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mardi 23 janvier 2018

La Polynésie défigurée



Avatars d’un habitat

Inutile de se fourrer la tête dans le sable, le paysage polynésien se défigure jour après jour. à qui en imputer le tort ? Aux libres promoteurs, à l’urbanisation anarchique qui a déferlé à la suite du boum économique du CEP ? à la surenchère juteuse du bâti et à son contrecoup, la paupérisation insidieusement croissante ?

Toujours est-il que la prolifération de l’habitat prend des allures des plus incohérentes, inconséquentes, voire des plus irrationnelles. La protection du site originel ou du patrimoine architectural urbain, leur équilibre ne participent pas des priorités du pays, ni de celles de la plupart de ses habitants. En cette période où la relance du tourisme pourrait être impactée par la création d’îles flottantes, l’image du paysage relooké se joue à la publicité.

Fières barres de proue

Le renouveau du mobilier urbain ou la densification de l’habitat s’emballeraient-ils à tort de concepts et de matériaux qui, pour avoir fait leurs preuves ailleurs ne semblent pas vraiment correspondre à la configuration miniature des reliefs insulaires tropicaux ? Sur l’ensemble du territoire polynésien dont l’étendue (4 167 km2), totalisant 3521 km2 de terres émergées, correspond au département de la Corse-du-Sud (4014 km2), des ouvrages, de plus en plus imposants, se plaquent comme des blockhaus, sans vraiment s’intégrer à la délicatesse du panorama !



Sur la plus grande île, Tahiti, qui ne présente qu’une superficie de 1042 km2, c’est-à-dire l’équivalent d’un des plus petits départements d’Île-de-France (le Val-d’Oise, dont la population est cinq fois supérieure), la fadeur et la difformité ravagent gravement l’élégance et le pittoresque du site naturel. C’est comme si tous les lieux finissaient par afficher une uniformité importée d’ailleurs.

Place à la boursouflure !
Il est vrai qu’ici, les sites classés se réduisent à un unique vestige, précédemment désaffecté puis réhabilité, au détriment de ce qui constitue le présent et qui distingue chaque terroir insulaire. C’est comme si on remplaçait les petites maisons bretonnes, les mas provençaux, les isbas russes, les chalets savoyards et les fare polynésiens par des cubes !

Sans être aucunement passéiste, la question reste entière quant au devenir d’un paysage qui perd sa dimension humaine et son empreinte culturelle.

D’un habitat typique approprié…
Le Polynésien des origines, bien avant que l’Occident ne le découvre, montrait pourtant des aptitudes à s’ajuster intelligemment avec l’environnement. La preuve ? L’habitat authentique des îles reste le même, aujourd’hui encore, tout en incluant les commodités modernes. Dispersé entre littoral et versants des vallées, il avait su tirer de son cadre toutes les ressources primordiales.

À la source… (Tuamotu)
Dans cet échange avec la Nature, l’autochtone s’adressait à elle, - et pas uniquement de façon verbale -, pour lui emprunter et lui restituer les éléments nécessaires à son abri. Sorte de troc compensatoire, bénéfique dans les deux sens, il couvrait les besoins et renouvelait l’humus. Troncs des poutres et poteaux de soutènement, cordages de lianes imputrescibles pour arrimer le tout, tissages de palmes pour la toiture et les parois, solives pour y suspendre les victuailles ou les objets : que des solutions pour s’adapter aux aléas saisonniers.

La division en pavillons répondait à une logique fonctionnelle, assurant la sécurité et le confort : le plus grand fare pour dormir, vivre, ou collectif (Fare pōte'e) pour réunir le clan, tapissé de nattes tressées ; les cabanons pour cuisiner et manger, à même le sol pour y creuser le four, le fare toilette près du point d’eau. Pas de perte, pas de gâchis : les plats en bois sont recyclables comme le reste… Un concept prémonitoire du système écologique. Voilà pour l’essentiel. Tout est d’essence végétale et s’appuie sur des socles en gros galets de rivière. 

Fare pōte'e à Huahine
L’astuce climatique, en littoral, en mangrove ou en vallée, avec les pilotis qui préservent de l’humidité, c’est ce plancher aéré qui permet un brassage d’air avec le faîtage et maintient une constante thermique. Une longévité affichant la durée d’une génération : pas moins de 40 ans sauf pour la toiture en nī'au, renouvelable tous les 5/7 ans, véritable isolation thermique…  

De construction rapide et transmissible facilement, ce fare authentique se voit remplacé par son jumeau contemporain en kit-anticyclonique (bois importés et tôle). La tradition est sauve ! Sauf que sa fameuse robustesse est remise en question par des accidents de plancher…

…Aux amendements de la modernité
Avec les débuts de la colonisation (18-19ème), l’importation d’outillage métallique, première mutation de l’habitat vers le style colonial avec ses planches, ses palissades et ses balconnets de bois, ses decks et ses baies à claire-voie, caractéristiques des anciens quartiers de Papeete et des grands centres insulaires.

