Une saga incontournable
Adeline Darraux, cartonne ces dernières années sur le petit-écran : réalisatrice, elle semble affectionner les personnages grinçants, claquants, souvent féminins, pas forcément parce qu’ils prennent le dessus, mais tout bonnement parce qu’ils abordent les sujets qui fâchent.
Avec La dernière reine de Tahiti, dont le scénario se serait appuyé sur des documents d’une époque révolue hélas (!) par l’annexion, elle annonce la couleur d’une personnalité qui, prise entre les feux des colonisateurs, tente de maintenir les valeurs culturelles de son peuple. Le film est une fiction ! sur fond historique, tout de même : mais s’accorde une latitude pour soutenir une figure féminine, résolument positive.
Une épopée qui le vaut bien...
à l’avant-première, au Grand Théâtre de la Maison de la Culture de Papeete, bien des spectateurs polynésiens autour de moi, étaient émus aux larmes… certains pourraient regretter de par la flexibilité des dialogues l’anachronisme de certaines formules… Mais cette histoire romancée tient la route : un très beau film pour ses cadrages, ses prises de vue, le montage, et la densité expressive des acteurs.
Vu l’enjeu du film, se pose la double interrogation : Pomare IV n’aurait-elle pas inspiré les réalisateurs locaux ? Pourtant, un scénario concernant la souveraine circulait ces dernières années à Tahiti… Et le fare de la reine à Papeete ? Va-t-on le restaurer ou va-t-il disparaître ? Raisonnablement sa réhabilitation en musée serait plus que bienvenue en plein centre ville : ce qui manque énormément ! Je dis ça, j’dis rien…
Pour en finir avec la colonisation
Le propos du film est très clair... la violence est frappante dès les premières images : les dernières heures de la royauté tahitienne ont sonné avec le succès de l’invasion étrangère à coup de conflit à armes inégales et massacre des autochtones. Et le scénario ne concède pas plus de faveurs à la suite des événements : rivalité entre les puissances étrangères conquérantes sur le dos des autochtones et antagonisme qui aiguillonne les représentants des 2 églises concurrentes : l’anglicane et la romaine.
Acculée à devoir finasser avec les règles injustes et intolérables du jeu de l’émulation politique et religieuse, la jeune reine se trouve contrainte de renier ses valeurs ancestrales : se convertir, se plier au mode vestimentaire des pays tempérés, aux coutumes, au puritanisme des envahisseurs. La danse, la nage, la communion avec la nature taxées de dépravation, la culture traditionnelle se voit gommée.
Sous l’emblème de la Polynésie |
Que lui reste-t-il face à ce train de menaces et de coercition ? Le chantage à la santé, à l’éducation, au train de vie pour préserver la paix et un semblant de dignité. Le marché s’avère inéquitable.
Le destin d’une femme libre...
C’est ici qu’intervient ou s’explique la nécessité de l’intrigue idyllique. Elle ne semble pas simple fioriture « fleur-bleue » : elle donne sens à la trame romancée, dans le sens de « romance » aussi. Elle fait passer la pilule ardue d’une réalité déplorable : celle du mépris, du vol de la personnalité sans autre forme de procès que cette propension des Occidentaux du 19ème siècle à affirmer leur soi-disant supériorité, érigée sur le pouvoir de la poudre, qu’ils ont empruntée d’ailleurs au Moyen-Orient (aux alentours des 8ème/9ème siècles).
Au personnage de la reine – interprété avec talent par Tuhei Adams –, la réalisatrice propose un nombre incalculable de plans précis : déballant certains aspects d’une liberté qui diminue de jour en jour. La réalisatrice insiste sur le combat journalier que mène cette jeune femme, pour que lui soit reconnue son intégrité de corps et d’esprit.
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Pomare IV, portrait de Charles Giraud (1851) |
Quelle que soit l’époque, les séquelles de l’inégalité perdurant actuellement, ce n’est pas un hasard si Tuhei Adams déclare dans une interview concernant le tournage : ici, on a « une place, on se fait respecter». Féministe avant l’heure, Aimata Pomare IV ? On peut en douter mais c’est dans l’air du temps : pas loin de là, à peu près à la même période, Louise Michel, pour ne nommer qu’elle, « ce cœur qui bat pour la liberté », est déportée au bagne de Nouméa pour insoumission féministe.
...devenue otage
L’éclairage choisi par l’équipe française -réalisatrice/co-scénaristes-,
la dynastie tahitienne présentant bien d’autres aspects pour alimenter la fiction.Dans un essai publié par Le Journal de la Société des Océanistes en 2019, Chantal Spitz, auteure polynésienne, nous met en garde : « Sans nier à chacun le droit à l’expression libre ou à la création souveraine, il est fondamental de s’interroger sur une éthique qui devrait gouverner les productions qui touchent à l’intime l’identité l’esprit de peuples qui font depuis des siècles l’objet de légendes de fictions de mirages offensants mortifiants mutilants, indéfiniment colportés par les fantaisies de promeneurs momentanés. Car certains sujets développés, pouvant paraître anodins originaux ou surprenants à des approches superficielles, portent des plaies des aliénations des deuils silencieux qui trépident l’âme de peuples qui continuent de se débattre dans des réclusions identitaires. »
En tournage à Moorea |
Toujours est-il qu’avec une distribution bipolaire de choix, des moyens techniques confortables, un staff (franco-tahitien) au professionnalisme d’envergure, le film acquiert une crédibilité esthétique plus qu’honorable.
Les images sont fortes, belles, attachantes... les paysages parlants, la tension menée à son paroxysme. La réalisatrice réussit un long-métrage « habité » où lutte pour la vie se mêle au désir de vivre et au désir tout court… Le personnage principal et ses protagonistes surfent sur la vague de la passion... et qu’importe qu’ils appuient leurs sentiments sur des locutions à texture proverbiale : sur la gouvernance, le sexisme, le choc et la conciliation des cultures... La dernière reine de Tahiti se promet un bel avenir.
Un article de Monak
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Cf. Chantal Spitz, auteure polynésienne, membre du jury du FIFO 2017 : à lire absolument :
https://journals.openedition.org/jso/10145
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