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Le nouveau roman de de Monak à lire absolument

lundi 6 juillet 2015

La Fautaua, une vallée de Tahiti


Vagabondages en solitaire

Il était une fois, une vallée : La Fautaua. De verdure et de transparences sous les éclats du soleil, d’ombres et de ramées… de pétales fringants en couleurs et en parfums, de bruissements d’ailes sous la canopée tropicale, ainsi se révèle ce brin de rivière indomptable et sauvage.

Il n’est qu’une manière de l’aborder, en remontant son cours, car les cimes volcaniques la rendent inaccessible. Une seule façon de la découvrir : avec l’autorisation de la Société Polynésienne des Eaux et de l'Assainissement (SPEA), concessionnaire de la vallée-haute, quand elle ouvre son portail au public, fin mars. C’est après la saison chaude balayée de pluies, quand sont déblayées, balisées et consolidées ses pentes ravinées.

Une barre d’estuaire mouvementée
Où trace-t-elle ? Au nord-ouest de Tahiti. Elle sépare Papeete, rive gauche, de Pirae, rive droite. Tantôt large, tantôt étroite, son cours rapide se fraie entre roches et arborescences.

Elle  serpente sur une bonne douzaine de kilomètres. Sa profondeur varie entre des bassins de plusieurs mètres, des rapides, des tronçons paresseux, des gués et… sa fameuse cascade initiale de 120 m, la 28ème des plus hautes du monde !

Tout près du ciel de ses sources.
Vous ne pouvez la suivre qu’à pieds. D’abord librement, dans sa partie littorale habitée  en empruntant le chemin riverain. Son petit estuaire tumultueux fait face à la passe Taunoa qui lie le lagon au Pacifique entre les récifs coralliens. Ensuite, en amont du quartier industriel de Titioro, là où, captée par la station, elle assure le ravitaillement en eau de la capitale. Vous pouvez la poursuivre jusqu’à sa source, entre les monts Aora’i (2066m), Marau (1493m) et Te Tarao Mai’ao (1323m).

C’est une randonnée qui demande un peu de souffle. La dénivellation n’est pas des plus bénignes ! Mais, à l’instar de la rivière qui se laisse voir, qui se livre, vous vous sentez tel que vous êtes : insignifiant, lilliputien. Votre présent semblable à son parcours : des millions de gouttelettes qui s’assemblent et s’enfuient.

 
La source vive de Papeete …
A son contact, votre perception se décuple. Vous apprenez à vous confondre avec elle : maillon de la mémoire, de la nature, des vivants. Votre méditation solitaire se comble de présences. C’est elle qui imprègne vos sensations, vos sentiments ; elle, qui induit vos émerveillements et vos songes.

Préservée mais pas vierge
La Fautaua jouit du privilège d’une sauvegarde écologique du fait de son rôle de pourvoyeuse en eau potable. Ce n’est pas le cas pour la trentaine de rivières qui irriguent la portion la plus importante de l’île, Tahiti Nui. L’agrément des bains en eau douce  attire les insulaires qui ne se montrent pas toujours soucieux de l’environnement. De plus, elles servent de carrières d’extraction de graviers, comme d’utilisations hydroélectriques ou industrielles, voire de dépotoir à ordures.

La vallée ne se compte pourtant pas au nombre des vierges. L’histoire s’est chargée de la violenter. 1846 : une rébellion tahitienne, appuyée par les Anglais, s’oppose à la France. C’est sur le site de la Fachoda, entre les crêtes, que l’amiral Bruat et ses 65 hommes, « prennent à revers les insurgés ». Le fort, ainsi nommé 52 ans plus tard, fut destiné au repli en cas de conflit. Il n’en reste qu’un pan de muraille…

Un fort, La Fachoda,  maintenant en ruine
C’est de ce point de vue, nommé Belvédère, à quelques 390 mètres au-dessus et face à la cascade de la Fachoda, que nous allons commencer notre promenade, en côtoyant logiquement le cours de la rivière, de son point culminant à sa fusion avec la mer…

