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mercredi 12 février 2020

Off FIFO 2020


Ô Terres de détresse...


            Encore une page noire pour l’Océanie, dans cette sélection "Hors Compétition" du 17ème FIFO. Spoliation à outrance en Polynésie française, dans le documentaire réalisé par Benoît Tarahu  Mā’ohi Nui, terre de marchandises (2019) ; évanescence d’une communauté calédonienne exilée en Indonésie dans Blok Calédonie (2019) de Dominique Roberjot et  Christine Della-Maggiora. L’Océanie, encore mise à mal ! 


             Le pessimisme encore et toujours, à travers des témoignages qui maintiennent parfois une touche d’humour. Mais ne nous y trompons pas, la sensation de l’exil dans son propre pays prédomine dans cette édition 2020 du FIFO.

L’équipe gagnante de "Ma’ohi Nui, Terre de marchandises"
Que les communautés autochtones soient minoritaires ou majoritaires, le problème de la cohabitation ethnique se pose avec force, surtout quand le dominant, l’État, édicte des lois qui vont a contrario des pratiques coutumières pourtant fondamentales et d’une logique implacable. Conséquences de la colonisation, deux siècles plus tard, les habitants n’ont plus droit de cité sur leurs propres terres originelles ! Ils ne sont jamais partis de chez eux… et pourtant ils n’ont plus de "chez eux". 

Un bout de papier qui garantit la propriété des colonisateurs face au droit coutumier qu’on refuse de reconnaître… et voilà l’imbroglio du foncier. Pourtant, une véritable volonté politique d’équité pourrait se mettre en place, elle est encore possible. Sauf que les intérêts de profiteurs ne s’embarrasse pas des droits de l’homme.


L'imbroglio du foncier en Polynésie

La mise en place du tribunal foncier depuis 2 ans, décrétant pouvoir « traiter plus rapidement les affaires de terre en instance à cause du problème de l’indivision» est un véritable leurre. Le «problème de l’indivision » étant un euphémisme, pour ne pas rendre compte de « la spoliation des terres familiales et claniques par les grandes institutions métropolitaines, religieuses, et les investisseurs immobiliers et économiques ».

Quand  régulation coutumière s'oppose à autorité

« Indivision », un terme falsifié qui voudrait faire croire que l’affaire est purement intra-familiale, qu’elle ne se situe qu’au niveau héritage et ne concerne que les Polynésiens de souche… et leurs conflits de jalousie fraternelle. Le terme est insultant, dans la mesure où se réduit, dans la bouche des administratifs, à des querelles intestines entre héritiers du même clan ! Le terme devient péjoratif, méprise et humilie des familles entières qui se sont vu « dépossédées de leur bout de terrain par des exploitants de canne à sucre ou autres activités de loisir ou de tourisme… » 

Le terme devient radicalement injurieux et outrageant, quand la « volonté des dirigeants réduit un peuple à être l’usufruitier de sa terre ». Cela pourrait paraître surréaliste, mais c’est la réalité. « Les Polynésiens doivent racheter leur terre à ceux qui les en ont évincés »

L’état de fait est le suivant : « les propriétaires fonciers de la République, munis d’actes officiels et inscrits au plan cadastral ne sont pour la plupart que des voleurs de terre, qui ont décrété jadis que la parcelle incriminée était vierge ! Dans ces conditions, les tribunaux ne feront qu’entériner la loi du plus fort ». Tribunal signifiant frais, l’individu ne peut en assumer le coût. D’où ce sursaut Associatif appuyant le Polynésien lambda qui ne possède pas les moyens d’une procédure…

Une écoute mobilisatrice au FIFO
« Procédure pourquoi ? Quand 80% des terres appartiennent à l’Église… aux banques, aux hôtels, à l’armée, à l’administration… à l’époque où les habitants ne disposaient pas de l’écriture, ni de la langue pour faire reconnaître leurs droits ! Procédure aberrante quand chacun sait qu’à l’arrivée des colons, les Polynésiens ne possédaient aucun titre de propriété. » Ce qui paraît normal, puisque le Conseil des Anciens gérait au fur et à mesure l’utilisation des terres. Oralité contre administration française, « la société autochtone, se retrouve sans identité ! », parce qu’elle n’est pas écrite. « Procédure abusive, quand brusquement  des familles sont expulsées de l’endroit où elles ont toujours habité depuis des millénaires. »

