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jeudi 6 février 2020

FIFO 2020 Rurutu & Rapanui


à propos de cohésion insulaire


           Ils sont bien les seuls, parmi les cinéastes en compétition, à inscrire leur sujet dans le thème plus générique de la cohésion insulaire. Aux deux extrémités du triangle polynésien. L'un des pôles se situe à Rurutu, dans l'archipel polynésien des Australes, l'autre à Rapanui, l'île de Pâques étant proche de la façade de sa nation mère, le Chili.



Visibles les trois mêmes jours, du 4 au 6 février, leur film documentaire vous entraîne entre parcours spatial de l’île, découverte des figures prégnantes du lieu et points de rencontre de moments forts. Jeunes réalisateurs, c’est leur premier documentaire personnel.

En compétition, Rurutu Terre d’Umuai
Précisons tout de suite que Rurutu, Terre de ‘umuai, est réalisé par le duo polynésien de Ahi Company : Virginie Tetoofa et Teiva Tahimanahivaiterai (ou Teiva Drion), détail qui a son importance parce que cette mention ne figurait pas dans le programme du FIFO destiné au public.  Quant à Eating Up Easter, le réalisateur Sergio Mata’u Rapu a travaillé en solitaire sur sa propre terre originelle.

Vous ne pouvez les confondre : les points de vue, les communautés, les espaces sont vraiment différents.

La généalogie mythique...

       L’île de Rurutu fait partie de cette région-frontière de Polynésie qui n’est pas un centre névralgique et reste assez isolée. Parmi ses particularismes culturels, la coutume du ‘umu’ai a été réactivée depuis le début du 20ème siècle. Le ‘umu’ai, four traditionnel, sous-entend le festin : il est destiné à célébrer les mariages de toute une génération. On y danse, on s’y montre, revêtus des tenues confectionnées par les hôtes. Une cérémonie sociale, qui scelle l’appartenance familiale et insulaire et dont les rituels se déroulent sur une semaine. Ce qui n’est pas banal en Polynésie,  car les moments de rassemblements traditionnels sont plutôt d’ordre artistique ou d’émulation sportive. L’archipel a tendance à se replier sur lui-même et à conserver jalousement ses secrets artisanaux : le tressage végétal par exemple.

Tevai & Virginie Tetoofa
          Il a donc fallu, aux co-réalisateurs, obtenir l’agrément des insulaires pour pouvoir capter les images et se faire accepter par les habitants. Donc des mois de préparation pour l’équipe de tournage et des années pour les  familles concernées. En fait, cette célébration qui remonte au patrimoine culturel de l’île, réactive cet  héritage d’un peuple de l’oralité qui ne se reconnaît qu’en se prévalant d’une généalogie précise et que les Ancêtres connaissaient et récitaient par cœur. La coutume se déroulant sur l’île entière où les familles se reçoivent, les membres éparpillés partout ailleurs y sont invités. Sans faire de distinction de nationalité : ainsi les branches métropolitaines y sont admises. La Polynésie ayant toujours assimilé les apports étrangers pour se prémunir des risques de consanguinité.

Quelques images qui ne sont pas de la fiction
Un tournage qui n’a pas été facile et qui ne pouvait se permettre d’interrompre le rituel. Un scénario qui inclut les préparatifs dont les ressources vivrières, la confection du trousseau coutumier et l’événement lui-même. Festif mais précis, il renoue les liens communautaires, les liens généalogiques. Documentaire qui tranche sur l’atmosphère morbide de l’ensemble des productions en compétition, il affirme son optimisme : il existe des îles qui affichent leur joie au partage malgré les difficultés quotidiennes ! 

Avec les témoins et supporters de Rurutu

Il s’attache autant aux vivants, à l’humain, au déroulé temporel qu’à l’environnement découvert par les petites touches des drones, il respecte l’orthodoxie des codes, tout en laissant déborder cette ivresse des relations partagées. La caméra se suspend aux attitudes individuelles, au ressenti personnel comme aux liturgies collectives. Toujours ce chassé-croisé des images… L’île troglodyte a débarqué au FIFO, mercredi, comme pour rendre la pareille. Preuve que ces traditions sont vivaces. 

Autant cette prestation filmée suit un protocole ancestral, autant le documentaire suivant décèle une envie de se forger les codes identitaires à venir.

Une identité collective en gestation

         Rapa Nui est le théâtre d’un grand chamboulement, initié par l’apport financier d’une économie fondée sur le tourisme. Mais elle en connaît les revers. Comment éviter de perdre  ses racines, quand la minuscule île est inondée de produits venus d’ailleurs et croule sous des tonnes de déchets  ? Comment peut-elle retrouver sa vitalité, sa personnalité quand le modèle consumériste survient d’autre part et casse l’activité d’une population devenue apathique ?

En compétition… Eating Up Easter
       Rapa Nui (ou Easter), avec son titre métaphorique Eating UP Easter, est à la fois la « dévoreuse » et « la dévorée ». Les plans-panoramiques de machines, se disputent la place avec les marchandises, les constructions anarchiques, les monceaux d’ordures et les dépotoirs. Rapa Nui se défigure. Mais les Don Quichotte de la culture et de l’environnement semblent ressurgir de terre, tout comme les Moai.

         Ils sont isolés, comme le colibri minuscule qui acte à sa mesure pour stopper la tendance à l’engloutissement. 
       Sur un mode qui veut croire en l’avenir, le réalisateur dialogue avec ces combattants   invincibles. On pourrait penser qu’ils sont seuls, tant l’individualisme transparaît dans le mode de vie. Ils se mobilisent dans le secteur de l’écologie, de l’architecture durable, celui de la culture artistique. Trois générations se côtoient : recyclent, rebâtissent, protègent et jettent les bases de l’harmonie collective par la pratique musicale…

Ça bouge à Rapa Nui !
C’est que de l’aïeul au bambin, se transmettent les valeurs communautaires qui dépassent celles de la simple survie matérielle. C’est cette prise de conscience à l’échelle individuelle que le réalisateur Sergio Mat’au Rapu dévoile petit à petit. Pour le spectateur tahitien, encore marqué par la période des conflits avec le Chili, plutôt habitué aux rencontres interculturelles des Tapati entre Les Marquises et l’Île de Pâques, le point de vue du réalisateur rapanui est une découverte. Tout comme l’évolution d’une île longtemps bouleversée.

Des ancêtres à… l’avenir
Le modernisme pourrait-il participer à construire autrement l’avenir ? Le film ne donne pas de réponse. Il les suggère à travers le témoignage des acteurs d’un changement possible. L’atmosphère n’est pas vraiment optimiste, elle reste en suspend… Tout est question de responsabilisation.

Il n’est pas que la compétition qui soit la cheville ouvrière des cinéastes. Ils témoignent, ils transmettent l’aboutissement de leurs recherches et de leur création. Au public de se sentir, lui aussi, concerné et d’établir ses priorités : à l’écran comme sur les îles.


Un article de   Monak et Julien Gué

          Tous droits réservés à Monak & Julien Gué. Demandez l’autorisation des auteurs avant toute utilisation ou reproduction du texte ou des images sur Internet, dans la presse traditionnelle ou ailleurs.



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