Un autre monde !
Réaliser son rêve, le rêve d'un autre monde, c'est peut-être ce que vient de nous offrir le jury du 17ème FIFO ! Non seulement les membres du jury signent la qualité, mais aussi le sujet, la valeur du propos, la richesse des sources et l'impact sur la société proche ou lointaine des films en compétition.
Le Grand Prix du FIFO récompense Ophir d’Alexandre Berman et Olivier Pollet, coréalisateurs très sympathiques
et d’un abord convivial. Le second, déjà titulaire du Prix spécial du jury au
10ème FIFO pour Canning
Paradise, tourné en
Papouasie-Nouvelle Guinée, déclarait qu’un film se réalise « avec »
les gens. Et apparemment les co-réalisateurs maintiennent cette ligne de
conduite. Un énorme travail de documentation, de vérifications et
d’investigation sur le terrain pendant les 7 années qui précèdent sa sortie. Une
dose inouïe de mise en confiance et d’écoute pour obtenir ces dénonciations des
abus du système néo-colonial : par les groupes de dissidence qui sont les
autochtones, tout de même ! Une analyse forte, impliquant à contre-pied
opposants et pays dominants.
Ophir*, cette terre d’abondance…
Des images insoutenables de misère et de
désespoir !… Une révolution passée sous silence par les médias
internationaux ! Ce n’est pas rien que les réalisateurs fassent le scoop.
La preuve : l’île est devenue autonome depuis… Tout n’est pas encore
consommé ! la situation reste explosive dans un sens comme dans
l’autre : la main mise sur les richesses minières ou la liberté du peuple
à se gérer… Bougainville, l’île, est mise en pleine lumière avec sa révolution,
son référendum d’autodétermination, son refus de se laisser dépouiller et sa
volonté de décider pour lui-même : un beau pavé dans la mare de la
colonisation.
Dans la même veine
décolonisatrice, Merata de Heperi Mita obtient le 1er Prix Spécial du jury. Personnalité exceptionnelle,
cette figure féminine du cinéma néo-zélandais conjugue vie familiale et
professionnelle à une époque où s’imposer en tant que femme dans le milieu de la réalisation
s’avère un véritable tour de force. Elle réussit à porter à l’écran sa culture et ouvre ainsi la porte au cinéma māori
d’aujourd’hui.
Quand l'abjection est "Blanche"… |
Le documentaire révèle ces
constants harcèlements policiers subis par ses enfants. Un film qui ressort les
scandales d’une époque où la liberté d’expression et d’opinion n’est pas
accordée à tous. Le sujet est grave ! Et si la société réactionnaire et
conservatrice néo-zélandaise refuse aux autochtones l’espace artistique qui
leur est dû, en Grande-Bretagne les créations et reportages de Merata sont appréciés pour leur valeur
informative et qualitative.
Quant aux enfants qui figurent en
tant que témoin : ils ne se sont victimes, - taisant le sujet -, que de
leur propre société. Eux ont vécu avec leur mère, des moments fabuleux où ils
se sentent aimés, considérés, valorisés. Ils étalent leur gratitude, leur
soutien à leur mère, pour leur avoir fait vivre des épisodes exceptionnels
d’intensité où la vie s’intègre à l’écran et vice versa ; où le féminisme
est une denrée composante de la famille. Les quelques reconstitutions affirment
leur courage face à un monde injuste qui les oblitère.
Merata, Femme et Maori
Le communiqué de presse du
09.02.2020, issu du 14ème colloque des
télévisions océaniennes qui
s’est tenu à Papeete durant le FIFO 2020 « souligne la réussite
d'une des productrices de film en compétition cette année, Chelsea Winstanley (Merata: How Mum Decolonized The Screen) nommée aux Academy Awards,
comme la première femme autochtone productrice à atteindre ce niveau
d'excellence. »
L’Océanie serait-elle en
train de changer ???
Décolonisation des mentalités, en route ?
Décolonisation territoriale, décolonisation
sexiste, décolonisation des écrans, le ras-le-bol insulaire ferait-il tache
d’huile ? Apparemment oui et aux quatre points cardinaux du continent.
Le 2ème Prix Spécial du jury ainsi que le Prix
du Public sont attribués à The
Australian Dream de
Daniel Gordon**. Encore un drame qui touche la personnalité du footballeur et
en interrompt brusquement la carrière. L’inconscience ethnoraciale de la
majorité des Australiens blancs est à son comble ! Un véritable
aveuglement de la part de ces spectateurs qui admettent les insultes d’une
adolescente qui ne fait que reproduire le comportement ambiant ! Estimant
qu’Adam Goodes aurait dû accepter les propos d’une mineure qui ne présente aucune
débilité mentale par ailleurs.
The Australian Dream… une étoile déchue
Encore beaucoup de prise de conscience à
stimuler ! L’Aborigène est
toujours perçu comme un sous-homme, un animal tourné en ridicule, qui est censé
ne rien ressentir et accepter d’être le singe de la pelouse. Le rêve australien
s’achève en cauchemar, se limite à une ségrégation qui ne se conçoit pas comme
délictueuse.