Une revendication identitaire

            Le sursaut alors ? Un sursaut associatif qui prône le respect face à une escroquerie coloniale », qui se retrouve aussi en Australie, terre déclarée vierge d’Aborigènes, à l’arrivée des colons. « Que demande-t-on aux natifs d’ici : de prouver qu’ils ont été désappropriés, évincés de leur lopin de terre par les gouvernants des EFO ? de racheter leurs propres terres aux spoliateurs ? »

         « L’administration française a commis bien des erreurs, en jouant la carte des « terres cadastrées à la française, comme en métropole ». Encore faudrait-il qu’elle le reconnaisse ! Officiellement, circule ce genre de constat : qu’en matière «  de titre de propriété et d’occupation des terrains, les situations étaient très complexes, voire inextricables. » À qui la faute ? « Le tribunal foncier se devrait d’apaiser la situation. En fait, il colmate, sans revenir à la source de ces complexités : il parvient à des accords, pour des cas faciles. »

Mais le fond du problème se situe ailleurs. « Le foncier est une question de tampons ? Alors que les notaires, peuvent agir sous seing privé ? Quand les grands propriétaires terriens fricotent avec le pouvoir ». « Le pays a été vendu comme une marchandise, comme un bien matériel dont on a effacé la gestion collective, son âme culturelle »

Entre culture et immobilier
« La question fondamentale est une question culturelle, identitaire. Le fonctionnement de la Terre, culturellement, se pose autrement dans la société insulaire de Polynésie. Elle était propriété communautaire. Ce système d’ailleurs continue à fonctionner dans certains archipels, sans justement que ne se posent de problèmes de propriété. » On l’éradique au nom du profit.

« L’idée serait de réunir anthropologues, historiens et juristes pour que ne soit pas dénaturé le fonctionnement foncier d’une culture. Il faudrait qu’il soit repris à la base. Le ministère du logement, l’un des plus grands propriétaires foncier, ne verse que de l’huile sur le feu. »

Le film, comme les voix qui y témoignent, lance un cri d’alarme. « Avant 2004, la population refusait le cadastre. Moyennant quoi le gouvernement français, avec ses géomètres, s’est approprié les terres. » L’impact sur le public a été immédiat, en salle, comme sur la page du réalisateur, de l’auteure Jeanne Peckett-Pouira Phanariotis et de leur supporter Maki Rote, présents à tous les débats au FIFO.  « La régulation coutumière est en exercice aux Australes ». « ...alors, c’est bon pour le reste de la Polynésie ! » « Les consciences se réveilleront-elles pour ménager le cadre culturel d’origine dans le tissage administratif du foncier ? »

Exister, un mirage ?

À l’inverse, le documentaire Blok Calédonie (2019) de Dominique Roberjot et  Christine Della-Maggiora qui dévide comme un rituel de survie, l’attachement du cénacle des aïeules calédoniennes en terre indonésienne se perçoit comme l’agonie d’une culture. Bien sûr, on y rit, on s’y réjouit. Mais l’atmosphère est poignante…

La communauté est isolée dans le cadre d’une  cité qui les absorbe… Ne reste que le chagrin du départ, des circonstances de l’exil… « Un mirage » ? ou un requiem ?

Quand s’évanouit la culture
  Le FIFO, dans son rôle de plateforme qui divulgue les aspects les plus divers de la réalité océanienne, sur son propre continent comme en marge, permet de déceler combien la culture est fragilisée par les dangers d’une assimilation à outrance.

« Quel avenir pour l’Océanie ? », se pose donc, durant cette 17ème édition, comme une problématique d’urgence. Les documentaires le démontrent haut la main… En conséquence, la mobilisation des instances de décision attendue, comme une issue de secours…si elle ne répond pas aux désirs légitimes des peuples, la solution surgira de façon plus violente et irrémédiable. Les exemples sont là, aussi… omniprésents. Pour que les Peuples et les Terres ne deviennent pas des marchandises…



Un article de Monak et Julien Gué

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