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dimanche 5 février 2023

20ème FIFO : Pacifiction...


"Pacifiction", moi j'adore ! 

 

                     Que "Pacifiction" - objet cinématographique non-identifié -conçu, réalisé à Tahiti par l’Espagnol Albert Serra , diffusé et sorti à Cannes en 2022 participe de ce nouveau FIFO 2023... procède d’une bienheureuse initiative ! Qu’il en ouvre la 20ème Session, sur un petit coup médiatique peu anodin me réjouit pleinement.

      Je raffole particulièrement de ce genre d’événements qui déstabilisent l’apathie générale, émoustillent le conformisme ambiant et flirtent l’inconvenance avec insolence.

         Généreusement ancrée dans un contexte surréaliste jusqu’au non-sens, cette politique-fiction s’introduit ouvertement dans l’espace du Festival International du Film-documentaire Océanien (FIFO) : c’est sciemment qu’il joue un rôle subversif dans la programmation. La sélection a toujours soulevé des problématiques océaniennes pointues : la nouvelle génération des fifoteurs demande des comptes et tacle le dialogue de sourds, entretenu depuis longtemps entre les instances de l’État français et les Terres émergées de Polynésie.

        Entre prérogatives sécuritaires et coercitives, abus de lois liberticides, générés par la crise du COVID, extravagances qui touchent la dette nucléaire et l’indemnisation des victimes collatérales... et autres manœuvres d’intimidation... l’aberration est à son comble. Quand la réalité socio-politique s’appuie sur la soi-diant innocuité des tirs nucléaires, 30 après le désastre sanitaire et écologique d’Hiroshima... il est temps d’ouvrir les festivités filmiques pour percer et éradiquer les mensonges d’État !


"Pacifiction", bande-annonce ...

         Merci donc à l’art cinématographique d’avoir dénoncé l’échec d’un régime politique dépassé. Les issues rationnelles verrouillées sous des prétextes hautement financiers «indéboulonnables», Albert Serra réalisateur concocte la fable de Pacifiction en poussant le bouchon jusqu’à l’absurde contre-vérité. Véritable acte de rébellion intensément jouissif ! 

       D’une logique implacable, le scénario propose la reprise des essais nucléaires : face au déni des gouvernements qui se sont succédé pendant plus de 50 ans ! ... Faute de solution compensatoire, sanitaire, environnementale, libre champ est ouvert à la radioactivité qui poursuit ses méfaits... et génère de nouvelles victimes dans le Pacifique !

 

Frondeur ou contestataire... 

       Ces dernières années où la culture cinématographique, dont les documentaires en particulier, se sont vu privés de leur espace de gestion et de diffusion, confisqués de toute forme de communication sous des prétextes sécuritaires alors que les délégations politiques ou militaires sillonnaient librement le pays, orchestrant leurs manœuvres (! ! !) , figureront dans le panel de la période la plus loufoque de notre 21ème siècle !

       Il est salutaire que les artistes créateurs aient eu l’audace de se positionner vis-à-vis d’une situation des plus occultées. Leur engagement figure parmi les actes de courage indéniables d’un début de siècle chaotique. 

Albert Serra, à cor & à cri...  

      Il fallait l’oser ! De même que « vouer un culte à deux richissimes icônes du capitalisme décomplexé quand lui s’épanouit depuis une paire de décennies, et en toute confidentialité, dans un artisanat pur et dur aux confins du cinéma expérimental, ce prince des épouvantails.»   

     Effectivement, Albert Serra n’est pas un réalisateur ordinaire. «Jusqu’au-boutiste», il ne craint aucune des hypothèses menées à terme, mêlant «sensualité et trash contemporain»

 

Un peu long ?

      Juste lui reprocher la durée du film, frôlant les 3 heures... Mais on ne peut que déplorer actuellement la tendance «longueurs inutiles» : justifieraient-elles le déplacement du public en salle ? l’envie de renouer avec l’ambiance cinéphile... les animations ou projections 3D avec lunettes spéciales...???

       Et comme le film dérange pour la teneur de ses propos et son réquisitoire libertaire, on attaque la prestation de Bruno Magimel plutôt que de l’encenser sur ses performances d’acteurs : ce qui paraîtrait bien légitime pour qui se revendique du métier !

       «Toute l'équipe a attrapé le Covid à un moment ou à un autre du tournage qui a duré 25 jours alors que Tahiti était en confinement total. Outre la pandémie à gérer, Benoît Magimel a dû se familiariser avec un tournage singulier»...  Le détail reste à découvrir  sous ce lien hypertexte...

