Violences à perpétuité
« Bombardées »
de Florence d’Arthuys, ce n’est pas un titre qui ferait le buzz, ce n’est pas
une provocation, c’est une réalité. Et elle est calédonienne. Un particularisme
de langue pour dire "violentées" par le conjoint, car le
français-calédonien poursuit ses flexions. Ne nous sentons pas davantage à
l’abri, à Tahiti : le phénomène est similaire ; disons qu’ici, en
Polynésie, la violence conjugale y est cinq fois plus forte et pratiquée depuis
longtemps, tout comme en France où les taux sont alarmants.
Sans nous étendre sur la copieuse filmographie
documentaire de Florence d’Arthuys qui par ailleurs se débrouille pour
s’effacer anonymement derrière la caméra et dont la biographie ne fuite pas…
Disons qu’un mot m’est venu à la bouche en découvrant son documentaire sur la
difficile cohabitation entre citadins d’origine installés à la campagne et fermiers
métropolitains : Fumiers !
Mais la réalisatrice ne se commet pas en polémique. Elle relate.
Elle reste très respectueuse des thèmes et des personnes qu’elle aborde. Ce
n’est que moi… qui ne peut résister à la tentation de la révolte :
j’avoue ! Ses documentaires sont empreints d’une empathie et d’une
déférence à toute épreuve.
Florence d’Arthuys |
Juste pour dire que la bande
annonce comme la suite de son documentaire est tellement chargée d’émotions et
nous bouleverse à tel point qu’elle nous commotionne, comme un thriller…
Remarquons que Florence d’Arthuys, parlant de son film sur le paepae a Hiro du
village FIFO, ou même en interview, frissonne encore et a le cœur serré. Ce qui
explique largement pourquoi elle a choisi le métier de cameraman-réalisatrice.
La même réserve, la même
discrétion, le même sens de l’humain de la part du réalisateur britannique
Daniel Gordon, la même pudeur du héros
de son documentaire Adam Goodes, sont omniprésents tout au long des images de The
Australian Dream, en
compétition aussi au FIFO.
"Bombardées", le cri des femmes
Bombardées, sans aucun effet de voyeurisme, expose, avec les femmes qui ne sont pas directement menacées de
représailles, l’ampleur des dégâts. À travers le parcours de femmes ou
de mères se constate une détresse profonde qui touche aussi les enfants.
Tout semble s’arrêter chez les victimes de violence conjugale, même l’instinct
de vie : chez les femmes comme chez leurs petits. Vouées à la déchéance
mentale et corporelle ce n’est peut-être qu’un sursaut de survie qui les pousse
à se protéger : et la volonté de sauver leurs enfants. Car les séquelles
sont graves : pour eux victimes aussi…
Des images qui font frissonner...
Si les Foyers Béthanie
à Nouméa, espaces temporaires d’hébergement et de réinsertion, prend pour
slogan et logo « femmes et enfants d’abord » : ils en logent
moins d’une centaine quotidiennement… Ce qui est loin d’être négligeable et
s’avère même impressionnant.
La délinquance
masculine et l’irresponsabilité mâle semblent bien ancrées :
« juste un coup de poing dans la figure ! » qui entraîne la
chute et l’inconscience, n’a pas l’air de déranger les champions de la virilité
abusive. La séquence dans le commissariat est révélatrice sur ce point. La
déposition du compagnon fait sourire, tant elle paraît candide !
L‘inconscience est générale… appuyée peut-être par
le fait que le droit coutumier donne la
parole exclusivement aux hommes : leur attribue la « propriété »
des enfants ; la femme craint donc de les perdre si elle porte plainte. La
justice française pénalisant les contrevenants de brutalité, les femmes
redoutent de fragiliser le clan ou la tribu en se positionnant en porte-à-faux.
Sur le chemin de Béthanie |
Les femmes sont épouvantées à l’idée même de se
plaindre ou de partir du foyer conjugal, car ayant quitté leur clan en se
mariant, elles sont éjectées d’office de celui du mari en cas de désaccord ou
de conflit judiciaire. Dénoncer la violence est donc résolument tabou. Du coup,
elles se taisent.