« Une rivière c’est la vie »
« Une rivière, c’est la vie » : c’est ce que conçoit, éprouve et teste Danny Pittman, héritière de l’esprit des vallées du fenua, à l’unisson avec celle où elle vit, la Papeiha - Vai'iha. Surtout quand elle est limpide, quand, dans ses transparences aux reflets de jade et d’émeraude, se mire le dais céruléen du ciel et percent les rayons frangés à travers la frondaison.

Au faîte de la Fautaua
Au-dessus des futaies se dressent les sommets dentelés et abrupts. Sur le raidillon qui mène à mi-cascade la voie est moussue, étroite, coudoie le rocher humide d’un côté, l’à-pic de l’autre… enjambe les arbustes dessouchés, se faufile sous les troncs, se respire l’air vif des cimes. Elle batifole parmi les essences mêlées, innombrables.

La pente est ardue, la descente, un tant soit peu acrobatique, se cramponne aux cordes. Juste pour un tout petit passage. Cédez ensuite au plaisir de musarder… de sentir la forêt vous envahir de ses pulsations.

Encordée sous la muraille du Fort
Ici, la fête des corps : pour qui aime la pureté de l’air, le silence pénétrant de la nature et le murmure de la forêt. Ni agressif, ni monotone, le parcours un peu gymnique stimule les muscles endormis habituellement, vous fait retrouver votre élasticité et la joie saine des gambades. Aventurier de la beauté, gorgez-vous de sérénité, d’impressions et de spectacles.

Contemplatif-actif, votre effort est récompensé par la harpe floutée de la cascade. Puis, votre petit nécessaire et vos chaussures sur la berge, laissez-vous glisser sur le « toboggan » qui mène aux vasques « creusées dans les orgues basaltiques ». Une baignade si fraîche qu’elle vous tonifie à souhait ! Les frileux la diront glaciale ! Retrouvez votre âme d’enfant.

Le rideau irisé de la cascade
Les bassins encaissés donnent sur la trouée d’une nouvelle chute ; la cascade continue. La sente est escarpée puis déclive en douceur jusqu’au pont de Tearape.

La mère nourricière
Ne vous alarmez pas, si vous croisez le petit scinque multicolore à queue bleue… Du vif-argent dans les veines mais inoffensif ! Ce n’est pas comme son ancêtre, le lézard géant de la Fautaua. Mais ceci est une légende.

Aux temps anciens, quand les Tahitiens vivaient dans les grottes de la vallée, ils rapportaient de l’eau de mer dans des bambous pour assaisonner leurs aliments. Une femme ramena un œuf énorme qui vit éclore un gigantesque lézard. Très doux, il fut adopté par la famille.

Lézard à queue bleue au pied du mape*
Lors d’une saison particulièrement sèche, les parents, partis en quête de fe’i* à cause de la disette, laissent leurs deux enfants sous la protection du reptile. A leur retour, ils eurent la douleur de découvrir que la bête les avait avalés. Le grand mo’o (lézard), pour fuir leur colère, se jeta dans le vide.

 Ecrasé au pied de la falaise du mont Aora’i, sa queue se planta dans le sol et donna naissance à cette espèce de bambous cassants, dont on découvre encore le massif, plus bas.


L’eau, pourvoyeuse de vie…

Ainsi que le rappellent les balises, la nature est prodigue : « L’eau se mange », sous toutes ses formes végétales. Nutritives ou médicinales, les variétés occupent tous les étages du panorama : à fleur d’escarpement, sous le moindre buisson, à portée de main, en hautes tentures arborescentes.

Riante, la Fautaua…
De sautillante, elle devient riante, s’étale et se complaît un moment à folâtrer parmi les herbes, à se rassasier de lumière, avant de quitter l’emprise des montagnes et de rejoindre la compagnie des humains.

