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mardi 13 décembre 2011

Les bûchers de Faaite, suite...


Le massacre des innocents

                                Voici comment notre interlocutrice raconte ce qu'il advint d'elle après le départ des « sorcières » de l'atoll de Faaite.

Le livre écrit par Bruno Saura
Dans notre premier article consacré au témoignage de Monette Tetavahi, nous l’avons laissée seule avec ses quatre enfants au sein de la communauté de Faaite.

Une communauté très perturbée par les deux semaines écoulées et par le discours religieux des trois missionnaires du Renouveau charismatique.

Alors qu’un groupe de jeunes hommes (dont le mari de Monette) est parti raccompagner les trois femmes à Fakarava, première étape de leur retour sur Tahiti, une ambiance étrange et lourde s’est installée sur le petit atoll des Tuamotu.

Rien n’a transpiré de ce qui a pu se dire entre les trois « sorcières » et les jeunes gens. Mais au retour de ces derniers à Faaite, plus rien ne sera jamais pareil sur l’atoll.

Le témoignage de Monette reprend au moment de ce retour.

De l’exaltation religieuse à la violence

(…) « Tu sais, j’ai vraiment été heureuse à Faaite.

J’étais complètement acceptée et j’ai appris beaucoup de choses là-bas. Et puis, j’aimais tellement mon mari.

C’est pour ça que j’en veux tellement à ces trois femmes. Ce sont elles qui ont tout détruit. Mais on ne peut rien leur reprocher, c’est ce qu’ont dit les gendarmes, Monseigneur Coppenrath et les juges puisqu’elles n’étaient pas là (...).

Combien de fois ai-je vu cette souffrance dans les yeux de Monette
Quand les jeunes sont revenus de Fakarava avec mon mari, je ne les ai pas reconnus. Même mon mari avait changé. Je lui ai dit : 'Tu te rends compte ? Tu viens juste de revenir et n’as même pas embrassé tes enfants. Comment ça se fait ? Qu’est-ce qui s’est passé ? (…)

Pourquoi ils ont changé comme ça ? Pourquoi ils sont devenus violents ? Moi je ne sais pas (…).

En tout cas, tout de suite, ils ont recommencé avec les prières charismatiques en disant qu’elles allaient nous guérir de toutes les maladies et nous purifier. Ils venaient dans toutes les maisons voir si on était bien à genoux en train de prier. S’ils n’étaient pas contents, alors ils battaient les gens. Mon époux aussi venait vérifier si on faisait bien nos prières. Ils allaient partout, même dans les fare (maisons), avec leurs lances. Ils menaçaient de nous tuer avec si on ne priait pas et il fallait baisser les yeux pour leur parler (…).

C’est à ce moment qu’ils sont allés à la mairie pour détruire la VHF (radio de haute fréquence de marine). Comme ça, on ne pouvait plus parler avec personne en dehors de l’île. Tu sais, là bas, il n’y avait pas de téléphone à cette époque.

Le premier Bûcher de Faaite

Alors le maire adjoint, Iaone Harrys, est allé les voir sur le quai pour leur dire qu’il fallait arrêter tout ça, attendre le retour du père Nicolas Jakimovicz et lui demander son avis sur ce qu’il fallait faire. Les six jeunes et Léonard (mon mari) n’étaient pas d’accord, alors ils l’ont attrapé…

Ici, un long silence pendant lequel Monette tente d’arrêter ses larmes

Moi, j’étais dans la chapelle en train de passer le balai. J’ai vu un des jeunes venir avec un bidon d’essence. J’ai pensé que le bateau allait ressortir. Mais non… J’ai demandé à Iaone : "Qu’est ce qui se passe ?" Mais il ne m’a pas répondu. Et moi je suis rentrée dans mon fare, juste en face. Et juste à ce moment j’ai entendu un grand boum ! Je me suis retournée et j’ai vu le feu.

Le plan des lieux réalisé pour moi par Monette 
On m’a dit après qu’il avait été attaché et tué avant d’être brûlé, mais moi je n’ai pas vu ça : j’avais juste le dos tourné. Je ne l’ai pas entendu crier non plus (…).

Je suis revenue sur la place pour voir. La peur m’a prise.

Ce n’était pas possible : je venais juste de lui parler et il y avait seulement des flammes maintenant. Dès qu’ils m’ont vue, les jeunes sont venus vers moi avec leurs lances et ils m’ont dit : "Allez, tu rentres. Ne reste pas là ! (…)".

Les sacrifiés du 3 septembre

Le jeudi matin, ils ont attaché Katetika (le catéchiste) Tautu Tokoragi à un poteau juste devant ma maison. Il criait parce qu’il brûlait au soleil. Moi, j’étais enfermée dans la maison avec les enfants. Ils ont fait ça seulement parce qu’il a osé dire que ce n’était pas bien ce qui se passait là. Et puis, ils sont venus le chercher et ils l’ont brûlé juste devant ma maison. Mais je ne sais pas s’il était vivant ou non quand ils l’ont fait brûler (...).

Juste après, ils ont ramené Cyrenia Teata (la sœur du maire) au même endroit et ils l’on brûlée aussi,  vivante.  C’est  son  propre  fils, Tavita  Tapi, qui  l’a  jetée dans  le feu.  Pour  la « purifier », il a dit (…) !

L’après-midi, c’est Huatea Ragivaru qu’ils ont sacrifié, mais là je n’ai pas vu : je m’occupais de mes enfants qui pleuraient et qui avaient peur et qui demandaient pourquoi leur père était devenu méchant. J’ai seulement vu quand ils l’ont traîné avec le camion attaché par une corde autour du cou (…).

Monette m'expliquant, croquis à l'appui, ce qui s'est passé à Faaite
Plus tard, ils ont pris Pai Huri et ils l’ont brûlé devant l’église, comme l’adjoint au maire, sous les yeux de sa femme. Ils l’ont sacrifié parce qu’il était en colère après eux et qu’il voulait les faire arrêter. Je ne pouvais pas bien voir car c’était devant l’église, un peu plus loin de chez moi (…).

La dernière victime des Bûchers de Faaite

C’est au milieu de la nuit, vers deux heures du matin, qu’ils ont brûlé Simone Teata, la femme de Pai. J’ai vu : c’est son propre frère, William, qui l’a mise dans le bûcher allumé.

Elle, elle était vraiment vivante. Je l’ai entendue crier. Très fort et très longtemps… »


Un article de Julien Gué

Liens :
http://www.grands-reporters.com/Les-possedes-de-Faaite.html



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