       Pour nous, qui vivons à Tahiti, le personnage du «haussaire (haut-commissaire)», fait partie d’une faune improbable, de ces personnalités difficilement perméables... mais nommées pour plusieurs années. Le sort qui lui est imparti est intéressant à bien des égards : « haut fonctionnaire félin dans "Pacifiction", tout un programme...


Un jury anticonformiste 

        Parallèlement, le 20ème FIFO présente d’autres innovations non négligeables. Franco-congolais, Alain Mabanckou le Président du jury semblerait aussi conférer une teinte spéciale à cette 20ème session du FIFO.

          Autonome, engagé, la langue bien pendue et le courage de dire :  Alain Mabanckou ne  ménage pas ses prises de position :

         «Le 5 mai 2015, Alain Mabanckou remet le prix « Courage et la liberté d'expression » au nom du PEN American Center  à Charlie Hebdo.» Et Vlan! Un pavé dans la mare du conformisme peureux...

Alain Mabanckou...

      « En 2018, il refuse de participer au projet d'Emmanuel Macron de réflexion autour de la langue française et de la francophonie et s'adresse au président de la République dans une lettre ouverte où il appelle notamment à plus d'ouverture pour dépasser les origines coloniales du concept de francophonie et où il dénonce également l'indulgence de la francophonie « institutionnelle » envers « les régimes autocratiques, les élections truquées, le manque de liberté d’expression ».

    Avec la soirée inaugurale  du 06 février, «Noirs en France» , co-scénario d’Alain Mabanckou, réalisation d’Aurélia Perreau... donnera certainement le ton d’une parole qui, lasse de tergiverser, qui prend sa mesure ... et en pleine possession de ses engagements...

 

Jury 20ème FIFO... 

     Si le jury des Anciens établit une parité entre ses membres : la majorité compte parmi les lauréats primés depuis les années 2012. Les réalisateurs océaniens y figurent  en majorité : Rhys Graham (Australie), Anna Marbrook (Nouvelle-Zélande), Christine Della-Maggiora (Nouvelle-Callédonie), Olivier Pollet (Grande-Bretagne), Marie-Hélène Villierme (Polynésie française) et Lorenzo Marama (Tahiti, Journaliste et reporter à Polynésie la 1ère ) Du pain sur la planche avec  43 documentaires au programme, dont 13 en compétition et 12 hors compétition ; 9 courts-métrages documentaires et 9 de fiction.

 

Les 20 ans à la controverse ?

     Quant au «jury Génération 20 ans», à part un réalisateur et un passionné d’audiovisuel, ils sont presque tous étudiants.

     Sans parité exacte, histoire de candidature, le Jury Jeune regroupe 7 membres  : Luz Copie (en BTS), Timeri Lo (2ème année licence civilisation), Xenoha  Manarani (audiovisuel), Teariki Tekori, (licence langues), Amtsi Temanu (licence langue) Joseph Tetoe (Histoire-Géo), Tamaterai Trompette  (réalisateur).

      Avec l’inauguration du prix du jury jeunesse cette année, le FIFO s’assure une continuité dans la prise de conscience critique des mentalités océaniennes.

Jury Génération 20 ans

    S’ils sont de la même teneur que leurs aînés, ils nous assurent de «faire des vagues» Les «indésirables, laissés pour compte» en Métropole comme universellement ce sont « LES NOIRS».

      Une chance que la "Soirée du Président", Alain Mabanckou (du jury 2023) se soit appelée «NOIRS en FRANCE»...

      Une chance que le court-métrage d’Aurélia Perreau qui fait date en 2022, dans la gabegie raciste de l’Hexagone et de ses succursales, n’ait pas été émasculé à l’instar de «Dix Petits Nègres» d’Agatha Christie, devenu «Ils étaient 10», par excès d’euphémisme !


Je dis bien : «NOIRS EN FRANCE»

       Et pour rejoindre l’édito du FIFO, n’hésitant pas à citer l’écrivain Le Clézio, affirmons avec tous les artistes et documentaristes contemporains évoqués ici ou présents, ce genre de «profession de foi» :  «Pour moi, l’écriture est avant tout un moyen d’agir, une manière de diffuser des idées. Le sort que je réserve à mes personnages n’est guère enviable, parce que ce sont des indésirables, et mon objectif est de faire naître chez le lecteur un sentiment de révolte face à l’injustice de ce qui leur arrive», écrit J. M. G. Le Clézio.

 

Un article de  Monak

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