Un style colonial mixte, Pape’ete 1970…
Ils disparaissent peu à peu avec la construction en dur qui s’étend des édifices religieux aux bâtiments administratifs. Leur aménagement individuel respectait ces hauteurs de plafond et ces faîtages relevés, ces silhouettes élancées et aérées … Mais, si l’extraction de la soupe de corail ne posait apparemment pas de déséquilibre écologique jadis, ce n’est plus le cas évidemment aujourd’hui.

si, dans la capitale, les demeures se collent, au risque de causer des incendies spectaculaires comme en 1884… au courant du 20ème siècle, leur combustion sera curieusement considérée comme facteur positif (!) pour l’avenir de l’urbanisation : « Pendant les années 1970, le feu se montre pour l'urbanisme un auxiliaire efficace. L'un après l'autre, les immeubles vétustes du centre-ville sont la proie des flammes. » …Dans les faubourgs étagés en terrasses, s’adaptant aux dénivellations du relief et à la végétation ambiante, demeurent quelques vestiges de cachet, toujours d’aplomb.

D’un autre bois, Moorea
Mais le tournant c’est le bâti à moindre coût et à tous crins, sous la pression de l’engorgement urbain. Les immeubles d’inspiration métropolitaine plaquent leurs barres rectilignes, aux couloirs étroits, aux plafonds bas… aux appartements réduits pour forte concentration de locataires. Pas de circulation d’air : les portes palières ouvertes attisent le vacarme en échos.

Tôle et parpaing… (Fakarava)
Les maisons particulières troquent leur tuilerie pour des toitures anticycloniques en tôle. Résultat, le bruit est effroyable sous la pluie et interrompt toute conversation. Les conséquences immédiates, c’est le changement de mode de vie : du communautaire bon enfant, on passe au collectif assourdissant et aveugle.

Une aberration climatique : le vase clos
Les solutions dites d’urgence virent à l’habituel et se soldent par multiples aberrations : touchant l’implantation, le confort, les infrastructures sanitaires et les matériaux importés, effet de serre et étiolement délabrent l’atmosphère comme le cadre. Pour absorber les trop-pleins démographiques, atténuer la pénurie de logements tout se calcule au gigantisme.

Barre en ciel…(Matatia)
De la voierie au terrain à bâtir, de méga-constructions montent à l’assaut des escarpements. Les terres libres, fondent comme peau de chagrin… grignoteront les points culminants et envahissent les vallées, nombreuses, disséminées sur toute la surface de l’île. Moyennant quoi, les pentes sont excavées, les gains de superficie se résolvent par un à-pic artificiel, la végétation disparaît pour laisser place à une surface bétonnée dont les bords sont consolidés d’enrochements et de murs de soutènement.

Le moindre mètre carré est déboisé, raclé jusqu’à la roche, nivelé, exploité pour l’habitat comme pour la voierie : causant perturbations du système hydrologique local.  Les dévers, fragilisés, s’effritent en coulées de boues, les routes ou les fossés ravinés, les maisons individuelles anciennes s’effondrent dans le vide… Pour pallier l’instabilité du terrain et des routes à flanc de pente, les sous-fondations et empierrements sont renforcés. Le prix du m2 monte en flèche.


La désolation ! Enrochement défectueux… (Tahiti)

Du bois au béton, dans des archipels à tradition arboricole, le choix est clair : au détriment d’allées, contre-allées et ronds-points ombragés, tous tronçonnés, la rue au macadam brûlant devient irrespirable et surchauffée. La circulation urbaine impose sa loi du double vitrage, mêle gaz d’échappement aux effluves des climatiseurs. L’impact sur l’environnement est déplorable : accumule une poussière grasse et noire sur les meubles comme dans les jardins…

Certains bâtisseurs, conscients de ces dérives à portées variables, s’engagent dans ce qu’ils appellent modestement, car ils ne sont qu’artisans et les ressources insuffisantes pour couvrir l’ensemble des besoins, la cabanisterie. Concevant des bungalows style fare, pouvant s’adapter à la courbure du terrain et s’appuyant sur le relief.

Laideur ou harmonisation ?
Faute de penser intégration, la ville en Polynésie devient site dénaturé. Les formes audacieuses écrasent d’anciens quartiers, assis autour de minuscules placettes. Les cimes sont oblitérées par des barres monolithiques dont la hauteur dépasse la végétation. L’équilibre des lignes escarpées est oblitéré par des proues arrogantes, trapues, style forteresse, cassant les points de fuite des vallées à leurs pieds. Dans l’écrasante majorité des cas, le profit prime sur l’esthétique…

Laideur au mètre carré…(Tahiti)
Aucun souci d’harmonie avec un écosystème fragile distribué sur un espace miniature inextensible ! Règne la banalisation de la disproportion et de la laideur. Dans un cadre que privilégiait le charme combiné à la hardiesse des reliefs domine la rentabilisation de la moindre parcelle susceptible de devenir habitable. Le paysage urbain dévore le site naturel en une succession ininterrompue de blocs engoncés les uns dans les autres.

Absence de cachet (Pape’ete)
Les abords des routes, l’arrière des immeubles exhibent leurs paysages lunaires, monotones, arides, anonymes, sans fantaisie, en grandes murailles sombres sans végétation. Masses lisses dont le maillage végétal fait le buzz décoratif : à coups de grillage ou de bâchage. Ils font pendant à ces zones d’habitat spontané, ce domaine chaotique des laissés pour compte qui survivent comme ils peuvent…

Habitat anarchique… (Faa’a)
Manquerait-on d’esprit d’innovation pour imaginer un urbanisme optimal assorti et parfaitement intégré au site initial ? La réponse appartient aux architectes et aux politiques…




Un article de Monak
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