Le spectateur
pourra donc se poser la question de les voir à l’écran, nettement ou
floutées, et de les entendre parler ! Bonne question, car il faut des mois
de fréquentation personnelle avec la réalisatrice, pour qu’elles acceptent de
parler. La prouesse en revient à Florence d’Arthuys qui, forte de son
expérience de documentariste, devient une experte en matière de dialogue et de mise
en confiance. Il faut juste préciser qu’elle n’a jamais trahi leur
confiance ; même en enquêtant auprès du Centre pénitentiaire de Nouméa.
Parallèlement, elle a réalisé des documentaires
très délicats sur l’addiction en France, auprès de personnes qui ont déjà été
condamnées et qui se trouvent mises en danger dans le milieu de la drogue. Une
enquête sur addictions et bascule dans la violence, les enfants des rues.
Un métier désarçonnant
Ce que chaque réalisateur espère, après la
diffusion de son film, c’est qu’il informe les spectateurs des problèmes graves
qui se produisent chez les voisins proches, sans que personne n’en sache rien…
mais surtout, qu’ils s’en conscientisent comme les institutions en place, pour
que les problèmes relationnels du couple ne dérivent vers le délit et
n’aggravent les problèmes sociétaux.
En compétition : « Bombardées » |
Ce que ressent Florence d’Arthuys, après les
confidences des victimes, quand elle revient chez elle c’est « un
sentiment d’impuissance, d’affliction, d’abattement et de consternation… je
n’arrive pas à me déconnecter en fin de journée… Même si les femmes qui ont été
épaulées par les associations parviennent à s’en sortir, c’est réconfortant
mais ça n’efface pas l’horreur ».
Pourtant, elle récidive dans le genre du
documentaire à portée sanitaire ou sociale : et sans se lasser. Elle en a
les compétences : la preuve ? C’est que Florence d’Arthuys garde avec
ses sujets filmés des relations d’amitié.
"The Australian Dream": le silence qui tue..
Daniel Gordon, réalisateur, semble avoir consacré
l’essentiel de sa carrière déjà primée (près de 15 ans) … aux phénomènes qui
bouleversent le monde du sport international : qu’il s’agisse de la Corée,
des USA ou d’ailleurs. Ce qui n’est pas banal dans le monde du documentaire
océanien, ni dans l’histoire du documentaire.
Le sujet du racisme en général, et en particulier
en public, l’Australie a tendance à le dénier, même après l’institution du Sorry
Day et de la Semaine de Réconciliation depuis 1998. Certainement une des
raisons qui explique que le réalisateur est britannique. Le particularisme du
racisme sportif a tendance à se banaliser sur les stades du monde entier. Pas
par chauvinisme puisque les spectateurs insultent, se moquent de leurs
concitoyens aborigènes et les humilient. Au point de prendre parti pour une
adolescente prétentieuse… qui s’est permis de l’interpeller en plein match…
En compétition : « The Australian Dream » |
Moyennant quoi, le champion australien de football,
Adam Goodes, métis anglo-aborigène, se renferme peu à peu, se sent anéanti,
brisé et… stoppe prématurément sa carrière… malgré quelques sursauts du public
et des Associations de défense des aborigènes.
Le portrait du footballeur est extrêmement bien
mené… jusqu’au coup de théâtre où il disparaît, avant de déclarer sa démission
aux crampons… Une personnalité dont le mutisme légendaire s’interrompt
brusquement pour s’engager dans une Association de défense des
Aborigènes ; pour présenter sa mère aborigène et dévoiler ce qu’elle a
enduré de ce fait ; comment elle a été obligée de suivre une thérapie pour
se reconstruire…
Un champion aux prises avec le
racisme
Alors, violence à perpétuité ? La violence,
elle se décline dans tous les domaines de la vie du vaste continent insulaire.
Dans son histoire aussi : avec le film très révélateur des dessous pas
très chics des conflits internationaux, À l’autre bout de la guerre.
C’est aussi le sexisme, avec Merata, en Nouvelle-Zélande, la
discrimination ethnique – avec In my blood it runs… et The
Australian Dream.
C’est encore l’ingérence économique des puissances
asiatiques dans Blue Boat, des grandes
puissances océaniennes sous cette forme de néocolonialisme, comme pour Nauru,
la prison Australienne. Les conséquences de l’exploitation avec les
guerres intestines, comme pour Ophir dont nous poursuivrons
l’investigation dans un autre article. Alors… un 17ème FIFO
violent ? Un festival qui n’en a
pas fini avec la violence ?
Un article
de Monak et Julien Gué
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