Pimpante la vallée…
Mais la Fautaua est capricieuse et elle retrouve ses habitudes de foreuse. Elle s’enfonce à nouveau entre des berges resserrées. Au début, elle se laisse franchir par des passerelles bucoliques, puis en aval, elle disparaît sous les ponts de la ville et entre des berges artificielles empierrées ou bétonnées, tout en maintenant un « couloir écologique » succinct.

Et elle termine son cours entre des fare* et des Cités populaires qui y déversent leurs eaux polluées puis une lisière de villas cossues avec vue sur lagon, enserrant les maisonnettes de pêcheurs.

Des petits ponts de bois aux chemins de halage bitumés
La vie reprend ses droits… comme elle peut. Sous les ponts, le sillage des rats d’eau, striés par le chant de ces coqs perchés haut. Et pour rêver encore aux temps anciens et à cette fameuse origine de la capitale, les petits paniers séchant nous rappellent les corbeilles d’eau.

Pape’ete* ou corbeille d’eau, nom originel de la capitale polynésienne, « en référence à ces récipients utilisés jadis pour recueillir l'eau aux sources qui jaillissaient dans les jardins du palais Pomare », vous convie à imaginer. Corbeilles tressées contenant des calebasses ? Ou simples paniers au nattage serré ?

L’eau, le panier, le coq : un mode de vie
Ne nous y trompons pas. Rien ne peut plus être pêché dans la Fautaua. Il n’est pas non  plus recommandé de s’y tremper à proximité de concentration d’habitat, comme partout ailleurs.

Restent les petits artisans pêcheurs, les hommes de la maison… qui se lancent dans le lagon avec leur va’a* de fortune quand la houle n’est pas trop forte. Chômage et misère obligent.

L’estuaire (à gauche) vu des pêcheurs
Les poissons frétillants et comestibles des vasques de l’amont sont loin derrière nous. La Fautaua pourra-t-elle reconquérir son domaine ou se laisser dépérir comme un animal en captivité ? Là réside le dilemme de la vallée.

… et rebelle !
Si petite, si fragile, si menacée, la rivière décuple son régime, se déchaîne à chaque saison des pluies. Elle charrie des tonnes de troncs et de terre. Eboulements, envasements, ravinements n’épargnent que les riverains de son cours littoral, grâce aux accotements.

Une vallée « chocolat » en crue
Est-ce la colère ou l’érosion qui la rend « chocolat », comme on dit par ici ? Elle n’a pas été détournée mais elle déborde et arrache tout sur son passage.

Elle souffre de transmettre des germes, des infections et des épidémies.

« Une rivière retrouvera toujours son lit », nous commente une fatu fenua (propriétaire terrienne), enfant du pays.

Une  randonnée tranquille
La sagesse ayant parlé, il est d’autres voix que je ne pourrais oublier en cette rêverie de promeneuse initialement solitaire. De jeunes inconnus qui solidairement m’ont offert leur protection sur les hauteurs à cabris.

Les mômes des quartiers populaires qui m’ont aidée à remonter mon vélo. Les pêcheurs qui ont partagé un petit moment de discussion.

Le gardien de la vallée
L’esprit des fils de la vallée souffle encore de façon bienfaisante. Nous sommes en terre polynésienne. Hospitalité tout sourire bien ancrée dans la culture !

La Fautaua est à leur image et vice versa. Alors, confions-la au gardien de la vallée !


Un article de  Monak

Glossaire :
*mape : sorte de châtaignier tropical
*fe’i : banane plantain
*fare : maison traditionnelle en bois et végétaux ; dans les quartiers populaires, les matériaux sont la tôle, le bois de récupération et le parpaing.
*pape’ete : pape signifie eau ; ete signifie corbeille en reo tahiti (langue tahitienne)
*va’a : pirogue à balancier polynésienne.

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