Naissance de la littérature polynésienne
En cinq
décennies, l'écrit a pris place dans la société polynésienne. En ce début de
troisième millénaire est née une littérature spécifiquement insulaire.
C’est
pour des raisons climatiques et environnementales que les Polynésiens n’ont pu
développer d’écriture. En
Polynésie française, aucun végétal ne permet la fabrication d’un
papier qui survive à l’extrême humidité du climat, et la roche volcanique, trop
tendre, ne résiste pas à l’érosion.
Premiers écrits sur la Polynésie
Jusqu’à
la fin des années 1960, la « littérature polynésienne », de Bougainville à
Bernard Moitessier, se compose presque exclusivement d’écrits des voyageurs, de
scientifiques et de missionnaires.
Historiquement,
le livre le plus ancien portant la signature d’un Polynésien est la traduction
de la Bible en reo Tahiti* (1838) par le missionnaire Britannique Henry
Nott et Tuahine, originaire lui de Raiatea.
Ernest Albert Teriinavahoroa Salmon |
A
notre connaissance, la toute première œuvre due à la plume d’un Polynésien est « L’île
parfumée », le recueil de poèmes d’Ernest Albert Teriinavahoroa Salmon
dont le manuscrit a été découvert tout récemment chez un bouquiniste parisien et
publié en 2013 par la revue littéraire polynésienne Littérama’ohi.
1962
: l’installation
du Centre d’essais du Pacifique provoque un courant d’intérêt qui va
se traduire par une augmentation sensible des publications parlant de la
Polynésie, mais rigoureusement rien d’écrit par des Polynésiens…
Sous les pavés : la plage !
1968
: reviennent au fenua** de jeunes gens ayant terminé leurs études en
France et s’étant imprégnés de l’ambiance d’un célèbre mois de mai… Ils ramènent
dans leurs bagages une énergie folle et des idées qui vont changer la société
polynésienne.
C’est
dans cette effervescence que sont publiés les premiers auteurs locaux. Il
s’agit de poèmes. Si Henri
Hiro (dans toutes les mémoires polynésiennes) est considéré comme un
précurseur et une référence, les deux premiers Polynésiens à avoir été édités
ont été oubliés. Ils s’appelaient Charles Manu-Tahi et René Shan Sei Fan. Leurs
œuvres poétiques, publiées dans les années soixante, sont hélas aujourd’hui
introuvables.
Henri Hiro : le poète guerrier polynésien |
Henri
Hiro est incontestablement l’un des principaux moteurs de l’appropriation de
l’écrit par les Polynésiens. Il répétait avec obstination : « Que tu le
fasses en tahitien, en Marquisien, en Paumotu*** ou en Chinois n’a pas
d’importance. Ce qui compte, c’est que tu écrives avec tes mots ce que tu as à
dire. »
Mais
la première œuvre littéraire de fiction signée par un auteur polynésien n’est
publiée qu’au début des années 1980. Il s’agit du recueil de nouvelles Vai
de Rai Chaze.
Les années charnières
Les
années 1980 érigent deux pans fondamentaux de l’univers littéraire polynésien.
D’abord, la naissance de maisons d’éditions locales qui vont s’attacher à
publier des œuvres écrites en Polynésie pour un public polynésien. Les deux
principales ayant survécu sont : Au Vent des Îles et la
maison Haere Po.
Au
cours de cette période, bien rares sont les ouvrages portant une signature
polynésienne. Cependant, quelques auteurs autochtones commencent à montrer le
bout de leur plume.
Jean-Marc Pambrun : l’écriturien |
Ce
n’est que dans la deuxième moitié des années 1990 que paraissent des ouvrages
importants signés par des auteurs locaux. Celui qui fait le plus parler de lui
est L’île des rêves écrasés de Chantal Spitz, une œuvre de fiction
fortement autobiographique et porteuse d’un discours identitaire revendicatif
très puissant. Le lyrisme violent et langoureux de cette écriture surprenante,
pour ne pas dire dérangeante, annonce quelque chose d’essentiel qui ne laisse
personne indifférent.
Dans
le même temps, des auteurs importants et prolifiques, tel Jean-Marc Pambrun, sont
obligés de publier leurs œuvres à compte d’auteur.
L’avènement du troisième
millénaire
Les
années 2000 voient l’avènement d’une littérature spécifiquement polynésienne.
Plusieurs événements majeurs se produisent, mettant en avant la richesse du
potentiel littéraire polynésien.
2001
: sous l’impulsion d’éditeurs polynésiens menés par Christian Robert naît le
premier salon du livre « Lire en Polynésie ».
Le vingtième opus de la revue Littérama’ohi |
Dans
la foulée de ce salon, en 2002, un collectif d’écrivains locaux crée une revue
littéraire semestrielle consacrée aux auteurs polynésiens afin qu’ils trouvent
un espace de parole et qu’ils soient enfin publiés : la revue Litterama’ohi qui en
est aujourd’hui à son vingtième numéro. Sans parler des hors-séries comme
l’ouvrage déjà cité d’Ernest Salmon.
2003
: les Éditions Haere Po publient le premier roman d’une jeune Tahitienne,
Titaua Peu. Le grand petit livre, Mutismes, va marquer profondément les
esprits, au point qu’il sera réédité trois fois en un an ! C’est le premier
roman de totale fiction publié par un écrivain polynésien.
Un salon de lecture à la maison de la culture Te Fare Tauhiti Nui |
Dès
lors, la machine s’emballe. Les Polynésiens n’ont plus honte de leurs mots, et
les manuscrits sortent des tiroirs.
2007
: paraît le fantastique roman de Moetai Brotherson, Le roi absent.
Avec lui, la fiction polynésienne acquiert ses lettres de noblesses et s’ouvre
les portes de l’exportation.
Ce
panorama ne serait pas complet sans citer la magnifique pièce de théâtre de
Jean-Marc Pambrun, Les parfums du silence, primée au Salon du livre
insulaire d’Ouessant, ni sans les pièces écrites en reo Tahiti et en
français par Valérie Gobrait.
De jeunes acteurs polynésiens au service de la littérature |
Pleine
de richesses et de promesses, la littérature polynésienne est la plus
merveilleuse des fenêtres pour découvrir la Polynésie française.
Un article de Julien Gué
Glossaire :
* Reo Tahiti
: langue tahitienne
** Fenua :
le pays, la terre (au sens de patrie et mère nourricière)
*** Paumotu
: adjectif, originaire de l’archipel des Tuamotu
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