Le film DU Déni
Dès que tu prononces "nucléaire", dans le contexte des années CEP(Centre des Essais Nucléaires)-soit de 60 à 94-entre la France et la Polynésie, le mot est perçu comme une insulte, un crime de lèse-majesté ou un tabou.
Paul Manate Raoux, réalisateur, entre deux films de fiction, s’attèle au documentaire, à la source même de son père, employé comme bien des travailleurs sur l’archipel tristement célèbre des Gambier et tourne en 2022 MORUROA PAPA.
Délicat exercice de style d’autant qu’il touche des proches, sa famille, représentative du dernier métissage, parmi les nombreux pratiqués par le peuple de navigateurs mā'ohi devenu insulaire. Cette proche vague d’hybridation - entre Métropolitains et Océaniens -, à l’époque même de la décolonisation, aurait pu prendre une toute autre signification : en fait, elle reposerait pour certains, sur une équivoque.
Le documentaire du secret défense |
Véritable tour de force tout en délicatesse du réalisateur qui réussit en partie à rompre un silence de plus de 60 ans, cadenassé par la censure du « secret défense », la peur des représailles, mais aussi les combines politiciennes… et la manne des nouveaux emplois et des retombées domestiques qui révolutionnent les conditions de vie des Polynésiens.
Mais Paul Manate n’en est pas à son premier essai pour remettre courageusement à plat les effets de la corruption et des mensonges d’état : entre autres sa fiction dite « fantastique » de L’Oiseau de Paradis en 2020. Coup d’essai ou coup de maître ?
De l’engin…
Elle est là, noyée sous des tonnes de faux semblant… l’innommable, l’instrument et son projectile, cette bombe, tantôt dénommée tirs nucléaires et dont les effets impalpables semblent se diluer dans le ciel quand ils ne se délaient pas sous la mer quand les explosions y seront implantées. L’histoire ne peut oublier les dégâts d’Hiroshima, dans le même Pacifique, quelques 20 ans plus tôt, et se laisse berner par les théories de "l’arme propre", sans retombées radioactives serinées à fin de propagande par la Maison Blanche comme par De Gaulle.
Loisirs sur lagon vitrifié |
Aborder dans son film la perception du phénomène nucléaire, au sein même des familles polynésiennes qui en vivent les péripéties officielles et les incidences occultées… semble assez caractéristique d’une époque où les raisons d’état prennent le dessus sur l’information. Cibler un couple dont l’un des membres se trouve directement impliqué par "la chose" et le secret défense, montre à quel point la désinformation fait des ravages.
… au Déni
Images de la frivolité comme pour les « années folles » durant la crise de 29, la majeure partie de la population de Tahiti ne voit que les avantages immédiats du processus : emplois à gogo, amélioration du train de vie et afflux de consommateurs temporaires.
Quand l’atome est nié... |
Henri Hiro, créateur et militant antinucléaire, serait-il passé inaperçu, tous les mercredis en manifestant avec son pū ? Il est juste dénigré et chacun fait l’autruche en se gardant bien d’ignorer la menace. Se réfugier derrière le sempiternel « je ne m’occupe pas de politique » permettrait-il de se dédouaner d’une culpabilisation due au silence ?
Le compromis
Le relais générationnel s’opère par l‘image de l’adolescence : du petit-fils au grand-père, trois générations, fondamentalement inscrites dans leur environnement, se suivent mais ne se ressemblent pas. Au centre, Paul Manate en plein questionnement contestataire : crise de l’adolescence ? Non ; conscience humano-politique, plutôt.
Comment se situer en tant qu’agent d’un processus de destruction ? Quand tout le monde joue la carte de l’insouciance et de la défense nucléaire. Eh bien, faire comme ses semblables et l’évacuer. Le documentariste pose la question mais ne la résout pas.
Paul Manate à l’objectif |
Les images sont dépouillées, scrupuleuses et cependant implacables, entre un portrait paternel qui se dissimule derrière sa part de mystère et le contexte d’une époque controversée. Perdure le malaise. Se profilerait la faille des bobines familiales comme des bribes d’aveu arrachées à l’histoire. La question du fossé intergénérationnel irrésolue comme si chaque nouveau cycle temporel s’édifiait indéniablement ses frontières.
Un documentaire dont la douleur poignante s’éclipse derrière la vie simple et rudimentaire d’une île des Australes.
Un article de Monak
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https://www.francetvpro.fr/contenu-de-presse/34406485
https://filmsenbretagne.org/paul-manate-raoux-tout-entier-ici-et-la-bas/
https://lesrencontresdefilmsenbretagne.org/edition-2021/figures-dimages-visages-de-cinema/
Cf. Henri Hiro :
http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Henri_HIRO-751-1-1-0-1.html%20
http://moruroa.assemblee.pf/Texte.aspx?t=194
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