. Merci de votre bienveillance.

Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation de l’auteur avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.

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