Le réalisateur britannique, véritable spécialiste
du documentaire sportif, de la Corée au reste du monde, se penche sur un
phénomène comportemental véritablement spécifique de l’Australie. Tout en
finesse, il montre combien l’injustice peut détruire, combien le racisme en
accable les victimes. Film engagé, il peut aussi, comme d’autres films d’impact
conçus pour alimenter des campagnes de sensibilisation, participer à une vaste
opération de sensibilisation et de décolonisation verbale et mentale ! Le
racisme primaire, l’intolérable, réussiront-ils à se décoloniser ? Rien
n’est vraiment sûr : mais la situation est portée au regard du monde…
Figures féminines, encore...
Le 3ème Prix
Spécial du jury est
attribué à Ruahine de
Hiona Henare. À croire que le jury FIFO, masculin à
90%, n’est pas sexiste : ceci étant une boutade !
La signification de ce tatouage de menton, moko
kauae, exclusivement féminin, étant l’appartenance tribale, le film relate
durant 40mn le rituel qui convoque l’ensemble de la communauté autour de deux
femmes. L’atmosphère qui s’en dégage est impressionnante. Pas seulement le
cérémonial, les invocations, les chants, mais le contraste entre l’allégresse
générale, l’immobilité des femmes, la sacralité et la précision du geste.
Un moment intemporel… chargé de sacré.
Ruahine, l’identité tribale
Le meilleur court-métrage de fiction, c’est Liliu de Jeremiah Tauamiti ou la
décolonisation de l’héritage du passé opposé à
une culture vivace. En repassant par la case tutelle néo-zélandaise sous
couronne britannique, Samoa nous livre une page effacée de son héritage
culturel. Nua, chéfesse samoane, défend ses traditions ; emprisonnée à
tort, elle combat pour récupérer ses petits-enfants, grâce à l’engagement d’un
interprète de cour (tribunal), Solo. Des images accablantes, un sort
inacceptable.
Liliu, la tradition se heurte à la cruauté…
En 14 mn, la saga est emballée… toute en
contrastes, sans précipitation, nous laissant le temps de nous projeter dans
ces pages cruelles, comme dans la dignité des peuples spoliés.
Rétention à la une... les "détenus de l'invisible"
Le meilleur court-métrage
documentaire revient à Manus d’Angus McDonald. Encore le
drame du millier de demandeurs d’asile internés par l’Australie sur l’île de
Manus, en Papouasie Nouvelle-Guinée. Le réalisateur australien a pris de grands
risques. Les pires conditions du tournage, elles, sont clandestines… elles se situent au fort de la détention qui
durait déjà depuis 6 ans. Les images finales à la veille du transfert des
réfugiés ou de la libération de certains…
.
Personne n’en connaît véritablement l’issue,
l’Australie fermant périodiquement ses Centres de rétention sous la pression
internationale. Toujours est-il que les réfugiés ont refusé de partir pour un
autre centre… et certains ont été évacués en Nouvelle-Zélande.
Manus, l’enfer des innocents
Même topo à Nauru où sévit le même trio infernal :
les gardes-côtes et les subsides australiens, la violence carcérale, la mort
lente… Les deux réalisateurs mettent en avant le tact de l’image crue et forte…
Mike Leyral, réalisateur de Nauru,
la prison australienne,
dans la section FIFO Ecrans Océaniens, ne peut que partager mentalement le
bonheur de Manus.
L’objectif du réalisateur courageux étant d’inciter
les spectateurs à se solidariser avec les innocentes victimes, injustement
maltraitées, qui avaient fui la répression dans leur pays d’origine… la parole
est exclusivement donnée aux détenus. Il est réjouissant d’apprendre l’aventure
du journaliste Kurde-Iranien, Behrouz Boochani, remportant ensuite le
prix littéraire le plus important d’Australie ; prix qu'il n'a pu venir chercher, étant interdit de séjour en Australie !
Behrouz Boochani, l’écriture carcérale… |
Son livre, écrit sur portable en farsi, traduit en
anglais, est maintenant diffusé en français. D’une qualité
littéraire incontestable, ce n’est pas seulement son appartenance au genre
"écriture carcérale" qui le distingue… mais un véritable
talent.
L’écriture sous objectif… |
Et pour en finir avec une 17ème édition
FIFO hors ligne où la parole circulait sans cesse entre réalisateurs et public,
saluons la Jeunesse tahitienne et la lauréate du Marathon d’Ecriture FIFO, pour
son scénario : Isae, l’enfant roi, signé Kohei LIMIK.
Alors, à part la sono qui rend sourd. Un
rassemblement d’Océaniens, de cinéastes et de cinéphiles, ardents à
s’enthousiasmer pour une cause, à faire changer le monde… car il en va de la
survie de l’humanité, du respect des droits
humains, de la décence. Le festival de l’Indépendance, du sol, des autochtones,
des mentalités de l’Océanie.
Un article
de Monak et Julien
Gué
Tous droits réservés à Monak & Julien Gué.
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texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.
* Ophir (en Hébreu אוֹפִיר) est un
port ou une région mentionné dans la Bible qui était connu pour sa richesse,
notamment l'or. Le roi Salomon est censé avoir reçu tous les trois ans une
cargaison d'or, d'argent, de bois (probablement de santal), de pierres précieuses,
d'ivoire, de singes et de paons d'Ophir. En 1568, découvrant les Îles Salomon,
Alvaro Mendaña y vit Ophir, et nomma ainsi les îles.
** Voir
aussi l’article : Violences
à perpétuité
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